IV. L’hypothèse du « complot piraté » appliquée à Kennedy
Dans les trois parties précédentes de cet article, nous avons énoncé plusieurs propositions. Certaines peuvent être considérées comme prouvées, d’autres restent des hypothèses de travail qui méritent d’être débattues. Ce qui me semble incontestable, c’est l’existence d’une « opposition contrôlée » à la thèse officielle du 11 Septembre, qui opère à deux niveaux : au niveau des médias alternatifs de gauche, et au niveau de la mouvance conspirationniste. Les mensonges et manipulations sont démontrés dans ces deux camps. Notre enquête ressemble à un scénario de thriller à rebondissements : le premier coupable identifié n’est pas le bon, mais le second non plus. Le paradigme de la « fausse bannière réversible », quant à lui, n’est qu’un concept imparfait, un point virtuel de perspective permettant d’embrasser ces différents niveaux de désinformation. Mais la réalité qu’il décrit est, je crois, assez bien établie. La notion de « complot piraté » est plus spéculative, et le restera tant qu’une véritable enquête criminelle ne sera pas ouverte. Elle a toutefois en sa faveur le fait qu’elle s’applique de manière satisfaisante à d’autres affaires que le 11 Septembre.
L’idée m’en est venue au moment de l’affaire Merah. Nous avons vu dans cette affaire, à quelques jours d’intervalle, deux faits divers de natures et de portées très différentes, dont le seul lien est le coupable désigné (opportunément éliminé par les services spéciaux). Dans le premier fait divers, trois militaires d’origine maghrébine sont abattus, et l’on soupçonne un groupuscule néo-nazi. L’affaire, un mois avant les élections présidentielles, est suspicieusement providentielle pour permettre au président Sarkozy, en difficulté dans les sondages, de rebondir par une propagande anti-FN. Mais voilà que, quatre jours plus tard, on nous fait croire que trois enfants juifs sont tués dans une école juive (sans témoin crédible et sans autopsie, puisque, pour d’obscures raisons religieuses, les corps sont expatriés illico à Jérusalem). On décrète aussitôt que les deux crimes sont du même auteur : ce n’est donc plus un raciste anti-arabe, mais un arabe antisémite que l’on cherche et que l’on trouve. Notre président n’a d’autre choix que de jouer ce nouveau script, qui implique d’envoyer son ministre de la Justice en Israël pour assurer le président Shimon Pérès et le Premier ministre Benyamin Netanyahou du soutien de la France dans la lutte contre le terrorisme et l’antisémitisme. Tous les candidats à la présidence mettent la kippa et jurent à leur tour de combattre l’antisémitisme et le fanatisme islamique.
Après quelques années de recherche, je suis également tenté de voir dans ce principe du « complot piraté » la solution aux mystères qui entourent l’assassinat de Kennedy. Les bases de cette théorie ont été posées par Gary Wean, dans son livre There’s a Fish in the Courthouse (1987), qu’ignorent tous les chercheurs à l’exception de Michael Collins Piper dans Final Judgment. En se fondant sur une source bien informée de Dallas (le sénateur républicain John Tower), Wean soulève la possibilité que la fusillade ait été mise en scène par la CIA sous la forme d’un assassinat raté, mais que l’opération ait été détournée en vrai assassinat par la Mishpucka (la « Famille » en hébreu, soit la mafia russe juive), dont Wean a appris à connaître le pouvoir tentaculaire en tant qu’enquêteur de la police de Los Angeles. L’investigateur Dick Russel renforce indépendamment cette thèse dans The Man Who Knew Too Much (1992), après avoir interviewé plusieurs exilés cubains persuadés d’avoir été manipulés.
Le principe du « complot piraté » est cohérent avec les faits bruts de l’assassinat : les balles tirées de derrière la limousine présidentielle, depuis le School Book Depository, ont manqué leur cible. Quelques secondes plus tard, Kennedy est touché mortellement par deux balles tirées depuis le grassy knoll, devant lui sur la droite. Oswald est arrêté dans l’après-midi et accusé d’avoir tiré depuis le depository où il travaille, et d’avoir agi pour le compte de Castro. Mais Johnson fait taire cette rumeur et impose la thèse du tueur solitaire. Deux jours après son arrestation, Oswald est réduit au silence par Jacob Rubenstein, dit Jack Ruby, membre de la pègre juive (la Yiddish Connection) et ancien trafiquant d’armes au profit d’Israël. Ruby était l’ami et partenaire de Mickey Cohen, associé et successeur du fameux Benjamin Siegelbaum, dit Bugsy, l’un des chefs de Murder Incorporated. Selon Gary Wean, Cohen était en contact avec Menachem Begin.
