Invité à la cérémonie des César, Pascal Bruckner a assisté au naufrage de la pensée et à la naissance d’un nouvel antisémitisme.
Présent vendredi soir à la soirée des César 2020, j’ai eu le sentiment de vivre en direct le premier pogrom « féministe » de la France d’après-guerre.
Jean-Pierre Darroussin refuse de prononcer le nom de « l’innommable » gagnant et crache quelques syllabes dégoûtées. Florence Foresti, animatrice de la soirée, égrène les patronymes de prédateurs sexuels connus, DSK, Epstein, Weinstein avec une allusion à Patrick Bruel en omettant curieusement celui de Tariq Ramadan. Adèle Haenel et Céline Sciamma, dépitées, se lèvent à l’annonce du prix du meilleur réalisateur gagné par Polanski et crient leur honte de la cérémonie. Alors que des manifestantes s’insurgent en dehors de la salle Pleyel, on a vu en quelques heures se succéder une série de symptômes qui rappelaient étrangement la France des années 30, mais avec des acteurs nouveaux. Polanski est d’abord le nom d’une haine de l’homme « blanc, vieux, hétérosexuel, andro centré » pour reprendre les mots d’Adèle Haenel dans une interview au New York Times. Mais au cours de la soirée, cette allergie au mâle blanc s’est muée soudain en catalogue new-look de l’antisémitisme d’hier.
Voilà que l’Affaire Dreyfus fait un retour inopiné en 2020 : les anti-dreyfusards de la fin du XIXe siècle ont trouvé chez nos passionarias des héritières inattendues. Qui est désormais le bouc émissaire dont l’existence, à en croire certaines, déshonore le pays tout entier : un petit juif polonais, citoyen français, qui a échappé à toutes les persécutions, celles des nazis, des staliniens, de la droite morale américaine après l’assassinat de son épouse Sharon Tate mais qui pourrait bien succomber à la vindicte de « féministes » qu’il faudrait appeler plutôt des purificatrices médiévales. C’est Virginie Despentes qui mange le morceau dans un article tout en fureur surjouée, lundi 2 mars dans Libération, lorsqu’elle écrit à l’adresse des jurés des César, tous des hommes « dominants et délinquants » : « Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski, c’est toujours l’argent qu’on célèbre dans ces cérémonies, le cinéma on s’en fout. » Le rapprochement est peut-être involontaire, il est du moins maladroit. Qui aime l’argent, le chérit comme un dieu, en fait commerce, usage et usure ? On connaît la réponse. Le juif, qui est à la fois lubrique et cupide. Il est vrai que Virginie Despentes déchirée entre son idéal de rebelle et son statut de notable des lettres avait manifesté une certaine tendresse pour les tueurs de Charlie Hebdo en 2015 et leurs massacres des douze dessinateurs et collaborateurs du magazine. Ceci explique peut-être cela. Comment des acteurs, des comédiennes et des metteurs en scène qu’on admire, une écrivaine riche et reconnue peuvent-ils basculer ainsi dans la mécanique folle du bouc émissaire ? La haine tient chaud et soude un groupe mieux que tout. Celle que Polanski concentre aujourd’hui a atteint un tel niveau d’incandescence que l’on peut craindre pour sa sécurité.
Le ministre de la Culture s’est transformé en « ministre de la Censure »
« Violeur on te voit, victime on te croit », criaient les protestataires vendredi soir. Les plus radicales hurlaient : « Le kérosène, c’est pas pour les avions, c’est pour brûler violeurs et assassins. » Voici revenue la grande ombre du bûcher qui servait dans l’Europe médiévale à brûler les sorcières, les hérétiques, les Vaudois ou les Cathares, les Maures dans l’Espagne de la Reconquista, les Réformés à partir du XVIe et, bien entendu, les juifs, à toutes les époques. Des Terriennes, membres d’un groupuscule, ont tweeté, en réaction aux gaz lacrymogènes des policiers : « C’est Polanski qu’il faut gazer. » Ah que ce retour du refoulé est aimable !
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Le réalisateur Ladj Ly a été condamné à 3 ans de prison pour violences et voies de fait, dont un avec sursis : malgré quelques proclamations insultantes vis-à-vis de la féministe Zineb El Rhazoui, on estime à juste titre qu’il a payé sa dette à la société et que la récompense des Misérables est méritée. Ladj Ly est un jeune de banlieue, musulman et « racisé » selon la novlangue actuelle. Polanski, lui, n’a droit à aucune indulgence. Rien n’apaisera jamais son crime : celui d’être ce qu’il est, un homme blanc, hétérosexuel, vieux... et juif. Il est préoccupant que la grande cause du féminisme se dévoie dans ces passions mauvaises.