Vienne, octobre 1903. Le corps d’un jeune suicidé est découvert dans la maison qui vit mourir Ludwig von Beethoven ; il s’est tiré une balle de pistolet en plein cœur. Cet homme, c’est Otto Weininger, jeune et brillant intellectuel juif, s’étant distingué quelques mois plus tôt par la publication d’un volumineux ouvrage, Sexe et Caractère, se proposant « d’éclairer les relations sexuelles par une lumière nouvelle et décisive ».
Un pavé dans la mare
Cette vaste étude, englobant plusieurs disciplines scientifiques, n’eut pas, lors de sa parution, le succès attendu par son auteur, la faute sans doute à son aspect virulent et inclassable qui tranchait avec la frivolité et l’esprit de légèreté de la société viennoise de son temps. Le geste d’autolyse de celui qui écrivit que le seul moyen de comprendre vraiment l’existence était la mort, libératrice de la contrainte de sujétion au cadre temporel, n’occupa que quelques lignes dans la rubrique faits divers des journaux. Ce n’est que dans les mois qui suivirent, notamment par l’intermédiaire de l’écrivain Max Nordau que l’œuvre s’imposa comme un apport majeur aux discussions sur la psychologie des sexes. En 1904 on comptait déjà quatre éditions de l’ouvrage qui fut sans cesse réimprimé jusqu’aux années vingt. On raconte encore que Sexe et Caractère fut désigné responsable du suicide d’étudiantes juives, convaincues par sa lecture de leur inaptitude à sublimer leur être doublement imparfait. Par la suite nombre de grands esprits furent marqués par les écrits de Weininger, jusqu’au maitre Julius Evola, auquel ils inspirèrent son remarquable Métaphysique des sexes. Ainsi, dans la conjoncture actuelle de polémiques autour des études de genre, au sein d’un débat d’idées englué dans les toiles d’un néo-totalitarisme bien pensant, où les logorrhées droit-de-l’hommistes ne s’opposent qu’au puritanisme bon teint de la réaction, la réédition de Sexe et Caractère par Kontre Kulture jette un pavé dans la mare plus que réjouissant.
Deux pôles
Pas question ici de déconstruire les identités sexuelles ou de défendre une image d’Épinal du couple traditionnel. Le vernis culturel qui régente les rapports masculin/féminin est impitoyablement gratté, pour mettre à nu, sous la crudité de lampes de laboratoire ce qui fait l’essence de l’homme et de la femme. La place manquerait dans ces colonnes pour relater les nombreuses théories de Weininger, nous nous bornerons donc à indiquer que sa vision globale est celle d’une typologie dualiste entre un principe masculin absolu qui serait actif, productif, conscient et moral/logique, opposé à un principe féminin absolu passif, improductif, inconscient et amoral/alogique. En résumé, ce n’est pas vraiment le livre de chevet idéal pour une femen.
Il est néanmoins à noter que ces modèles ne sont que théoriques et que pour l’auteur tous les individus quel que soit leur sexe biologique ont leurs parts de féminin et de masculin et ont liberté de se positionner entre ces deux pôles ; au diable donc les procès en aliénation patriarcale.
Il est également à noter qu’au delà de la thématique principale de l’étude, le jeune philosophe s’autorise de longues digressions sur des sujets comme le génie, la mémoire, la nature de l’existence qui peuvent sembler parfois fastidieuses mais qui relèvent par moment d’une grande sagesse et contribuent à l’aspect roboratif de l’ouvrage. Nous ne manquerons pas d’attirer l’attention du futur lecteur sur l’avant dernier chapitre qui livre une analyse originale et passionnante du destin métaphysique d’un certain peuple élu.
Rendre possible un dépassement
Mais ce qui nous a paru le plus intéressant dans Sexe et Caractère c’est qu’au delà de l’opposition du féminin et du masculin ou du « juif » et de l’« aryen », c’est le dualisme de la chair et de l’esprit qui est remarquablement mis en valeur, dans une dénonciation toute pascalienne de l’aspect corrupteur de la matière, rendant l’homme esclave de ses envies (comme la femme hyper sexualisée) l’éloignant ainsi de Dieu et de l’éternité. La femme de Weininger qui ne peut qu’être mère ou catin n’est que la personnification de notre société occidentale cumulant parfaitement ces deux fonctions par le paradoxe assistanat/libéralisme. Le plus grand des contresens serait d’interpréter cette étude comme pessimiste du fait des bassesses qu’elle met en évidence dans la condition humaine, bien au contraire l’auteur nous invite par ses réflexions à dépasser ces erreurs pour devenir « de purs êtres humains ». Il s’agit ici non pas de faire tomber les illusions du sentiment et de la perception sensible pour épouser quelque philosophie nihiliste ou un cynisme de mauvais aloi mais pour libérer notre âme afin qu’elle puisse s’élever et rendre possible l’instauration du « Royaume de Dieu sur terre ». Un objectif auquel nous souscrivons volontiers.
« L’humanité attend le nouveaux fondateur de religion, et le combat va vers une décision comparable à celle qui a eu lieu en l’an un de notre ère. Entre la judaïté et la christianité, entre les affaires et la culture, entre la femme et l’homme, entre le genre et la personnalité, entre la non-valeur et la valeur, entre la vie terrestre et la vie supérieure de l’esprit, entre le néant et la divinité, l’humanité a à nouveau le choix. Ce sont là les deux possibilités : il n’y en a pas de troisième ». Socialisme ou barbarie …
Revoir la présentation de Sexe et caractère par Alain Soral :