Oswald et Ruby sont les deux personnages clés de l’affaire : le premier est lié à la CIA, mais le second est lié au réseau criminel sioniste. L’avocat de Ruby, William Kunstler, écrit dans ses mémoires que Ruby lui confia avant de mourir avoir tué Oswald « pour les juifs », et plus précisément pour « protéger les juifs américains d’un pogrom qui pourrait résulter de la colère à cause de l’assassinat [1] ». Son rabbin, Hillel Silverman, qui lui rendit visite en prison, fit la même declaration [2]. On connaît un autre sioniste notoire qui a agit avec détermination pour empêcher que la vérité ne sorte : Arlen Specter, l’inventeur de la « théorie de la balle unique » (single bullet theory), qui attribue cinq blessures (deux à Kennedy et trois à Connally devant lui) à une seule balle. À sa mort en 2012, Specter, fils d’immigrés juifs russes, fut officiellement regretté par le gouvernement israélien comme un « défenseur infatigable de l’État juif [3] ».
- La « Balle magique » qui, selon Arlen Specter, aurait causé cinq blessures à Kennedy et Connally
Le principe du « complot piraté » permet de réconcilier les trois thèses qui dominent la recherche sérieuse sur l’assassinat de Kennedy : 1) la thèse de la CIA, du Pentagone et du complexe militaro-industriel, 2) la thèse de Lyndon Johnson, et 3) la thèse d’Israël. Les auteurs défendant la première thèse (qu’on peut nommer Inside Job), comme David Talbotl [4], James Douglass [5] ou Mark Lane [6], pour ne citer que les plus récents, démontrent de manière irréfutable que la CIA et une faction de l’appareil militaire essayaient de déclencher une guerre contre Castro, et qu’ils étaient prêts à tromper le Président pour le mettre au pied du mur. Mais ils échouent à démontrer qu’ils étaient prêts à l’assassiner : de l’opération clandestine dans le dos du Président à la haute trahison et l’assassinat, il y a un abîme. Et l’on note que ces trois livres ne parviennent pas à identifier le comploteur en chef et se contentent d’incriminer le système. Le personnage de la CIA sur lequel pèsent le plus de soupçons est James Jesus Angleton, qui dirigea de 1954 à 1974 l’Israel Office de l’Agence (par lequel transitaient pratiquement tous les renseignements venant d’URSS). Son biographe Tom Mangold affirme :
« Les plus proches amis d’Angleton à l’étranger venaient du Mossad et il était tenu en très haute estime par ses collègues israéliens et par l’État d’Israël, qui lui décerna de grands honneurs après sa mort [1987] [7]. »
Angleton joua notamment un rôle primordial dans l’entrave à la vérité en s’imposant comme liaison entre la CIA et la Commission Warren.
Mais la faiblesse de la thèse CIA-Pentagone tient à mon sens surtout à cette contradiction flagrante : si la CIA a programmé la mort de Kennedy sous la forme d’un assassinat sous la fausse bannière de Cuba, pourquoi la guerre contre Cuba, qui était la fin visée, n’a-t-elle pas eu lieu ? Nos auteurs ne fournissent aucune réponse convaincante. Michael Piper, qui, seul contre tous, défend la thèse d’Israël, a quant à lui démontré de façon irréfutable qu’Israël avait un intérêt vital à la mort de Kennedy, car Kennedy était déterminé à empêcher Israël de mener à terme ses projets d’armement nucléaire. Il s’était également vigoureusement engagé en faveur du droit au retour des 750˙000 réfugiés palestiniens expulsés de leurs quartiers et villages en 1947-48. Deux choses intolérables pour Ben Gourion et les dirigeants sionistes. Il y en avait une autre encore : l’effort de Kennedy pour restreindre l’influence de l’American Zionist Council, précurseur de l’AIPAC, en l’enregistrant comme agent étranger soumis au Foreign Agents Registration Act de 1938. Pour toutes ces raisons, les sionistes voulaient la mort de Kennedy.
