Le 4 octobre 2017 un élément américano-nigérien à ossature de forces spéciales est tombé dans une embuscade à quelques kilomètres de la frontière entre le Niger et le Mali, près de Tongo Tongo, un village situé à proximité de Tillabery. Cette embuscade a fait quatre morts parmi les soldats américains et au moins cinq parmi les Nigériens ainsi que plusieurs blessés. Les véhicules de la patrouille ont été détruits. Qui se cache derrière cette attaque marquant un palier supplémentaire dans le conflit sahélien ?
Pour la première fois, des assaillants viennent donc de s’en prendre ouvertement et dans un combat frontal à une force occidentale. Qui plus est, à des forces spéciales. Jusque-là, les pertes essuyées par les forces françaises étaient essentiellement provoquées par des IED, mines placées sur les axes empruntés par les convois ou les patrouilles. Nous sommes donc en présence d’une montée en puissance des jihadistes car l’embuscade était bien organisée, ses auteurs fortement armés et équipés de véhicules et de motos. Après l’attaque, les assaillants se sont volatilisés dans la savane.
L’attaque s’est produite dans une zone particulièrement propice aux embuscades où les forces armées nigériennes ont déjà subi de lourdes pertes. La question qui se pose est double.
1) Qui sont les auteurs de cette attaque ?
Les autorités nigériennes accusent les groupes jihadistes maliens, notamment deux organisations, l’Etat islamique du Grand Sahara (EIGS) et le Jamat Nosrat al-Islam, nouveau mouvement apparu au mois de mars 2017 et dont le chef est Iyad ag Ghalid, un chef touareg malien de la grande tribu des Ifora passé au jihadisme et affilié à Al-Quaida.
Or, nous devons bien voir que dans cette région, le paravent islamique cache le cœur de la question qui est une fois de plus l’ethnie. Comme je ne cesse de le dire depuis plusieurs années, le jihadisme sahélien est d’abord, la surinfection d’une plaie ethnique. Ici, tout se greffe en effet sur l’opposition entre Peul (Fulani), Touareg, Touareg Imghad et autres groupes, engagés dans une féroce compétition, d’abord pour le contrôle des trafics, mais aussi des points d’eau et des pâturages. Depuis plus d’une année, sous paravent islamique, se cache en réalité une terrible guerre ethnique qui oppose ces deux populations d’éleveurs nomades et qui a fait des dizaines de morts.
Dans cet imbroglio, certains Fulani (Peul) se sont jihadisés afin de pouvoir lutter contre leurs rivaux et concurrents, notamment, mais pas exclusivement, les Imghad. Ces derniers qui ont été armés par le Mali pour lutter, certes contre les jihadistes, mais d’abord contre les Iforas, profitent de la situation pour s’en prendre à leurs rivaux ethniques.
Les jihadistes ont beau jeu d’attiser ce conflit millénaire. Ils légitiment ainsi la réaction des Peul par les grands jihad des XVIIIe-XIXe siècles, quand le paysage politique de l’ouest africain sahélien fut remodelé par leurs ancêtres qui constituèrent alors de vastes Etats inspirés par le jihad. Alimentés à la fontaine du mythe, bien des jeunes peuls se sont mis à rêver à des destins comparables à ceux d’Ousmane Dan Fodio (1754-1817), fondateur de l’Empire de Sokoto, de Seku Ahmadu (1773-1844), qui créa l’empire peul du Macina ou encore à Omar Tall dit el-Hadj-Omar (1796-1864) fondateur de l’empire Toucouleur ou Torodbe qui s’était fixé pour but l’islamisation de l’Ouest africain.
Alors, certes, ce sont bien des jihadistes qui ont mené la sanglante embuscade du 4 octobre 2017. Mais en prenant appui sur la marqueterie ethnique régionale. Il est donc une fois de plus essentiel de voir ce qui alimente ce jihadisme. Pour cela, cessons d’analyser la situation en termes « globaux » ou en parlant de déficit de démocratie, de « développement » ou autres fadaises ânonnées ad nauseam par le politiquement correct ou le psittacisme journalistique. Autrement, le combat sera perdu par avance.
2) Du danger de l’ « embouteillage sécuritaire »
Dans de précédents articles ou communiqués, j’avais fortement mis en garde contre la multiplication des structures de lutte anti-jihadiste au Sahel. Elles constituent en effet une juxtaposition de forces dont la coordination est moins rapide que la prise de décision unique par les responsables jihadistes.
Le coup très dur qui vient d’être porté aux forces spéciales américaines illustre hélas mon propos. Ces dernières ont deux emprises régionales, à Aguellal et à Diffa, plus des éléments équipés de drones à Agadez ainsi qu’une emprise sur l’aéroport de Niamey. Leur connaissance du terrain est technique et disons-le « livresque ». Il leur manque la « profondeur historique » et pour tout dire cette connaissance de la géopolitique ethnique régionale que notre vieille Infanterie de marine, la « Coloniale », possédait sur le bout des doigts.
Aux forces américaines, viennent s’ajouter régionalement diverses composantes onusiennes, d’autres issues de l’Eurocorps. Ce mille-feuilles sécuritaire est également composé d’armées nationales, de forces conjointes issues de ces mêmes armées nationales, de milices ethniques anti-jihadistes et maintenant du G5 Sahel... Un véritable volapük militaire qui prête le flanc à toutes les catastrophes. D’autant plus que ces forces enchevêtrées et qui, toutes, luttent en principe contre les jihadistes, doivent de plus être coordonnées avec la colonne vertébrale du dispositif qui est Barkhane...
Depuis la nuit des temps, l’expérience a pourtant appris trois choses aux militaires :
1) La nécessité de l’unité du commandement
2) La connaissance du terrain
3) L’identification de l’ennemi que l’on combat