L’histoire collective du monde musulman et de la France débute avec fracas en 732 pour s’achever piteusement en 1962. Entre ces deux dates : croisades, massacres, batailles... que d’épisodes sanglants !
Mais la France et l’Islam, c’est aussi l’alliance de François Ier et de Soliman le Magnifique, l’expédition de Bonaparte en Égypte, le passé colonial et ses fameux bureaux indigènes en Afrique du Nord, la fraternité d’armes dans les tranchées de la grande guerre, les campagnes de libération de l’Europe entre 1943 et 1945 : un destin commun partagé pendant près de 150 ans. Aujourd’hui, il y a près de huit millions de français de confession ou de tradition musulmane.
Il y a une islamisation de la France, c’est un fait sociologique et démographique incontestable. Beaucoup en dénoncent les dérives. Même si leur approche est anxiogène et par certains aspects réactionnaire, elle est légitime et représentative des craintes d’un nombre croissant de Français. La solution politique proposée par certains consiste à l’arrêt de la construction des mosquées-cathédrales, financées par les deniers publics, et le respect intégral des lois françaises. Cette approche est inadéquate.
Il faut apporter des réponses pour encadrer cette religion, en étant ferme mais juste, pour trouver un modus vivendi compatible avec les valeurs de la Nation française. Mais il convient tout d’abord de faire un diagnostic de la situation, et d’expliquer certaines caractéristiques françaises. Le modèle universaliste français s’accommode mal d’une société multiculturelle, donc différentialiste.
Pour l’illustrer, un musulman me rapportait le propos d’un militant FN à son endroit : « Je mange le couscous, pourquoi ne mangez-vous pas la choucroute ? »
Cette réaction absurde vis-à-vis d’un musulman cache une métaphore de la conception française de l’identité : « Je mange le couscous » signifie l’ouverture et la capacité de s’approprier des éléments de culture et d’origine extra-française, confirmant que la France a une identité ouverte et évolutive.
Pourtant, notre ami y pose une condition sous forme de reproche : « Pourquoi ne mangez-vous pas de choucroute ? » Il y a un besoin de réciprocité.
L’universalisme français est à double tranchant : ouverture d’un côté, et uniformisation violente de l’autre. Deux facettes dont le jeu complexe explique les conflits qui jalonnent l’histoire de France. Nous nous devons de le prendre en compte. La conception tronquée de la laïcité devenue fanatique et intolérante veut que l’on s’interdise d’intervenir dans l’organisation d’un Islam en France. Pourtant, l’État est déjà intervenu dans l’organisation des cultes : il suffit de regarder le concordat alsacien, ou, en 1905, la violente séparation de l’Église et de l’État.
Le rôle du politique est d’anticiper, de gérer la « vie publique ». La laïcité française, la vraie, pas celle des antireligieux faussement laïcs, est un instrument efficace pour gérer la relation du temporel au spirituel dans la vie publique.
De la francisation de l’islam à un islam de France
L’islam (sunnite, majoritaire en France) n’est ni homogène ni centralisé en raison de son absence de clergé hiérarchique et de l’abolition du califat en 1924. Il est inscrit de facto, dans 95 % des cas, dans un fonctionnement national que l’on peut qualifier d’oumma [1]-nation comme au Maghreb, en Indonésie, en Turquie, en Iran, ou minoritaire dite d’oumma-mondial, dans sa forme panislamiste dont le salafisme est l’incarnation parfaite.
En l’absence de référent fort et structuré, l’islam de France ne cessera pas de s’identifier à des pays ou organisations étrangères. L’universalisme français et la laïcité sont en réalité des atouts majeurs à notre disposition, pour proposer une solution.
Soyons acteurs en imposant notre règle du jeu pour accueillir concrètement l’islam dans le giron de la nation française. La francisation de l’islam est donc un préalable absolu pour passer d’un islam en France à l’islam de France ; comment y parvenir ?
Il faut en premier lieu lever la tutelle des États maghrébins, dont nos populations musulmanes sont majoritairement issues, qui maintiennent par des pressions diverses le statut d’une double nationalité pervertie, contraignante, schizophrénique et niant la francité de leurs ressortissants. C’est un levier de pression économique sur la France, qui leur permet d’imposer leur version politique de l’islam. C’est donc à l’État, au nom de l’intérêt supérieur de la Nation, d’être le maître d’œuvre et d’organiser les conditions d’un cadre propice à cet islam de France. L’initiative de Napoléon qui organisa par la réhabilitation du Grand Sanhédrin [2] l’émancipation des juifs de France et leur intégration a la nation française en est un illustre exemple.
Cette francisation, donc, s’articulerait autour de trois axes majeurs et indissociables :
• La création d’un Fonds français islamique (FFI), contrôlé par l’État et géré par une élite de Français de confession islamique, permettant la constitution d’un patrimoine.
Trois solutions de financement existent pour se départir des subventions publiques et étrangères. La première est la taxe halal : l’État organiserait ce monopole, partageant ainsi cette recette entre lui-même et cette institution. Aujourd’hui, le « business halal » est opaque et profite aux sociétés privées [3], or ce sont des dizaines de millions d’euros qui pourraient ainsi être réaffectés pour le bien de la collectivité nationale et du FFI. La seconde source de financement, la finance islamique, pourrait profiter à ce fonds sous forme de taxe sur les investissements et dépôts financiers. Et enfin, la Zakat (l’aumône légale) peut également être centralisée dans ce fonds. Ces revenus draineraient des sommes colossales au profit de tous les français et pas seulement du FFI. Il serait par conséquent possible d’interdire tout financement par des États ou des organismes étrangers.