Johnson également. En fait, la thèse incriminant Johnson fusionne avec celle incriminant Israël dès lors qu’on prend conscience que Johnson est l’homme d’Israël. Il l’est depuis le financement de sa première campagne sénatoriale en 1948, financée par Abraham Feinberg, le parrain de la bombe atomique israélienne (qui au même moment, finançait également la seconde campagne présidentielle de Truman en échange de sa reconnaissance d’Israël) [8]. Son accession au pouvoir fut saluée avec soulagement à Tel-Aviv, comme on le lisait dans le quotidien israélien Yediot Aharonot :
« Il ne fait aucun doute qu’avec l’accession de Lyndon Johnson, nous aurons davantage d’opportunité d’approcher le Président directement si nous trouvons que la politique étasunienne va contre nos intérêts vitaux [9]. »
Un grand nombre de faits prouvent qu’en 1967, Johnson donna le feu vert pour la guerre préventive d’Israël contre l’Égypte et l’annexion de territoires qui en découla, et que, sous sa direction, la CIA fournit à l’armée israélienne les informations lui permettant de détruire en quelques jours toutes les bases aériennes de l’ennemi. Johnson a probablement aussi approuvé secrètement l’attaque du USS Liberty (un navire de la NSA) par des avions et torpilleurs israéliens le 8 juin 1967, une opération sous fausse bannière qui aurait été mise sur le compte de l’Égypte si elle avait réussie, c’est-à-dire si le navire avait été coulé et son équipage exterminé. En 2013, Associated Press a divulgué des enregistrements du Bureau ovale démontrant la « connection personnelle et souvent émotionnelle » de Johnson pour Israël, rappelant par ailleurs que durant la présidence de Johnson, « les États-Unis sont devenus le principale allié diplomatique et le principal fournisseur d’armement d’Israël ». Un article du 5 Towns Jewish Times publié sous le titre « Our First Jewish President Lyndon Johnson ? », évoquant le soutien de Johnson pour les juifs dans les années 1940 et 1950, puis son rôle dans l’élaboration de la Résolution 242 des Nations unies en faveur d’Israël, conclue :
« Le président Johnson a fermement orienté la politique américaine dans une direction pro-Israël. Dans un context historique, le pont aérien d’urgence vers Israël en 1973, le soutien diplomatique constant, l’assistance économique et militaire et les liens stratégiques entre les deux pays peuvent être mis sur le crédit des graines plantées par Johnson. »
L’article mentionne également :
« Des recherches dans l’histoire personnelle de Johnson indiquent qu’il hérita son intérêt pour le peuple juif de sa famille. Sa tante Jessie Johnson Hatcher, qui eut sur lui une influence majeure, était membre de la Zionist Organization of America. »
Et, dans une note additionnelle :
« Les faits indiquent que les deux arrières-grands-parents de Johnson du côté maternel étaient juifs. […] La lignée des mères juives peut être retracée sur trois générations dans l’arbre généalogique de Lyndon Johnson. Il fait peu de doute qu’il était juif [10]. »
Le seul chaînon manquant pour prouver la collusion entre Johnson et Israël serait la preuve que Ruby a agi sur les ordres de Johnson. Ce chaînon est en réalité fourni par l’ancien assistant de Nixon Roger Stone, qui déclara, dans une interview pour The Daily Caller, qu’en novembre 1963, en voyant Ruby à la télévision, Nixon l’avait reconnu comme étant « l’un des “boys” de Johnson », et que « Nixon a immédiatement reconnu que Johnson utilisait un de ses hommes de main pour faire le “nettoyage” après le meurtre de Kennedy [11] ».
- Le réquisitoire de Roger Stone contre Johnson
À la lumière de ce témoignage (de seconde main, il est vrai), il est intéressant de mentionner un mémorandum du FBI daté du 24 novembre 1947, qui décrit Ruby comme un homme de main de Nixon, mais qui est aujourd’hui reconnu par la plupart des chercheurs comme un faux. Ce mémo informe un comité parlementaire enquêtant sur le crime organisé qu’ « un certain Jack Rubenstein de Chicago […] remplit des fonctions d’information pour le personnel du député Richard Nixon, Républicain de Californie. Il est demandé que Rubenstein ne soit pas entendu comme témoin dans les auditions susmentionnées [12]. » Le caractère inauthentique de ce mémo a été démontré par deux anachronismes concernant Nixon et Ruby, et par le fait qu’il porte un zip code qui n’existait pas à l’époque. Quelqu’un a donc voulu brouiller la piste rattachant Ruby à Johnson, en le faisant passer pour l’homme de Nixon.
