Ça fait un bout de temps que le clown triste Finkielkraut et une poignée d’israélolâtres se sont mis en quatre pour défendre un principe : celui de l’identité nationale. Avec quelle véhémence il faut les entendre glapir. La patrie über alles !
Racines, terroir, verts pâturages, clochers carillonnants… Leurs cœurs vibrent à l’unisson pour des images de carte postale que Déroulède aurait bénies des deux mains. Sous leur plume, on assiste à la résurrection des Cuirassiers de Reichshoffen. « Sambre et Meuse » ! « Et, malgré vous, nous resterons français » ! Les voilà prêts à se damner pour un défilé de Jeanne d’Arc. Ne sont-ils pas « à l’avant-garde de la République », comme le déclare le toréador coquet ? Que dis-je, de la République ? De la France éternelle ! C’est beau, et comment dire ? C’est trop beau. On ne leur connaissait pas, à ces gens-là, cet attrait irrépressible, cet amour inextinguible, cette passion folle pour France-la-doulce. Cette soif de Clovis et de Charlemagne. Cette nostalgie du curé de campagne.
Fut un temps pas si lointain où, les yeux injectés de sang, ils sortaient de leurs gonds dès que l’expression « identité nationale » survenait dans la discussion. Le plus banal des gaullistes était tenu pour un adepte de Mussolini. J’ai très bien connu cette époque idiote. On les voyait alors éructer, sangloter, se couvrir la tête de cendres, agonir le nazi qui avait osé proférer une saleté démentielle qui rallumait les crématoires d’antan. Que n’ai-je entendu sur l’identité nationale. Ils auraient donc changé...
Après tout, la rédemption ça existe. Changé, mais pourquoi ? Oui, pourquoi ? Parce qu’ils sont subitement tombés raides dingues du pays de Racine et Corneille, de la « mère des arts, des armes et des lois » ? Parce que leurs yeux s’illuminent lors des Grandes Eaux de Versailles ? Parce qu’ils tombent à genoux quand ils visitent la cathédrale de Chartres ? Parce qu’il leur est impossible de passer une journée sans s’évanouir d’extase en lisant une page de Saint-Simon ? Ce serait un peu vite oublier que Finkielkraut a fondé avec BHL l’Institut d’études lévinassiennes, basé à Jérusalem ; que Gilles-William Goldnadel est président de l’Association France-Israël ; que Meyer Habib a été un gros bras des milices sionistes ; j’en passe. Si tous les cerveaux fonctionnaient convenablement, je veux dire sans tabou ni auto-hypnose, bref à 37 de température, on comprendrait vite que ce n’est pas tout à fait le thème de la pièce de théâtre qui est en train de se jouer devant nous. Car ces nouveaux convertis n’ont qu’un objectif en tête, pas très difficile à comprendre pour qui les observe depuis longtemps : celui de rendre honorable l’idéologie maladivement tribale d’Israël, d’en faire la propagande sous tous les climats et de profiter de l’occasion pour jeter un pont entre les sionistes et une certaine droite, prête à tout pour sortir la tête de l’eau.
On assiste à une telle proximité dans chaque livraison de Causeur, le magazine de l’hystérique Lévy (pas BHL, l’autre) ou dans Valeurs actuelles (président du conseil de surveillance : Olivier Dassault), pour ne citer que ces deux organes de la Francisraël. Dans le viseur, la cible principale : l’islam. Avec son cortège désigné : l’antisémitisme, le révisionnisme, le renouveau du nazisme, etc. Je sais bien qu’ils ne profèrent pas que des bêtises. Ils ont parfois de belles envolées. Le lyrisme, ça les connaît. Parfois ils dansent en rythme. Causeur a réalisé en début d’année un joli dossier sur Dieudonné et Ernst Jünger. On appelle ça de la récupération. Le piège à loups est tendu. Et c’est dans ce piège gros comme Meyer Habib (peu mis en avant car aussi mou du bide que du bulbe) que tombent ceux qui veulent bien s’y laisser prendre, parce qu’ils y trouvent un intérêt quelconque, souvent d’ordre personnel et carriériste. Le dernier en date, Ivan Rioufol, résidant au Figaro, l’avoue sans hésiter :
« La France ne doit pas avoir honte de défendre son identité. La démocratie israélienne, confrontée depuis longtemps au même défi de l’islam radical, devient un exemple à suivre. »
Enfin un peu de clarté !