Il est très important de relever que ce FFI ne s’entend pas comme un moyen pour l’État de financer l’islam de France, ce qui serait une manière de l’acheter (avec les impôts des contribuables non-musulmans !), mais bien comme un moyen pour l’État d’organiser un financement qui sera le fait des musulmans eux-mêmes, qui ne coûtera rien au reste de la collectivité, et qui permettra aux musulmans de s’inscrire en France comme les adeptes d’une religion parmi d’autres. Religion musulmane qui admet la laïcité comme référence obligée dans l’espace public, et s’organise en interne de manière à accompagner spirituellement ses fidèles sans nuire à l’équilibre politique de la Nation. C’est la condition sine qua non pour que l’Islam soit vu par les Français, musulmans et non musulmans, non comme une question politique, mais comme une des réponses religieuses possibles.
• La constitution de pôles d’excellence intellectuelle et l’émergence d’une élite française musulmane financée par le FFI, en collaboration avec les meilleurs centres intellectuels publics et catholiques (ou autres confessions reconnues) de sciences religieuses, humaines, sociales, philosophiques, et littéraires pour les former à la pensée française et européenne. La production intellectuelle permettrait de se détacher progressivement du poids tutélaire des centres intellectuels islamiques mondiaux tels qu’Al-Azhar, La Mecque, Qom, Fès ou Kairouan. Un ijtihâd [4] par des savants français musulmans pour un islam de France pourrait aisément prendre pied grâce à cet espace libre et dynamique. Ces centres universitaires permettront la création d’une élite française méritante et l’arrivée d’interlocuteurs légitimes. Un haut conseil chapeauterait ces institutions dont les nominations seraient faites par l’État. L’engagement de cette élite par le biais d’un organe représentatif en serait l’aboutissement, mais ce serait aussi la fin de l’islamisation de la France et le début de la francisation de l’islam.
• En échange d’une politique bienveillante et volontariste de l’État français, il conviendra de la mise en place d’un pacte national avec les autorités légitimes et représentatives de l’islam français, un engagement contractuel qui spécifiera les conditions précises de respect des fondements politiques et historiques de la France. Il permettra l’uniformisation des us et coutumes sur le modèle universaliste français. Ce pacte devra être explicite, et il faudra que les Français non-musulmans le voient mis en œuvre, car l’inscription de l’islam dans le paysage religieux français constitue un réel traumatisme pour les populations autochtones, et il faudra longtemps pour que ce traumatisme soit surmonté. Rappelons qu’une population préexistante pense par hypothèse que « son » modèle doit s’imposer aux nouveaux arrivants, et que la France catholique a encore du mal à admettre que « son » modèle politique est la laïcité, et pas le catholicisme (modèle religieux). L’arrivée de l’islam confronte cette France catholique à ses propres incertitudes identitaires, d’où son désarroi.
L’État serait l’architecte en chef de cette armature et l’instigateur d’une élite française musulmane. Une élite qui se chargera de répondre d’un point de vue théologique et pratique aux problématiques de l’islam de France. Elle élira ses représentants en conformité avec le pacte national (décrit plus haut).
Ce système aurait plusieurs avantages : assurer la paix civile, accélérer l’assimilation des Français récents de confession musulmane et les valoriser, car ils seront devenus autonomes et productifs sur le plan financier et des idées. Ces nouveaux Français ont besoin de cette valorisation ; c’est justement parce qu’ils se sentent dévalorisés qu’ils ont tendance à manifester de l’agressivité. Eux aussi subissent un traumatisme : celui du déracinement.
Les choix idéologiques seraient sous l’entière responsabilité de cet organisme musulman français. Est-ce que l’islam peut séparer le spirituel du temporel et peut-il se conformer aux valeurs et règles de vie françaises ? Il appartiendra à cet organisme de répondre à cette question.
Devons-nous utiliser l’islam comme arme contre le mondialisme ? Ce n’est pas souhaitable. L’islam a des valeurs qui s’opposent frontalement au mondialisme dans sa forme actuelle, mais « l’oumma mondiale » ne mène le combat que pour mieux s’y substituer. La place de l’islam de France est à la mosquée ; nous sommes Français, et la Nation ne peut pas se ranger sous quelque bannière religieuse que ce soit pour lutter contre le mondialisme prédateur. La cause qui justifie la Nation, c’est la Nation elle-même, c’est-à-dire le meilleur cadre de la souveraineté populaire. La religion est désormais une question d’ordre privé, qui peut influer la vie publique à travers les individus qu’elle forme, mais pas la structurer directement. L’islam de France pourra faire preuve d’utilité par sa contribution à la formation de citoyens responsables et utiles au bien commun, comme toutes les autres religions.
L’histoire de France nous montre que les guerres de religions et les conflits sanglants ont malheureusement été des moyens ruineux de régler ce type de situation. L’autre danger immédiat vient d’un conflit économique transformé en un conflit ethno-confessionnel par les élites mondialistes, mais il est encore possible de faire un Édit de Nantes avec l’islam, et l’on pourra faire l’économie d’une Saint-Barthélemy si nous sommes vigilants.
Sur l’islam, chez Kontre Kulture :