L’hypothèse que Ruby était secrètement missionné par Johnson est cohérente avec les déclarations étranges faites par Ruby à la Commission Warren : Ruby insista pour être conduit à Washington car, dit-il :
« Je suis le seul qui peux apporter la vérité au Président [...] Si vous ne m’amenez pas ce soir à Washington pour me donner une chance de prouver mon innocence au Président, alors vous allez voir la chose la plus tragique qui puisse arriver. »
Ruby indique en outre que cette « chose tragique » a un rapport avec le sort du peuple juif :
« Il y aura un événement tragique si vous ne prenez pas mon témoignage et si vous ne me disculpez pas afin que mon peuple ne souffre pas à cause de ce que j’ai fait. »
Il craignait, ajouta-t-il, que son acte soit exploité « pour créer une fausse idée sur certaines personnes de confession juive », mais cela pouvait être évité « si notre Président, Lyndon Johnson, apprenait la vérité de moi [13] ». Ruby semble vouloir adresser à Johnson, à travers les membres de la Commission, un message lourd de sous-entendus, qui semble contenir la menace de révéler l’implication d’Israël dans l’assassinat de Kennedy s’il n’est pas gracié par le nouveau président. L’impression se renforce si l’on compare le respect qu’il affiche pour Johnson, « notre Président, qui croit en la droiture et la justice », à l’accusation qu’il lancera en 1967 contre le même Johnson, traité cette fois de « nazi de la pire espèce » dans une lettre manuscrite [14]. Cela suggère que Ruby s’est senti trahi par Johnson ; sans doute espérait-il que Johnson le sorte de prison, tout comme, en 1952, Johnson était parvenu à éviter la prison à son tueur Malcolm Wallace, pourtant reconnu coupable de meurtre au premier degré [15].
Jacob Rubinstein accuse Lyndon Johnson en 1965 (vidéo en anglais) :
La déposition de Ruby à la Commission Warren fut obtenue et publiée par la journaliste Dorothy Kilgallen dans le New York Journal American du 18-20 août 1964. Kilgallen affirmait en outre avoir interviewé Ruby durant son procès à Dallas, et disait être sur le point de « dévoiler la véritable histoire » et publier « le scoop du siècle » dans un livre intitulé Murder One. Le livre ne parut jamais : Kilgallen fut retrouvée morte d’une overdose d’alcool et de barbituriques le 8 novembre 1965. Sa dernière phrase imprimée disait : « Cette histoire ne mourra pas, tant qu’il y aura un vrai reporter vivant, et il y en a encore beaucoup de vivants [16]. »
La thèse du « complot piraté » permet d’expliquer l’obstination stupéfiante du pouvoir exécutif à s’accrocher à la thèse du tueur solitaire, cinquante ans après. Elle permet aussi d’expliquer l’obstination des médias américains dans l’obstruction à la vérité. Les livres se focalisant sur la piste CIA-Pentagone nous répètent à l’envie que les grands médias sont sous le contrôle étroit de la CIA, à travers son opération Mockingbird ; c’est un mythe plus qu’une réalité, un mythe d’ailleurs entretenu indirectement par les directeurs des grands médias eux-mêmes, entre autres par la patrone du Washington Post Katherine Graham à travers sa biographe Deborah Davis. Davis prétend que Philip Graham (mari de Katharine et longtemps directeur du Post) ainsi que Joseph Alsop, l’éditorialiste le plus influent du journal, étaient « contrôlés » par la CIA [17], mais les faits indiquent plutôt leur loyauté envers Israël. Arthur Schlesinger, qui fut un proche assistant de Kennedy, rapporte que ce sont Graham et Alsop qui convainquirent Kennedy de prendre Johnson pour vice-président, dès qu’il apparut que Kennedy l’emporterait aux primaires sur Johnson [18]. Comme l’explique pour sa part Alan Hart, à travers Graham et Alsop, dont l’influence sur l’opinion publique était considérable, « ce sont les soutiens d’Israël qui ont forcé Kennedy a prendre Johnson comme vice-président [19] ».
