Mort en 1983, Georges Remi, alias Hergé, fait à nouveau parler de lui, et c’est encore pour une sordide et pénible histoire de prétendu racisme. Cette fois, ce n’est plus Tintin au Congo qui est dans le viseur (un album condamné, je le rappelle, par la justice britannique) mais Tintin en Amérique, sorti en 1932 chez Casterman et révisé en 1973.
Le Figaro nous apprend en effet que des résidents du Winnipeg, au Canada, ont demandé à une librairie de retirer de ses rayons le troisième album des aventures du célèbre reporter belge « parce qu’ils estiment son contenu fortement discriminatoire envers les premières nations ». Numéro 1 des ventes des aventures de Tintin, cet album dégagerait « une vision péjorative des Autochtones » et présenterait « les Indiens comme des êtres sauvages et dangereux, des êtres que l’on doit craindre ». On croit rêver !
L’un des grands mystères de la psychologie humaine : les bonnes intentions et les authentiques actes méritoires sont rarement compris et moins encore récompensés. Quand on sait à quel point Hergé était – comme Julius Evola et Frithjof Schuon – fasciné par ceux qu’on appelait alors les « Peaux-Rouges » et qu’il a voulu cet album comme une critique carabinée du capitalisme américain qui s’est développé sur les ruines d’une civilisation traditionnelle détruite pour instaurer le culte du Veau d’Or, on reste pantois devant tant d’injustice et d’ignorance. Le principal biographe d’Hergé, Pierre Assouline, a reconnu que dans cet album « le dessinateur s’emploie à démythifier le “cruel sauvage” ». Pour ce projet, Hergé avait pris pour documentation les Scènes de la vie future de Georges Duhamel – également utilisé par Louis-Ferdinand Céline pour le Voyage –, un livre qui porte un regard terrible et sans concession sur la société de consommation déshumanisée dans laquelle il s’est immergé à la fin des années vingt : il y montre, avec dégoût, le puritanisme échevelé et la formidable corruption qui règnent sur un pays sans âme ni histoire.
Que peut-on reprocher à Hergé ? De ne pas présenter tous ses Indiens comme des héros sans tache ? So what ? Est-ce une raison pour le censurer et vouloir en interdire la vente dans certaines maisons ? On reconnaît un imbécile à ceci qu’il est binaire comme les pires navets d’Hollywood. Être incapable de comprendre qu’un artiste, pour de banales raisons de vérité historique et aussi pour la crédibilité même de son œuvre, ne puisse pas passer son temps à dessiner des bons qui ne sont que des saints (le capitaine Haddock n’est-il pas un alcoolique ?) et des méchants qui ne seraient que foncièrement des salauds (Rastapopoulos n’est-il pas un personnage ridicule dont le burlesque atténue le cynisme ?) est le sommet de la bêtise, dont Flaubert disait avec raison qu’elle était son seul véritable ennemi. En conséquence : vive Tintin et mort aux cons !