Pini Zahavi est l’ancien journaliste foot devenu agent de joueurs qui a compris avant tout le monde qu’il fallait devenir propriétaire des joueurs, avec des parts, comme dans une société anonyme. Et anonyme, ça va bien à Pini, qui n’apparaît pas ou si peu derrière le transfert du siècle, celui de Neymar au PSG. La « tierce propriété » permet de partager les risques sur un joueur, ou un dada, car il peut toujours se blesser, ou ne pas confirmer les espoirs (financiers) que ses proprios ont placés en lui. Il reste une incertitude dans le foot : ce n’est pas celle du résultat, mais bien de la cote des joueurs, et Zahavi est le roi de la Bourse des joueurs. À côté, Mendès, le plus grand des agents, n’est qu’un intendant qui joue dans la cour des petits.
- Neymar arrive à Paris
Il y a deux dates importantes qui ont changé le football professionnel : l’arrêt Bosman en 1995 qui permet à n’importe quel joueur européen d’aller dans le club de son choix, ce qui a tué l’ancrage régional et national du football, et 2001, lorsque Zahavi monte une opération sur le transfert d’un joueur colombien d’Argentine en Angleterre (Aston Villa). Second gros coup, Zahavi participe à la vente du club londonien en déshérence de Chelsea au milliardaire russe Roman Abramovitch (2003).
On nage désormais dans le marigot des oligarques juifs russes extradés. Et là, on touche à la bande Berezovsky (le financier de la « révolution orange » ukrainienne de 2004, « suicidé » en 2013) et Gaydamak (mécène israélien en prison en France puis sous bracelet électronique) : on n’est plus seulement dans le foot mais dans le gros business international, dont la vente d’armes à l’Angola, un pays alors en guerre qui excite l’appétit des trafiquants. L’Angola, un pays dont on dit que les routes sont pavées de diamants.
Avec les montages de Zahavi, qui utilise à plein régime les avantages fiscaux des îles britanniques (Guernesey), on se rend compte qu’Israël est devenu une plaque tournante du marché des transferts mondiaux, alors qu’Israël ne pèse rien en tant que nation de football. Pourtant, des allers et retours de joueurs israéliens dans la Premier League anglaise alertent les autorités britanniques. Les deals de Zahavi ne sont pourtant pas déclarés illégaux : il crée des sociétés qui prennent des parts sur les transferts en cours de certains joueurs, et sur leurs transferts à venir. Et 50% sur le transfert d’un joueur qui explose, cela peut donner une culbute de 500 ou 1 000% (10 fois la mise).
Zahavi jongle avec les joueurs d’un pays à l’autre en passant par ses ou des sociétés basées dans des paradis fiscaux ou des pays qui ne sont pas très regardants sur les mouvements financiers (Malte, Gibraltar). Heureusement, Zahavi est associé avec des personnes solides : le milliardaire israélien qui possède le club du Maccabi Haïfa (surnommé le « tremplin vers l’Europe »), ou Gustavo Arribas, le chef du renseignement argentin qui a géré avec Pini les transferts du club très populaire de Boca Juniors, et qui s’est retrouvé cité dans l’affaire des Panama Papers.
« Mister Fix it » (le Bricoleur)
C’est donc à l’occasion du transfert du siècle, pour plus de 200 millions d’euros (222, c’est juste la clause libératoire du joueur réglée au club catalan) de Neymar du FC Barcelone au PSG, que monte à la surface le nom de Pini Zahavi. Son procès pour fraude fiscale ne l’a pas empêché de participer au montage « du siècle », selon toute la presse.
Pour les initiés, Zahavi apparaît derrière Doyen Sports, le fonds d’investissement à la structure archicomplexe qui navigue entre pays de football et paradis fiscaux. Ces rois du brouillage de pistes sont chapeautés par Nelio Lucas, le directeur général de la nébuleuse. Outre Lucas, cette société qui a mis sa main sur les arrières-cuisines du foot a pour actionnaires un Turc (proche d’Erdogan), un Kazakh (en affaires avec Trump) et un Indonésien (propriétaire de l’Inter de Milan). Mais peut-être ne sont-ils que de très gros bonhommes de paille. Doyen Sports est éclatée en une douzaine de petites sociétés formant une holding dans laquelle les transferts d’argent et de joueurs demeurent obscurs. Voici ce qu’en disaient les très sérieux Cahiers du football en 2015 :
On retrouve des figures récurrentes. Simon Oliveira et Matthew Kay sont ainsi actionnaires de Doyen Marketing et Doyen Global. Oliveira gère les droits d’images de Neymar et Beckham, Kay les activités publicitaires de Ronaldo et Mourinho. Les deux hommes sont également directeurs de Squawka Limited (Doyen Marketing Ltd étant actionnaire), un site qui évalue statistiquement les joueurs. Ce qui boucle parfaitement le paysage Doyen Sports.