Les grands médias ont largement contribué à orienter les soupçons des sceptiques vers la CIA, avant même l’assassinat. N’est-ce pas Arthur Krock, sioniste notoire, qui le 3 octobre 1963, écrit dans sa colonne quotidienne du New York Times, que « le développement de la CIA est “comparable à une maladie”, que même la Maison Blanche ne contrôlait peut-être plus, selon le très haut responsable. […] Si les États-Unis sont un jour le théâtre d’un Seven Days in May, cela viendra de la CIA [20]. » (Seven Days in May est un thriller politique publié en 1962, qui raconte un coup d’État contre le Président). Krock plante un panneau dirigeant à l’avance les soupçons vers la CIA, en laissant entendre que sa source est le Président lui-même [21].
Un mois après l’assassinat de Kennedy, c’est au tour du Washington Post de semer à nouveau le soupçon de l’implication de la CIA, en publiant un éditorial signé de l’ancien président Harry Truman, intitulé « Les États-Unis devraient confiner la CIA au Renseignement », où il affirmait l’urgence « d’examiner à nouveau le but et les opérations de notre CIA. […] Il y a des questions difficiles auxquelles il faut maintenant répondre. » « Cela fait quelque temps que je suis perturbé par la manière dont la CIA a été détournée de sa mission originelle. Elle est devenue un bras opérationnel du gouvernement, et dans certains cas détermine la politique. […] Je n’ai jamais pensé en créant la CIA qu’elle serait impliquée dans des opérations troubles et clandestines en temps de paix » au point d’être devenue à travers le monde « [22] ». Truman faisait allusion à l’implication de la CIA dans le renversement ou l’assassinat de chefs d’État étrangers, mais, compte tenu du fait que l’assassinat de Kennedy était encore dans tous les esprits, son message ne pouvait qu’être perçu, au moins de façon subliminale, que comme une incrimination implicite de la CIA dans la tragédie de Dallas. Cet article fut largement commenté dans les années 70, et donne à Truman le rôle avantageux d’un whistleblower. Et cependant ce mea culpa n’est vraiment pas dans le style de Truman. Et pour cause : il n’a pas été écrit par lui, mais par son assistant et rédacteur principal, David Noyes. Truman ne l’a probablement pas lu avant publication et a dû le découvrir dans l’édition du matin du Washington Post ; c’est peut-être lui, en revanche (et non la CIA), qui exigea son retrait des éditions de l’après-midi [23]. Le role de Noyes comme « nègre » de Truman est bien décrit dans le livre de Sidney Krasnoff, Truman and Noyes : Story of a President’s Alter Ego (Jonathan Stuart Press, 1997), présenté par l’éditeur comme « l’histoire extraordinaire de la relation entre un baptiste du Missouri, sans éducation au-delà du lycée, et d’un juif originaire de Russie avec un doctorat ».
Dans les années 70, lorsque s’ouvrit une nouvelle enquête sur l’assassinat de Kennedy, la presse joua encore un rôle important dans l’orientation des soupçons vers la CIA. Le célèbre journaliste Edward Epstein (qui a encore récemment fait parler de lui en défendant la thèse d’un complot contre Dominique Strauss-Kahn), fit paraître une interview de George De Mohrenschildt dans laquelle ce dernier admettait que Lee Harvey Oswald lui avait été présenté par l’agent J. Walton Moore de la CIA [24]. Mais l’information est douteuse pour plusieurs raisons : premièrement, Moore était connu comme agent du FBI, pas de la CIA. Deuxièmement, De Mohrenschildt n’était plus en mesure de confirmer lorsque parut l’article : il fut retrouvé mort suicidé quelques heures après son interview, le 29 mars 1977 [25]. En fait, l’interview contredit formellement un récit manuscrit laissé par De Mohrenschildt de sa relation avec Oswald [26]. Enfin, le rapport de police indique que la santé mentale de De Mohrenschildt s’était détériorée, et qu’il se plaignait que « les juifs » et « la mafia juive » étaient après lui [27]. L’interview publiée par Epstein ne fait pas mention de cette inquiétude.
