Août 2015, en vacances, la chaîne culturelle Arte se penche sur la France d’en bas pour l’étudier. Au menu, un documentaire sur les nouveaux millionnaires élus par le sort, Au secours, j’ai gagné au Loto. On y découvre le parcours des gros gagnants pris en charge par une cellule spécialisée de la Français des Jeux. Ces Français moyens sont choyés parce qu’ils sont la publicité vivante de cette société très lucrative qu’est la FDJ mais aussi, par extension, de toute la société capitaliste. Sauf que la plupart ne veut pas se montrer : le choc social est trop violent avec leur entourage. Ils découvrent que la richesse crée de la souffrance.
L’employée de la FDJ (à 12’07) :
« Donc tout à l’heure monsieur Lévy-Soussan a abordé ce thème du secret vous voyez à travers la notion de crise, en évoquant l’idée que vous seriez dans une phase de transition après le gain et obligés d’être confrontés à une question de rupture dans des modes de fonctionnement habituels, des perceptions de vous et des autres avec la nécessité de vous repositionner dans une nouvelle continuité. Et qu’une des difficultés que ressentent les gagnants c’est de se sentir réduits au gain, ça peut engendrer une souffrance identitaire de n’être qu’un gagnant. »
Sans le vouloir, ou avec un certain cynisme, le documentaire présente plusieurs couples invités à Paris au siège de la FDJ pour y apprendre à être riches. Placer leur argent, ne pas perdre la tête, gérer les relations avec l’entourage, résister au choc de la richesse subite après une vie généralement modeste.
- Les gros gagnants arrivent au siège de la FDJ
Car les gagnants qui nous sont présentés sont morphosociologiquement identiques : des joueurs de la France profonde, àutour de l’âge de la retraite, en couple, des petits possédants ou bourgeois sans trop de culture (les gens cultivés ne jouent pas), bref, des petits gros de province, et on écrit ça sans ironie. On est loin des branchés LGBT du Marais ou de la nouvelle économie. C’est la France qui joue sa grille chaque semaine, depuis des lustres, et sur qui tombe un jour la manne céleste.
Un gros gagnant :
« Après j’ai invité tous mes neveux et toutes mes petites nièces à Eurodisney… à peu près une centaine de personnes à Eurodisney, et on est restés 8 jours là-bas ! »
Ces heureux élus sont donc pris en charge par une chaîne pluridisciplinaire qui inclut le financier, le psychologique (la séance de coaching pour gérer la convoitise et la souffrance des proches) et le culturel (la visite de Palais Garnier). Il s’agit de les élever au niveau où ils vont désormais évoluer.
- Cours d’initiation à la grande cuisine
La scène avec le chef Guy Martin qui leur prépare un menu étoilé est savoureuse, surtout lorsqiu’il évoque sa passion pour l’art contemporain :
« Les grandes expos, y en a eu des super belles, y a eu Anish Kapoor »
Anish Kapoor, c’est l’escroc qui a posé le vagin de la Reine à Versailles avec la complicité des autorités culturelles françaises... Comme quoi on peut être un grand cuisinier et un piêtre amateur d’art. Confiants, les couples invités suivent la formation à la richesse, alors qu’ils portent en eux la fracture entre une vie modeste et la possibilité d’une consommation illimitée. Une fracture sociale que beaucoup ne supportent pas. Les journaux relayent ces histoires de gros gagnants qui se sont ruinés en achats mi-débiles mi-inutiles et qui sont revenus à leur situation d’avant, un peu à l’image du roman de Zweig, Ivresse de la métamorphose.
- "C’est que du bonheur... "
En élargissant un peu le tableau, on se rend compte que ces gagnants sont à leur corps défendant les supports publicitaires d’une machinerie diabolique qui entretient l’espoir de millions de pauvres ou semi-pauvres. Un tel documentaire diffusé par une chaîne culturelle n’est pas anodin. Entre le promotionnel et le sadique, il exalte un Système qui ne fonctionne que sur la frustration et la convoitise et laisse à penser que le bonheur dépend uniquement de l’argent.
Ce détournement et cette captation du rêve vers un mirage matérialiste soumet un peu plus la population au dogme libéral et à la compétition. Et avec la paupérisation qui se profile, ce virus ne risque pas de s’éteindre. Il serait temps d’enseigner qu’une vie peut être riche culturellement, relationnellement, et que l’élévation personnelle ne coûte pas un centime. Devenir moins con devrait être le programme de tout être humain dès le berceau !
Quant au partage des richesses et à la pauvreté généralisée sur la base des besoins essentiels pour tous, il faudra encore attendre : chaque humain n’a pas encore pris conscience et de sa propre humanité et de toute l’humanité.