Et Zemmour, là-dedans ? Ah, celui-là. J’ai pris sa défense naguère, quand la meute des bien-pensants se déchaînait contre lui et je ne retire pas un iota à ce que j’ai écrit. Que voulez-vous ? J’ai mes bonnes oeuvres. Il aime tellement paraître antipathique qu’il ne réussit pas à l’être autant qu’il le voudrait. Il est assez évident qu’il se démarque des autres ne serait-ce que parce qu’il a le cul entre deux chaises. Chez Jean-Marie Le Pen, au début des années 2000, il était très en cour, chose rarissime dans sa confrérie ; personne ne connaissait Louis Aliot à l’époque. Il avait une longueur d’avance, Éric. Un petit malin.
N’empêche. Si Zemmour était parfaitement honnête avec lui-même et voulait, en tant que patriote impartial, s’en prendre aux vrais responsables de la montée de l’antisémitisme en Occident et dans le monde, il devrait systématiquement pointer du doigt les États-Unis et pas le Coran, qui existait, que je sache, bien avant les attentats de Toulouse et de Bruxelles. Au XVIIIe siècle, le Vénitien Casanova estimait « le mahométisme plus raisonnable que le christianisme » (Le Philosophe et le théologien) ; on ne peut soupçonner le libertin d’avoir été un fanatique religieux. Sous le Second Empire, du haut de Notre-Dame l’émir Abd el-Kader s’écriait, admiratif : « Paris est une ville de géants ! » Et pourtant ce grand seigneur avait perdu la guerre. Je ne crois pas non plus que l’un des meilleurs spécialistes de la spiritualité traditionnelle, René Guénon, devenu ’Abd al-Wâhid Yahyâ, ait enseigné un jour qu’il faille faire sauter les synagogues muni d’une GoPro à la ceinture. Non, Zemmour, ce sont les Yankees qui ont armé les islamistes dans les années 1980 en Afghanistan, eux qui leur ont fait jouer une influence néfaste en Europe dans les années 1990, et puis eux encore qui ont rompu l’équilibre au Proche-Orient en menant une suite infernale de guerres néo-coloniales sans scrupules. Ils ne sont pas musulmans, ils sont athées, juifs ou chrétiens dans la version la plus nulle de toute : l’évangélique.
S’il voulait pousser la logique jusqu’au bout, Zemmour commencerait enfin par souligner l’influence néfaste du plus gros vecteur d’antisémitisme au monde : Israël lui-même, pays le plus cordialement détesté par toute la planète du fait de l’état de guerre permanent qu’il inflige à la région (et au reste du monde par extension), de sa paranoïa furieuse, de son racisme pénible, de sa chutzpah ostentatoire et de la propagande roublarde qu’il fait ingurgiter tous les jours, 24h sur 24, à tous les peuples de la terre – l’une des plus grosses pompes à fric de l’histoire.
Avant de désigner le banlieusard de base, c’est par là que Zemmour devrait creuser et non dans l’interprétation oiseuse de sourates dont il ne maîtrise pas le sens. Le « banlieusard de base » salafisé tombe dans les pièges tendus par le système ; comme les autres, et parfois un peu plus que les autres. Il a sa part de responsabilité, qui s’appelle prioritairement la connerie. Mais ce n’est pas lui qui a dressé les plans. Il n’est pas l’ordonnateur des conflits. C’est un maillon de la chaîne, un pion, un type qui n’est pas intégré dans une société devenue inintégrable et qu’on envoie au feu sans vergogne pour que son geste jette l’opprobre sur une communauté qu’il croit défendre et une cause qu’il entend servir. Bien documenté, Zemmour devrait être suffisamment informé pour le savoir. Alors, doucement les basses, haut les coeurs et désignons les vrais coupables de ces fléaux sans tomber dans les rets que dressent les agents d’Israël pour des intérêts qui ne sont pas les nôtres. La France ne s’en portera que mieux, et on pourra visiter ensemble le Grand Trianon en chantant :
Au diable guerres,
Rancunes et partis !
Comme nos pères
Chantons en vrais amis,
Au choc des verres
Les roses et les lys !
Évidemment, je rêve.
Paul-Éric Blanrue, 8 juin 2014