Ah l’enchantement de ces temps-là ! La vie était facile, on se logeait pour pas cher, les salaires étaient élevés, et les filles gentilles. Le monde s’offrait à nous comme un tas d’huîtres perlières sur un plateau d’argent. On pouvait voyager, changer de pays et de boulot comme on voulait, on pouvait se battre pour la justice et plus de miséricorde pour les autres, chacun cherchait son chemin vers Dieu à sa guise. C’était beau, d’être né après la guerre.
Vous n’allez pas le croire, vous les enfants des générations suivantes, que la vie ait pu être aussi rayonnante. On pouvait s’acheter une maisonnette avec deux chambres dans le Kensington, avec ma paye de journaliste débutant à la BBC. On pouvait traverser l’Afrique et grimper sur les neiges du Kilimandjaro, randonner au Népal, être reporter de guerre, et aller passer un week-end à Paris.
Et le monde débordait de variété. Rien à voir avec la fausse diversité qui consiste à avoir pour voisins un Noir, un Chinois et un Indien, qui vont au même supermarché et voient les mêmes navets d’Hollywood que vous ; l’Angleterre était anglaise, et le Japon japonais. À Londres à la fin des années soixante, ou début soixante-dix, les pubs servaient de la vraie bière chaude, des saucisses grises bien british, et de la tourte au steak et aux rognons ; et le thé Ty-Foo à cinq heures ; et on pouvait fumer à table, et sauter dans un bus à deux étages ; pas l’ombre d’une ceinture à attacher. Les serveuses dans des cafés aux cuillers grasses m’appelaient « Luv »... À Kyoto, les femmes se promenaient en kimono ; et les hommes passaient de longues nuits à boire du saké ; regarder fleurir les cerisiers, et assister au Nô, c’était populaire. La Suède était blonde et n’en avait pas honte, les filles du Nord aux seins nus bronzaient et vous éclaboussaient dans les lacs frais.
Israël, c’était pauvre et âpre, le pays des garçons et des filles basanés, avec leurs fiers keffiyeh. Nous étions fiers de notre service militaire et de faire pousser du blé dans les kibboutz, tandis que les Arabes étaient de nobles paysans, et vivaient dans de vieilles demeures magnifiques. Les Israéliens avaient bonne réputation à l’époque en tant que randonneurs increvables. On s’appelait entre nous les « chasseurs blancs », comme dans les récits d’Hemingway sur l’Afrique.
Tout cela a disparu.
L’autre jour, je n’ai pas pu trouver un seul pub anglais à Londres ; ils servaient du vin et de la cuisine européenne. Pas une dame en kimono à l’horizon, à Kyoto. Les Suédoises ont remis leurs soutiens-gorges parce que les migrants n’arrêtent pas de les regarder avec insistance. Les Israéliens sont devenus insolents et gras. Et plus question de fumer nulle part, ni de boire en conduisant, et les ceintures sont obligatoires même dans les bus.
Notre génération était plus sophistiquée que la précédente. Nous avions interdit d’interdire en 1968. Nous avons arrêté la guerre au Viêt Nam. Nous avons mis fin à la discrimination raciale. Les gays dansaient et ne pensaient pas au mariage, ils ajoutaient une pincée d’exotisme dans le chaudron de la vie, tout comme les étrangers, qui étaient rares même à Londres ou à Paris. J’étais un oiseau rare, quand je me retrouvais avec d’autres écrivains dans les cafés parisiens. Les ouvriers étaient invariablement des locaux et natifs du lieu, tout comme la bouffe et la boisson. L’art du cinéma était florissant. Les meilleurs films étaient faits pour nous par Bergman et Buñuel, Godard et Oshima. Nous observions la course spatiale de deux super-puissances, et nous pensions arriver bientôt sur Mars. L’optimisme social n’avait pas de limites, nous étions sûrs que nos lendemains seraient plus beaux que notre présent.
On en a bien profité... Dommage que le monde que nous laissons à nos enfants et petits-enfants ne soit pas aussi merveilleux, tout surpeuplé et hyper-réglementé.
Nous arrivions dans un monde fraîchement fertilisé par des millions de morts, après la grande calamité de la guerre mondiale. Les historiens disent qu’après la peste noire, le monde était délectable. On le ressent, cela, même si on n’ose pas le dire, il y a là un facteur qui explique en partie l’attirance de l’humanité pour l’Armageddon.
Le nouveau virus chinois nous offre un exemple. Il fait 2 % de morts, ce qui n’est pas beaucoup. Il semblerait que les enfants et les Européens n’en meurent pas, même en cas d’infection. C’est donc une sale variété de grippe, mais pas plus. Chaque virus de la grippe qui se répand aux États-Unis fait bien plus de victimes. La grippe porcine en Amérique avec ses milliards de contaminés et ses centaines de milliers de morts en 2009, c’était une montagne à côté d’un petit pois, le coronavirus. Il s’agit peut-être d’une arme biologique bricolée en laboratoire, mais dans ce cas, elle n’est pas très efficace, à moins que sa férocité ne se révèle bien plus tard.
Quoi qu’il en soit, le battage est immense. Chaque cas de cette super grippe est traité par les médias comme une poussée de peste bubonique. En Israël, il ya zéro cas du nouveau virus, mais toutes les infos commencent par des rapports sur la progression de la chose. En Russie, zéro cas ; plus exactement, deux touristes chinois sont tombés malades, et s’en sont remis. Ceci étant, la Russie connaît bien moins d’hystérie virale que l’Occident ; et le président Poutine a exprimé son soutien au peuple chinois, ce dont ils lui sont reconnaissants ; mais la Russie a quand même fermé sa frontière aux touristes chinois, sauf s’ils sont en transit. Poutine a probablement hésité à prendre le risque d’avoir quelques décès (inévitables) que ses ennemis lui imputeraient à lui personnellement.
