Un certain nombre de personnes ont mis en doute sur Twitter l’explication que je donnais de l’origine de l’euro dans le rapport écrit pour le Club Valdaï et publié il y a quelques jours [1].
Certains esprits atteints de complotisme aigüe vont même jusqu’à imaginer on ne sait quel « complot » du gouvernement russe (d’ailleurs, quand vous êtes en difficultés, attribuez toujours cela à un « complot russe ») quant à la publication de ce texte. La réalité est, comme toujours, beaucoup plus simple. On la trouve dans des pages de mon ouvrage Faut-il sortir de l’Euro ? publié au début de 2012 aux éditions du Seuil, et donc écrit durant l’année 2011. Mais, s’il est un fait aujourd’hui avéré c’est bien que les soi-disant « vérificateurs » ne vérifient rien et lancent des accusations, non pas au hasard, mais sur des bases fausses. Je republie ici des extraits de ce livre pour que l’on puisse juger de l’intégralité de mon raisonnement.
À la fin des années 1980 nous vivons dans ce que l’on appelle le « Système Monétaire Européen » ou SME. Ce SME a connu des crises. Mais l’histoire de ces crises a été réécrite par les partisans de la monnaie unique. En particulier, on a systématiquement omis de préciser ou de rappeler que les pays parties prenantes du SME avaient tout fait pour laisser le champ libre à la spéculation. L’euro aurait-il donc été fondé dès le départ sur un mensonge ?
Aux origines de l’euro…
Le SME fut précédé du « Serpent monétaire européen », lui-même résultant du « rapport Werner » remis en 1970 [2]. On le voit, les tentatives de constitution d’une zone monétaire européenne sont anciennes. le 27 octobre 1977 le président de la Commission européenne, le Britannique Roy Jenkins, proposa la création d’une monnaie unique pour les neuf pays qui composaient alors la Communauté économique européenne. Mais il assortit sa proposition de l’idée d’un budget communautaire se montant à 10 % du produit intérieur brut (PIB) des pays membres. L’idée d’un budget communautaire important comme garantie d’une monnaie unique allait techniquement dans une direction qui était logique, mais elle fut politiquement rejetée par la totalité des pays concernés.
La création du SME fut annoncée en mars 1979 après plus d’un an de laborieuses négociations. Ce système encadrait les fluctuations des monnaies autour d’un cours pivot de référence calculé à partir d’un « panier » de monnaies des pays membres, l’ECU ou European Currency Unit [3]. Il réussit au début à stabiliser les cours des monnaies européennes les unes par rapport aux autres. Une légère réévaluation du deutschemark le 23 septembre 1979 ne provoqua aucun remous. Il commença à connaître ses premières difficultés avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir et les trois dévaluations successives du franc. Cependant, après le virage « pro-Europe » en 1982-1983 des socialistes français sous la houlette de Jacques Delors, la situation se stabilisa jusqu’en 1992. On a ainsi « oublié » que le SME avait pu fonctionner, en dépit de ses défauts et de l’ouverture progressive des économies aux mouvements de capitaux, pendant près de neuf ans.
En 1992, une violente spéculation déclenchée à la suite de l’échec du référendum danois sur l’Europe provoqua la dévaluation de la lire italienne et de la peseta espagnole. Puis, la livre sterling fut obligée de quitter le SME. En 1993, une nouvelle vague de spéculation épuisa les réserves de la Banque de France. Les marges de fluctuations furent portées de 2,5 % à 15 % et le SME disparut de fait à l’été 1993 [4].
Cet échec fut largement perçu comme le produit d’une spéculation que l’on ne pouvait empêcher et traduisant l’inanité de « demi-mesures ». Le meilleur moyen de supprimer la spéculation n’était-il pas de n’avoir qu’une seule monnaie ? Seule, l’adoption d’une monnaie unique pouvait permettre de produire un système stable, du moins l’affirmait-on à l’époque. Nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien. La spéculation s’est en fait reportée des taux de change aux taux d’intérêt de la dette souveraine entre chaque pays.
Les origines « allemandes » de l’euro et la question de la démographie
Le Système monétaire européen ne satisfaisait nullement l’Allemagne. Il laissait trop de possibilités aux autres pays de rééquilibrer leur position par des dévaluations successives. Il fallait, pour les dirigeants allemands, sécuriser l’accès des produits de leur industrie aux marchés de leurs voisins.