Le 31 mars 2014, alors que le PS vient de subir une sévère défaite électorale lors des élections municipales, Manuel Valls succède à Jean-Marc Ayrault au poste de Premier ministre.
Comme Nicolas Sarkozy sous la présidence de Jacques Chirac, Manuel Valls a su manier les médias pour se forger une image d’homme d’action en tant que ministre de l’Intérieur. Début 2014, l’affaire Dieudonné lui a donné l’occasion de faire preuve de fermeté, et a révélé son approche très équivoque de la liberté d’expression. Valls se présente en effet depuis de nombreuses années comme le grand défenseur de ce droit fondamental, tout en témoignant d’une franche volonté d’y imposer des limites bien précises : après avoir vilipendé Dieudonné et cherché à l’interdire, Valls a avancé des projets d’encadrement des réseaux sociaux et a insisté sur la nécessaire « sacralisation » de la Shoah. Ces contradictions ont été considérablement renforcées par l’affaire Charlie Hebdo : des promesses de contrôle sans précédent ont suivi la grand-messe organisée par le gouvernement en l’honneur d’une certaine liberté d’expression menacée par le terrorisme.
Sur le plan économique, Manuel Valls est un disciple de Dominique Strauss-Kahn, de Tony Blair ou encore de Bill Clinton. Dans la social-démocratie, le politique n’est qu’un manager de son pays. L’entreprise doit se substituer à l’État comme moteur mais surtout comme tête pensante de l’économie. Le dogme de la libre concurrence doit mener au salut du pays. Le Premier ministre choisit donc d’opérer à visage découvert en remplaçant Arnaud Montebourg, caution d’une imaginaire politique protectionniste, par le désormais célèbre Emmanuel Macron, ancien banquier d’affaires chez Rothschild & Cie.
Cette première année de mandat de Manuel Valls a été marquée par la loi portée par son ministre de l’Économie. Cette dernière contient de multiples dispositions dans des domaines très divers. Elle est cependant portée par la volonté de « s’attaquer aux corporatismes », c’est-à-dire aux derniers bastions de résistance à la mondialisation libérale et à son nivellement par le bas. Très contesté dans son propre camp, le projet de loi est finalement imposé en février 2015 à l’Assemblée nationale par la procédure de l’article 49-3 de la Constitution, permettant au gouvernement de faire adopter la loi sans vote en engageant sa propre responsabilité. Depuis ce passage en force, le texte est en discussion au Sénat. Il devra ensuite revenir à l’Assemblée nationale afin d’être adopté définitivement.
La réforme territoriale a également marqué la première année de Manuel Valls à Matignon. Le 17 décembre 2014, le Parlement a ainsi adopté une nouvelle carte de France à treize régions, contre vingt-deux à l’heure actuelle. Cette réforme, qui entrera en vigueur début 2016, vise à créer des espaces régionaux plus économiques pour l’État et plus compétitifs dans la mondialisation, à l’image des Länder allemands. Reste à savoir si les économies seront réelles et si ces grandes régions trouveront leur place dans un système français imprégné de centralisation monarchiste et jacobine. La cohérence du découpage est également matière à discussion, notamment concernant la région regroupant la Lorraine, l’Alsace et la Champagne-Ardenne. Quant à l’avenir des départements, il constituera probablement l’objet de futurs débats. Créés sous Napoléon pour que tous les chefs-lieux soient accessibles entre eux en une journée à cheval, la question de leur maintien se posera sûrement, entre archaïsme dépassé et nécessité d’ancrage local de l’État.
Manuel Valls s’est également confronté à des sujets sociétaux durant ces douze derniers mois. N’hésitant pas à parler de l’existence d’un « apartheid territorial, social et ethnique » dans certains quartiers français à la suite des attentats de Charlie Hebdo, le Premier ministre a admis l’existence de tensions communautaires actuelles. Ces outrances verbales sans véritables solutions politiques rappellent bien sur le « Kärcher » et autres « racailles » de Nicolas Sarkozy. Le mot « apartheid » laisse cependant supposer que l’État français est le premier responsable de ces clivages communautaires.
Comme trame de fond de son action à tête du gouvernement, le Premier ministre n’a de cesse d’invoquer les « valeurs de la République », dont il se garde toujours de détailler le contenu. Et pour cause, puisqu’il en est lui même le fossoyeur, notamment sur le terrain de l’École. Loin de s’attaquer au problème de l’analphabétisme rampant que connaît notre société, le gouvernement socialiste a fait de l’informatisation des écoles une priorité. Avec la présentation du projet de réforme du collège le 17 mars dernier, il entend également réduire l’enseignement des langues anciennes à peau de chagrin, contribuant à la création du nouveau citoyen de « la République », sans histoire ni racines.
Les résultats des élections départementales, le 29 mars, confirment un troisième camouflet électoral pour le parti socialiste au pouvoir. S’il a reconnu cette défaite dans les mots, le Premier ministre a pourtant étrangement indiqué qu’il continuerait la politique en cours. Il a aussi tenu une fois de plus à rappeler son combat contre le Front national, laissant imaginer une ambition présidentielle : le candidat socialiste, peut-être Manuel Valls lui-même, incarnerait la République rassemblée dans un face-à-face contre Marine Le Pen au second tour.
Également impliqué en politique étrangère, Manuel Valls a profité du 66e anniversaire de la proclamation d’indépendance de l’État d’Israël, le 13 mai 2014, pour réaffirmer son engagement sioniste le plus complet. Une position invariable, « éternelle » serait-on tenté de dire, à peine écornée par quelques frictions avec le service d’ordre du Premier ministre d’extrême droite Benyamin Netanyahou, venu à Paris le 11 janvier dernier pour rappeler à tous que Charlie, c’est lui.