Récemment, le Parti du Travail de Belgique (PTB) a pris des positions courageuses , en tout cas pour un parti représenté au parlement, sur la question palestinienne, appelant par exemple à suspendre certaines relations commerciales entre la Belgique et Israël.
Cette position, qui devrait être généralisée, est assez rare et doit être applaudie. Le PTB a aussi été, surprise, surprise, accusé d’antisémitisme, ce dont il s’est défendu dans un communiqué.
Il y a malheureusement beaucoup de choses critiquables dans cette « défense » du PTB face à l’accusation d’antisémitisme : bien sûr, ils ne sont pas antisémites et le soutien aux Palestiniens ne l’est pas non plus. Mais leur défense sous-estime les effets que l’accusation d’antisémitisme a dans nos sociétés, bien au-delà de la question palestinienne.
En effet, ils écrivent qu’il vont continuer « à réagir contre toutes les expressions d’antisémitisme », sans définir ce qu’est l’antisémitisme. Or tout le problème est de savoir de quoi il s’agit. L’antisémitisme, est-ce la défense de la liberté d’expression ? Le fait de rire aux spectacles de Dieudonné ? De lire des ouvrages interdits à propos de l’holocauste ? De considérer comme déterminante l’action du lobby pro-israélien dans la politique américaine au Moyen-Orient ? Tout cela est stigmatisé au nom de la « lutte contre l’antisémitisme ». Tant que le mot « antisémitisme » n’est pas défini, dire qu’on va réagir contre son expression mène à l’arbitraire.
Si l’antisémitisme c’est « détester les juifs pour ce qu’ils sont et pas pour ce qu’ils font » (ou que certains d’entre eux font), il faudrait donner des exemples de gens rentrant dans cette catégorie, c’est-à-dire de gens qui auraient les opinions qu’ils ont sur les juifs indépendamment des actions d’Israël, de celles des organisations communautaires, des campagnes de haine menée au nom de l’antiracisme etc. Et comment démontrer une telle accusation ?
Ensuite le PTB « rappelle qu’il a été fondé en 1979 par la résistante juive Juliette Broder, pour qui l’engagement pendant la Deuxième Guerre Mondiale dans la résistance contre le régime meurtrier d’Hitler faisait intégralement partie de son engagement marxiste. » J’ai connu Juliette Broder mais je ne peux pas m’en réclamer, vu que j’étais en désaccord avec elle sur beaucoup de points, en particulier l’URSS et Staline.
Je n’ai pas non plus combattu « le régime meurtrier d’Hitler », vu qu’il était mort quand je suis né et que j’ai peu de goût pour les combats aussi faciles qu’imaginaires.
Mais, cela étant, ai-je néanmoins des droits, en particulier ceux qui me sont conférés en principe par la constitution de mon pays, à commencer par le droit à la liberté d’expression ? C’est toute la question qui est occultée par la défense adoptée par le PTB.
Les gens qui ne sont ni juifs, ni marxistes, qui n’ont pas combattu le fascisme, et qui ne croient pas à une société-bisounours (une « perspective socialiste d’une société solidaire, chaleureuse et tolérante ») devraient néanmoins avoir des droits. Je note au passage qu’en 1979 le socialisme du PTB (et de Juliette Broder) était fondé sur l’idée de dictature du prolétariat, ce qui n’est pas tout-à-fait la même chose que la « solidarité et la tolérance » ; on peut d’ailleurs se demander si, dans la société-bisounours envisagée, les mal pensants (ceux qui n’aiment pas la tolérance par exemple) auraient les droits que la dictature du prolétariat leur refusait.
Avant de parler de bons sentiments (chaleur et tolérance), il faudrait parler d’égalité des droits, pas en Palestine, mais dans nos propres sociétés, pour ceux qui aiment les spectacles de Dieudonné et ceux qui ne les aiment pas, pour ceux qui pensent qu’il y a un lien entre judaïsme et sionisme et pour ceux qui ne le pensent pas, et pour tous ceux qui ont des vues hétérodoxes en histoire, sur Hitler, Staline, Mao, Pol Pot, Pétain, De Gaulle ou Napoléon. On pourrait allonger la liste, mais il est évident qu’une telle égalité aujourd’hui n’existe pas.
Le remplacement du droit par les bons sentiments est sans doute la plus grande menace pour ce qu’il y a de relativement civilisé dans nos sociétés, à savoir le respect de règles légales qui sont les mêmes pour tous. Cela menace même à terme le « vivre ensemble » que les bonnes âmes prétendent défendre.
La réponse correcte aux accusations d’antisémitisme n’est pas de s’en défendre pour soi-même (« c’est pas moi, Monsieur, c’est l’autre »), mais de défendre la liberté d’expression pour tous. Si quelqu’un crie au loup, on n’est pas obligé de démontrer qu’on ne marche pas à quatre pattes, qu’on ne hurle pas à la pleine lune et qu’on ne dévore pas les brebis. La croyance à la nécessité de se défendre de l’accusation d’antisémitisme comme le fait le PTB n’est d’ailleurs pas propre à ce parti, mais contamine presque toute la gauche et est une des sources de sa faiblesse.
On ne peut rendre de pire service aux Palestiniens que de refuser à nos propres concitoyens, au nom d’une lutte mal définie contre l’antisémitisme, leur droit à leurs libertés les plus fondamentales. Il ne faut d’ailleurs pas s’étonner si, une fois ce droit détruit, les journalistes et politiques ici sont si biaisés sur la question palestinienne (alors que beaucoup d’entre eux n’en pensent pas moins en privé).
Tant que nous n’assumerons pas collectivement nos droits, nous continuerons à être soumis au chantage des organisations et des individus qui défendent Israël (et les États-Unis). Le jour où nous les assumerons, cette accusation d’antisémitisme rejoindra celle de mécréant ou d’ennemi du peuple qui aussi a été une arme de terrorisme intellectuel en d’autres temps et d’autres lieux.