Des noms qui parleront aux connaisseurs du foot en tant que sport et surtout en tant que business. Conclusion des Cahiers :
Un univers opaque, un montage complexe, une machine à produire des intérêts, des commissions, qui font cracher au bassinet sans vergogne le monde du foot en spéculant sur les joueurs. Une structure tentaculaire qui lubrifie la circulation de ses profits par des transferts de fonds incessants dans des paradis fiscaux. Un monde qui pratique allègrement le mélange des genres. À Malte, des accointances avec les sociétés de paris sportifs en ligne. À Londres dans une société qui évalue les joueurs, y compris ceux dont Doyen Sports détient un pourcentage. Un effarant et cynique jeu de cash cash.
Pourquoi vous parler de Nelio Lucas ? Parce qu’il a été l’employé de Zahavi de 2002 à 2011, ce que Zahavi dément (mollement). Juste pour donner un ordre de grandeur de Zahavi…
L’Équipe du 3 août 2017 tire un portrait plutôt flatteur de l’homme d’affaires, qui est plus qu’un agent :
Derrière le « transfert du siècle » se cache un septuagénaire israélien, ancien journaliste, doté d’un immense empire relationnel, qui gravite dans les sphères du foot-business depuis trente ans.
L’inventeur de la TPO, third-party ownership en anglais et « tierce propriété » en français, se heurte pourtant à la règle de la FIFA qui veut qu’un joueur ne soit pas un vulgaire produit à propriété multiple. Mais les montages de Zahavi sont complexes et échappent étrangement aux foudres de la FIFA. Le Bricoleur ne passe pas son temps avec « ses » joueurs comme Jorge Mendès qui est très lié à Cristiano Ronaldo (englué dans des affaires économiques et de mœurs) : Zahavi ne trait pas les vaches, il revend leur lait.
Sa grande force, c’est aussi son immense réseau relationnel, composé des plus grands dirigeants de club, de chefs d’entreprise, d’hommes politiques, de juristes (comme son avocat Ehud Shochatovitch), d’associés (comme l’agent controversé Fali Ramadani, très implanté dans les Balkans) et de financiers avisés, dans des coups plus ou moins clairs.
En France, ce transfert est un choc politique. Les députés France insoumise, très en verve depuis leur entrée à l’Assemblée (ils profitent de l’apathie du FN), sont montés au créneau pour dénoncer les hauteurs aussi vertigineuses que dangereuses du sport-business, ou du business-sport :
Mais du côté du gouvernement, le ministre de l’Action et des Comptes publics (le Budget, quoi) Gérald Darmanin compte sur les impôts de Neymar (en rêvant un peu), tandis que le très libéral Macron se réjouit :
Avec Zahavi et ses « employés », Israël, pays inexistant en matière purement footballistique, est au centre des mouvements d’agents, d’argent et de joueurs, profitant d’une bulle financière qui ne cesse de grossir.
Sans vouloir jouer aux chevaliers blancs, on constate que cette Bourse non officielle du foot fixe les prix des joueurs sur tous les continents, et relie le foot sport avec le business des paris en ligne, qui brasse des masses d’argent affolantes en Asie. Ce qui peut donner lieu à des matches trafiqués générateurs de gains inespérés.
Pour en revenir au foot, à Neymar, au FC Barcelone et au PSG, deux clubs qui étaient encore en 2015 financés par le Qatar [1], lors du grand match retour de Ligue des Champions le 8 mars 2017, c’est le prodige brésilien qui avait inscrit, dans les deux dernières minutes, les deux buts qualificatifs pour le club catalan, éliminant un PSG qui avait pourtant gagné 4-0 au match aller. Un final hautement improbable pour une cote stratosphérique...
Que voulez-vous, c’est la grande incertitude du sport, et ça fait toute la noblesse – malgré tous les montages financiers possibles et imaginables – du foot !