« L’Italie évalue de façon positive les opérations aériennes lancées aujourd’hui par les États-Unis sur certains objectifs de Daech à Syrte. Elles adviennent à la demande du Gouvernement d’Unité Nationale, en soutien des forces fidèles au Gouvernement, dans l’objectif commun de contribuer à rétablir la paix et la sécurité en Libye » : tel est le communiqué diffusé par la Farnesina (ministère des Affaires étrangères italien) le 1er août 2016.
Ceux qui pensent à « la paix et la sécurité en Libye » à Washington, Paris, Londres et Rome sont les mêmes, qui, après avoir déstabilisé et mis en pièces par la guerre l’État libyen, vont recueillir les débris avec la « mission d’assistance internationale à la Libye ».
Leur idée transparaît à travers des voix autorisées. Paolo Scaroni [1], qui à la tête de l’ENI a manœuvré en Libye entre factions et mercenaires et se trouve aujourd’hui à la vice-présidence de la Banque Rotschild, a déclaré au Corriere della Sera qu’« il faut en finir avec la fiction de la Libye », « pays inventé » par le colonialisme italien. Il faut « favoriser la naissance d’un gouvernement en Tripolitaine, qui fasse appel à des forces étrangères qui l’aident à rester debout », en poussant la Cyrénaïque et le Fezzan à créer leurs propres gouvernements régionaux, éventuellement avec l’objectif de se fédérer à long terme. En attendant, « chacun gèrerait ses sources énergétiques », présentes en Tripolitaine et Cyrénaïque.
C’est la vieille politique du colonialisme du 19ème siècle, remise à jour en fonction néo-coloniale par la stratégie USA/OTAN, qui a démoli d’entiers États nationaux (Yougoslavie, Libye) et fractionné (ou tenté de fractionner) d’autres États (Irak, Syrie), pour contrôler leurs territoires et leurs ressources.
La Libye possède presque 40 % du pétrole africain, précieux pour sa haute qualité et son faible coût d’extraction, et de grosses réserves de gaz naturel, dont l’exploitation peut rapporter aujourd’hui aux multinationales étasuniennes et européennes des profits bien plus élevés que ceux qu’elles obtenaient auparavant de l’État libyen. De plus, en éliminant l’État national et en traitant séparément avec des groupes au pouvoir en Tripolitaine et Cyrénaïque, elles peuvent obtenir la privatisation des réserves énergétiques publiques et donc leur contrôle direct.
En plus de l’or noir, les multinationales étasuniennes et européennes veulent s’emparer de l’or blanc : l’immense réserve d’eau fossile de la nappe phréatique nubienne, qui s’étend sous la Libye, l’Égypte, le Soudan et le Tchad. Les possibilités qu’offre celle-ci avaient été démontrées par l’État libyen, en construisant des aqueducs qui transportaient de l’eau potable et pour l’irrigation, millions de mètres cubes par jour extraits de 1300 puits dans le désert, sur 1600 km jusqu’aux villes côtières, rendant fertiles des terres désertiques.
Aux raids aériens étasuniens d’aujourd’hui en Libye participent simultanément des chasseurs-bombardiers qui décollent de porte-avions en Méditerranée et probablement de bases en Jordanie, et des drones Predator armés de missiles Hellfire qui décollent de Sigonella (base étasunienne en Sicile, NdT). Interprétant le rôle de l’État souverain, le gouvernement Renzi « autorise au cas par cas » le départ de drones armés étasuniens de Sigonella, tandis que le ministre des Affaires étrangères Gentiloni précise que « l’utilisation des bases ne requiert pas une communication spécifique au parlement », assurant que ceci « n’est pas un prélude à une intervention militaire » en Libye.
Alors qu’en réalité l’intervention a déjà commencé : des forces spéciales étasuniennes, britanniques et françaises – comme le confirment le Telegraph et Le Monde – opèrent depuis longtemps en secret en Libye pour soutenir « le gouvernement d’unité nationale du Premier ministre Sarraj ».
En débarquant tôt ou tard officiellement en Libye sous prétexte de la libérer de la présence de l’Isis (Daech), les USA et les plus grandes puissances européennes peuvent aussi ré-ouvrir leurs bases militaires, fermées par Kadhafi en 1970, dans une position géostratégique importante à l’intersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient.
Enfin, avec la « mission d’assistance à la Libye », les USA et les plus grandes puissances européennes se partagent le butin de la plus grande rapine du siècle : 150 milliards de dollars des fonds souverains libyens confisqués en 2011, qui pourraient quadrupler si l’export énergétique libyen revenait aux niveaux précédents.
Une partie des fonds souverains, à l’époque de Kadhafi, fut investie pour créer une monnaie et des organismes financiers autonomes pour l’Union Africaine. États-Unis et France – comme le prouvent les e-mails d’Hillary Clinton – décidèrent de bloquer « le plan de Kadhafi de créer une monnaie africaine », alternative au dollar et au franc CFA. Ce fut Hillary Clinton – documente le New York Times – qui convainquit Obama de passer à l’action. « Le Président signa un document secret, qui autorisait une opération couverte en Libye et la fourniture d’armes aux rebelles », y compris à des groupes jusque récemment classifiés comme terroristes, alors que le Département d’État dirigé par Clinton les reconnaissait comme « gouvernement légitime de la Libye ». En même temps l’OTAN sous commandement étasunien effectuait l’attaque aéronavale avec des dizaines de milliers de bombes et missiles, démantelant l’État libyen, attaqué simultanément de l’intérieur avec des forces spéciales y compris du Qatar (grand ami de l’Italie) (et de la France, NdT).
Le désastre social qui s’en est suivi, en faisant plus de victimes que la guerre elle-même, surtout chez les migrants, a ouvert la porte à la reconquête et au partage de la Libye.