- George de Mohrenschildt
En réalité, dès le lendemain de l’assassinat, on peut soupçonner le réseau sioniste d’avoir orienté la dissidence vers la piste de la CIA, créant ainsi une seconde « fausse bannière » cousue sous la fausse bannière « Oswald-Castro ». Les mauvaises langues soupçonnent par ailleurs Mark Lane, le premier et le plus actif des conspirationnistes accusant la CIA, d’avoir cherché à cacher son appartenance à la communauté juive, en changeant son nom de Levin à Lane. Et il est bien connu que le producteur du film JFK (1991) d’Oliver Stone, qui déclencha un fort mouvement d’opinion et motiva l’ouverture de commissions d’enquête sur la CIA, est Arnon Milchan, décrit dans une biographie de 2011 comme « l’un des plus importants agents infiltrés du Renseignement israélien », très impliqué dans la contrebande d’armement nucléaire des États-Unis vers Israël [28]. Notons en passant qu’en 1978, Milchan produisait The Medusa Touch, un film décrivant un scénario similaire à l’épisode des Lone Gunmen mentionné plus haut, avec un avion télécommandé se crashant sur un gratte-ciel.
- Arnon Milchan, au centre, en bonne compagnie
- Affiche de The Medusa Touch, produit par Arnon Milchan en 1978
Pour terminer, il est également intéressant de noter que certains chercheurs tentent de charger Bush père dans l’affaire JFK. C’est notamment le cas de John Hankey avec son documentaire Dark Legacy [29]. À y regarder de près, l’idée d’une implication de Bush dans l’assassinat de Kennedy repose sur des conjectures, et probablement, encore une fois, sur un faux mémo top-secret. Les accusations sont les mêmes que celles lancées par Russ Baker dans Family of Secrets : The Bush Dynasty (2009) et par Webster Tarpley dans George Bush : The Unauthorized Biography (2004). Toutes ces attaques s’appesantissent sur les sympathies pro-nazi et l’antisémitisme présumé du clan Bush. En effet, Prescott Bush, le père de George H.W., codirigeait durant la Seconde Guerre mondiale la Union Banking Corporation, laquelle fut saisie en 1942 par le gouvernement de Roosevelt dans le cadre du Trading with the Enemy Act. Cette information est en vérité anecdotique, puisque jusqu’à l’entrée en guerre des États-Unis, une majorité d’Américains sympathisait avec Hitler, particulièrement dans les milieux industriel et financier WASP. De plus, comparé à l’antisémitisme militant d’un John Ford, celui des Bush était bien discret : ni Baker ni Tarpley ne peuvent leur attribuer un seul propos antisémite, ni d’ailleurs pro-nazi [30].
En résumé : La CIA et les exilés cubains qu’elle sponsorisent ont planifié une tentative ratée d’assassinat, prévue pour épargner Kennedy mais le forcer à engager des représailles contre Cuba. Israël ne s’intéresse pas à Cuba mais veut se débarrasser de Kennedy. Lyndon Johnson également. Il est d’ailleurs depuis toujours l’homme d’Israël et a été imposé comme vice-président à Kennedy par le lobby sioniste. Ensemble, la mafia juive et les hommes de Johnson à Dallas transforment l’opération de la CIA en assassinat réussi. Immédiatement après que le tireur de la CIA (Oswald ou pas) ait raté volontairement depuis le School Book Depository, les tueurs du clan Johnson-Sion (peut-être embauchés à Murder, Incorporated, une branche de la Mishpucka) explosent la cervelle de Kennedy depuis le grassy knoll. Jacob Rubenstein (alias Jack Ruby), un homme de main de Johnson finit le boulot deux jours plus tard, croyant à tort qu’il obtiendrait la grâce présidentielle. Il mourra en prison en 1967, en traitant Johnson de « nazi de la pire espèce » et confiant à son rabbin et à son avocat avoir agi « pour les juifs ». Une fois au pouvoir, Johnson force sous le chantage la CIA à renoncer à leur faux complot pro-cubain et adopter la théorie du tueur solitaire (il calmera la frustration du complexe militaire en leur offrant le Vietnam au lieu de Cuba). Arlen Specter, « défenseur infatigable de l’État juif », n’aura aucune difficulté à vendre sa « balle magique » aux médias complaisants, tandis que Mark Lane (né Levin) orientait la contestation sur la piste de la CIA avec un article du Guardian quatre semaines seulement après l’assassinat. Et durant cinq années, Johnson fera tant pour Israël, notamment en soutenant leur guerre d’expansion de 1967 (malgré le fiasco du USS Liberty), que la presse israélienne, fouillant son arbre généalogique, concluera : « Il n’y a aucun doute qu’il est juif. »
Laurent Guyénot