Oui, il s’agit d’une agression contre la Chine. Je vois qu’elle a été amplifiée par les suspects habituels, ceux qui écrivent sur l’Holocauste des Ouïgours et les combattants pour la liberté de Hong Kong. Mais ce sont les Chinois qui nous ont mis en alerte rouge avec leurs mesures préventives peu communes.
Il y a un facteur supplémentaire : nous attendons l’Apocalypse, l’invasion des zombies, la guerre nucléaire, le désastre climatique, non pas au niveau de la peur mais de l’anticipation, comme un débiteur épuisé attend le coup du sort ultime qui en finira avec lui comme avec son créancier impitoyable. Nous sommes des débiteurs, endettés et assaillis par l’État et par les grandes firmes. Depuis 1789, les Européens n’ont jamais été aussi déssaisis du pouvoir. Nous ne saurions survivre sans le soutien de l’État, avoir accès aux soins médicaux ou funéraires si nous ne faisons pas corps avec le système. Tout agent de l’État peut faire de nous ce qu’il voudra. De plus en plus souvent, ils exigent le remboursement à l’État des prestations sociales et des pensions perçues, avec effet rétroactif, s’ils estiment que la situation du débiteur a quelque chose de louche. Aux États-Unis, les prestations de l’État rétrécissent, comme les bons postes de travail se raréfient, mais les frais d’inscription pour les étudiants sont en hausse.
Nous sommes face à des lendemains lugubres.
L’intelligence artificielle va mettre des millions de gens au chômage, si le chômage peut encore exister comme tel. Les milliardaires vont se pavaner comme sous l’Ancien Régime. Tous ceux qui s’indignent des excès de la Révolution française ou de la Révolution russe, et qui les imputent aux juifs et aux franc-maçons, vont avoir une occasion d’en juger par eux-mêmes, car le régime pré-révolutionnaire pourrait bien être en train de revenir. La démocratie n’y survivra pas ; nous n’y survivrons pas, à moins que nous choisissions l’esclavage. Pourquoi est-ce que les Européens ne se multiplient pas, pour survivre, vous demandez-vous ? Survivre pourquoi faire ? La réponse est à chercher dans le sens de la vie.
Si tellement de gens appellent au niveau subconscient de leurs voeux une nouvelle grande guerre, elle arrivera, à moins que sainte Greta Thunberg et ses guerriers verts n’aient balayé notre civilisation auparavant. Dès qu’ils auront le champ libre, nous allons être ramenés à l’Âge de pierre.
Ce serait moins traumatisant de revenir à certaines recettes déjà testées dans nos jeunes années de baby boomers. Aidons les gens à rêver d’un avenir meilleur, aussi radieux que notre passé l’était.
En voici les ingrédients :
que les loyers soient abordables. Même The Economist, la revue britannique thatchériste, le suggère. Pour cela, il faut que la propriété immobilière cesse de rapporter, et que ce soit douloureux. Des taxes foncières dissuasives, et interdiction pour les propriétaires de jeter les locataires à la rue. Taxation des logements vacants. Cela, les travaillistes anglais dans les années 1960 l’ont fait, avec le plus grand succès, et les propriétaires occupants ont remplacé les propriétaires spéculateurs. Cela serait taxé d’antisémitisme, à tous les coups, mais qu’y a-t-il de mal dans un peu de pragmatisme ?
revenir à la conscription dans les forces armées. La guerre est trop importante pour qu’on la sous-traite. C’est stimulant, pour un jeune homme, de faire son service militaire. Quelqu’un qui n’a jamais servi dans l’armée peut devenir un John Bolton, un cruel apprenti faucon, et en envoyer d’autres à la guerre. Un homme qui a servi sous les drapeaux peut devenir un John Kennedy, qui se battra pour la paix. Il n’y a pas de mouvement anti-guerre aux États-Unis parce qu’il n’y a pas de listes d’appelés. Les jeunes Américains s’en fichent, des guerres sans fin en Afghanistan et en Syrie, parce qu’ils ne sont pas appelés à aller se battre là-bas et à mourir là-bas. Le service militaire ramènerait une politique militaire responsable.
faire que les choses durent. Une voiture peut servir pendant trente ans, si elle est bien entretenue. L’iPhone a été conçu pour ralentir le vieillissement des vieux modèles, et c’est un bon exemple. Que chaque objet soit réparable. Rendre obsolète le terme obsolète.
encourager les artisanats plutôt que la production de masse ; maintenir de hauts salaires pour les travailleurs, limiter la migration de masse et l’importation massive d’aliments. Mettre fin au tourisme de masse.
et si vous en voulez encore : apprenez aux enfants que la cupidité est plus grave que le racisme. Mettez les financiers sur la paille. Ils ne devraient pas gagner plus qu’un travailleur qualifié. Taxez-les durement, pas tellement dans une perspective de redistribution, mais afin de sauver ces gens dynamiques de l’avarice comme religion, et orientez-les vers des activités utiles. Comme Henry Ford, Walt Disney et notre Ron Unz qui ont su prendre ce virage. Ce n’est pas une coïncidence si ces personnalités se méfiaient de l’amour traditionnel des juifs pour l’argent.
Le paradis perdu de notre époque de baby boomers est plus facile à retrouver que notre jeunesse. On en a bien profité, à votre tour, les gars !