Quand Christiane Taubira sur les bancs de l’Assemblée évoqua un « changement civilisationnel » à l’oreille de Christine Boutin, cette dernière rapporta ces propos mais ne fut pas prise au sérieux. Pourtant, le quadriptyque qui constitua la France, Travail-Famille-Église-Patrie, sans cesse attaqué depuis la fin du XIXe siècle, aujourd’hui vacille.
Si la valeur travail fut encore à l’honneur jusqu’au changement de paradigme économique et monétaire des années 1970 (la fin de l’étalon-or et son remplacement par le dollar, la crise pétrolière et l’avènement du libéralisme), l’Église, elle, subissait les coups de boutoir des loges maçonniques et des gouvernements sous influence depuis un siècle déjà. Quant à la royauté, elle avait fait long feu sous couvert de Révolution, mais avec le soutien de l’étranger, extérieur et intérieur. Il restait la famille, qui tint bon jusqu’en 1968, la patrie étant passée à la trappe après la grande boucherie mondialiste (1914-1945) et les guerres de décolonisations (1954-1962).
Pour ainsi dire, les quatre piliers de la France furent attaqués frontalement et non plus souterrainement depuis Mai 68 et la fin objective du gaullisme, une date charnière dans l’histoire de France. Malgré les sursauts collectifs des années 70-80, où syndicats et partis firent montre de leurs derniers feux, l’affaire était entendue : l’individu avait gagné, il pouvait jouir sans entraves, et ses entraves étaient le travail, la famille, la patrie et l’Église, qui enserraient la pauvre victime dans un carcan de fer. Ah, l’armée : achevée sous Chirac avec la fin de la conscription et son corollaire, les nouvelles générations ne devaient plus savoir tenir un fusil et se défendre, sous prétexte de paix européenne et de pacifisme…
- Qui sait encore tenir un fusil, à part les militaires et les terroristes ?
50 ans plus tard, le même individu, libéré, n’a plus ni tenue ni repères. Sans structure et sans force, et surtout sans base morale résistante, il est à la merci de toutes les forces manipulatoires, et le pouvoir de moins en moins profond ne se gêne pas pour le re-former à son idée. On parle de la fin du travail, le chômage est de masse, l’aumône étatique universelle se profile, sourire carnassier en coin : il sera très facile de maîtriser ces foules, ne sachant plus prendre les armes, et maintenues artificiellement juste au-dessus du niveau de la mer, en termes de survie matérielle. Quant au spirituel, il suivra, comme l’intendance. Il ne sera pas difficile de soumettre cette armée d’individus vaincus, c’est-à-dire de transformer la masse de pauvres ou d’appauvris (par le même Système) en masse critique anti-révolte. Ce sont eux qui étoufferont et dénonceront les derniers révoltés à l’aide d’une presse déficitaire, c’est-à-dire 100 % sous contrôle.
Mais avant d’en arriver là, il faudra extirper les derniers relents de catholicisme et de nationalisme du peuple, qui a la nostalgie tenace. Car les plus anciens se souviennent de cette France d’avant où la vie était vraiment meilleure. Une fois cette génération passée, le processus progressiste s’accélérera, on peut en être sûr. L’individu, débarrassé des relations familiales gratuites et de toute solidarité, du travail pénible et du culte de l’effort, de la croyance en un Dieu et de toute transcendance, de l’idée de nation et de fraternité d’armes, sera alors devenu à son insu un soldat du Système sans aucune résistance possible. Il ne disposera plus des moyens mentaux et sociaux de se défendre contre l’intrusion et la conformation oligarchiques.
Son désenchantement sera à la mesure de ses jouissances passées, cette aliénation à crédit.