L’éventuelle sortie de l’euro polarise aujourd’hui une partie du débat politique. Avec la sortie de la traduction en français du livre de Joseph Stiglitz [1], et de quelques autres, cette question a désormais acquis sa légitimité. On sait, et je l’ai d’ailleurs écrit, que l’euro était un problème non seulement économique mais aussi politique, qu’il concernait non seulement la France mais aussi l’Union européenne [2].
Mais, ce débat est caractérisé par des déclarations à l’emporte-pièce, et pour tout dire peu sérieuses. Les implications d’une sortie de l’euro ne sont pas perçues. Or, elles s’imposeront avec une logique impérieuse compte tenu du poids des marchés financiers. Ces implications doivent être discutées dès aujourd’hui. La sortie de l’euro entraînera une reconfiguration importante du système financier français, et le débat sur ce point est capital. Les trois candidats potentiels à l’élection présidentielle d’avril 2017 qui incluent la sortie de l’euro dans leur programme, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et Marine le Pen feraient bien de mettre leurs équipes au travail sur cette reconfiguration à venir s’ils ne veulent être dépassés par les événements.
Les délires de Laurent Wauquiez (et de quelques autres)
Le débat sur la sortie de l’euro s’accompagne donc de déclarations irresponsables, comme celle de Laurent Wauquiez affirmant que l’épargne des français serait amputée de 30 % par une telle sortie [3]. En fait, l’épargne en euro serait reconduite en (nouveaux) Francs. Et, si Monsieur Wauquiez croit que la totalité de notre consommation est importée, il se trompe, et il aurait pu vérifier ses sources facilement auprès des publications de l’INSEE. Mais, Monsieur Wauquiez préfère chercher à effrayer le chaland plutôt que de se comporter en politicien honnête et responsable. En réalité, si l’on admet une dépréciation de 30 % par rapport à l’Allemagne, seuls les dépenses réalisées en produits allemands subiraient le poids de cette dépréciation. Celles réalisées en produits italiens ou espagnols se verraient avantagées car, une sortie de la France de l’euro aurait pour conséquence l’éclatement de la zone euro, et une dépréciation des monnaies italienne et espagnole par rapport au Franc…
Au-delà, on sait qu’une large partie de l’épargne des français est constituée de biens immobiliers, en en général du logement principal. En quoi le « service » rendu par la propriété d’un logement serait-il déprécié de 30 % en cas de sortie de l’euro ? Mystère ; Monsieur Wauquiez, et quelques autres, ont sans doute découvert des lois nouvelles de l’économie, mais ils ont alors omis d’en informer les économistes…Plus sérieusement, on voit que ces affirmations n’ont aucun sens.
L’épargne vise à fournir un revenu régulier qui vient s’ajouter, ou remplacer, le revenu du travail. Ce revenu est dépensé, et pour plus de 50 % il est dépensé en produits et services produits en France. La part de ce revenu qui est consacré à des produits, ou services, importés, ou composés de produits d’importations, provenant de pays dont les devises devraient s’apprécier dans le cas d’une sortie de l’euro n’excède pas 20 % de la consommation totale, cette part étant plus importante pour les hauts revenus et moins importantes pour les bas revenus. Dans le cas d’un dépréciation de -30 % par rapport aux pays à monnaie dite « forte », la perte ne concernerait que le flux de revenu engendré par l’épargne, et se situerait, pour la première année, en moyenne à 6 %, soit cinq fois moins que ce que prétend Monsieur Wauquiez. Mais, dès la deuxième année, la composition de la consommation se modifierait, directement au profit des produits et services issus des pays à monnaies « faibles », indirectement par la relocalisation de certaines des activités issues des pays à monnaies « fortes » vers les pays à monnaies « faibles ». Le surcoût diminuerait rapidement et deviendrait négligeable.
On peut même aller plus loin. Une étude écrite par Cédric Durand [4] (de l’université Paris-13) et Sébastien Villemot (de l’OFCE) montre que le risque provoqué par une sortie de l’euro est nul pour les pays de l’Europe du Sud [5]. L’analyse des bilans, qu’il s’agisse de la dette publique, des banques, ou des entreprises non financières montre que 3 pays concentrent les risques, la Grèce, l’Irlande et le Luxembourg.
De fait, la variation nette de richesse est positive pour la France, la Belgique et la Finlande mais négative pour l’Allemagne, la Hollande et le Luxembourg.