C politique, c’est l’émission politique de France 5. Enfin, le plateau où s’invitent les politiques pour nous scotcher dans la face leur dépliant publicitaire. C politique a souvent changé de mains pour, il y a deux ans, échouer dans les doigts manucurés de la séduisante Caroline Roux, transfuge de Canal. Elle orientait dans le sens du vent les questions politiques de la matinale de la chaîne cryptée, aujourd’hui disparue (la matinale, pas la chaîne, enfin, pas encore). Dimanche 12 octobre 2014, armée de chaussures sexy pointues, elle reçoit Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense (des intérêts américano-israéliens). Soudain, la journaliste, qui nous a habitués à une gentillette bien-pensance, se mue en guerrière assoiffée de sang : la guerre, la guerre, la guerre ! Vade retro BHL, sors de ce corps de femme !
Pour vous situer le bonhomme dans l’échelle de l’Évolution socialiste, Jean-Yves est le ministre chouchou de Hollande, dernier survivant de son premier gouvernement. Depuis, Hollande a été destitué par le CRIF, qui lui a préféré Valls. Bon, ce genre de switch est classique en politique. Mais Hollande conserve le titre de Première Dame de France, un truc honorifique, on peut aussi l’appeler « président », de toute façon, comme en Allemagne ou en Angleterre, c’est le Premier ministre qui décide.
Ceci étant dit, Le Drian a aussi été conservé parce qu’il ne déplaît pas à nos militaires – on parle ici des officiers supérieurs et de l’état-major – qui peuvent avec lui faire un peu ce qu’ils veulent. Le Drian avale donc deux sortes de couleuvres : les couleuvres d’en haut (Hollande) et les couleuvres d’en bas (les généraux). Ceci explique l’air quelque peu abattu de ce Breton, un Droopy national. Heureusement, les Français, et les médias, ne le brocardent pas. C’est le résidu de respect patriotique pour l’armée du peuple qui l’autorise à ne pas se faire tarter, malgré les décisions françaises totalement à la remorque primo des États-Unis, secundo d’Israël. Parce qu’on ne voit pas pourquoi on irait défoncer les islamistes, même ultra, de la zone à risques Irak-Syrie-Turquie, qui menacent en réalité le Grand Israël. Mais c’est comme ça.
L’armée française n’a pas trop à rougir de sa soumission à la politique américaine, puisque l’US Army fait depuis 20 ans le sale boulot pour Israël. Nous sommes donc inféodés à une armée qui est elle-même inféodée à un autre pays. Comprenne qui pourra. En attendant, Le Drian essaye de défendre courageusement la logique tortueuse de nos interventions en Afrique (Mali, Libye) et autour de la frontière Irak/Syrie.
Avant de concentrer un tir nourri de questions lumineuses sur son invité, Caroline lance le sujet préparatoire. On y voit Jean-Yves en plein boulot. Là, il est à Washington, à côté d’un type.
Le off :
« Il bichonne les relations avec les alliés américains qui nous aident au Sahel et que la France soutient en Irak. Ce jour-là, le ministre vient accorder sa stratégie avec le patron de l’armée américaine, Chuck Hagel, un républicain débauché par Obama. »
Chuck, c’est l’ami de l’UMP, le gars qui a essayé de refourguer à la France le principe du vote électronique (qui a permis d’élire Sarkozy à la tête de l’UMP en 2004), tout en conservant les données sensibles dans des serveurs américains. Les Américains, ces gros bourrins, ont toujours eu l’humour très lourd. Mais visiblement, pas assez pour nos journalistes, qui n’ont pas considéré, à l’époque, que ça sentait le furet.
Hagel a visiblement réussi sa reconversion, du bulletin de vote trafiqué à l’exportation de conflit, tout ça pour ses maîtres à lui, le lobby militaro-industriel américain. Rien de bien nouveau sous le soleil : on lorgne sur le gaz syrien (pas le sarin, non, le gaz naturel), le pétrole irakien, tout ça.
Jean-Yves assure Chuck de toute sa soumission, pardon, coopération, arguant que si « cette action terroriste devait s’inscrire dans la durée, la France y tiendra toute sa place ». Et lorsque l’insolent journaliste de France Inter crie « et si les Américains vous demandent une intervention en Syrie ? », Jean-Yves rétorque brillamment :
« Je ne réponds pas aux questions qui ne sont pas posées. »
Le sujet se termine par la douloureuse (question) en voix off :
« Mais comment combattre Daesh sans aider Bachar El-Assad ? »
Le reportage a assez duré, revenons en plateau, avec Caroline et ses chaussures sexy à pointes, comme les casques du même nom. L’amazone attaque fort : « Alors Jean-Yves Le Drian, qu’est-ce qu’on fait pour éviter le massacre de la population kurde à Kobané ? »
On dirait un remake du film de BHL, avec les gentils Libyens de Benghazi, menacés par les méchants Libyens de Kadhafi (une ville désormais rayée de la carte). La dominance manque singulièrement d’imagination, c’est toujours les mêmes ficelles, encore plus grosses que les précédentes ! Voici la suite des échanges, ainsi que la réponse de Jean-Yves :
« Nous armons les kurdes.
Roux : Davantage ? »
Le ministre parle des Irakiens et des Kurdes qui doivent retrouver « la plénitude de leurs territoires », mais les Kurdes n’ont pas de territoire ! Pour un agrégé d’Histoire contemporaine, ça craint. Il y a certes une enclave kurde protégée par l’US Air Force depuis 1991 et 2003, mais pas de territoire officiellement reconnu par les Nations unies. Et c’est bien l’objet de la sécession kurde – le PKK réclame l’autodétermination – par rapport à la Turquie depuis les années 80. Ne rêvons pas : les Kurdes ne sont pas prêts de voir la naissance de leur pays, realpolitik oblige. D’abord, les Turcs, les Syriens, les Irakiens et les Iraniens ne sont pas prêts à lâcher un centimètre carré, même désertique et montagneux, mais cette zone sous déstabilisation permanente à la croisée des chemins permet toutes les opérations spéciales occidentales…
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Le Drian poursuit sa justification :
« Parce que l’État islamique, ce n’est pas un groupe terroriste, c’est une véritable armée, terroriste. On n’a jamais connu ça. […] Les frappes de Kobané ne résolvent pas le problème parce que s’il n’y a pas de présence au sol, ça ne marchera pas. »
Caroline, totalement surexcitée par la perspective d’une vraie guerre d’extermination des islamistes :
« Vous annoncez qu’il faut une présence au sol ? »
Le Drian précise l’état des forces :
« Qu’est-ce que c’est une armée terroriste ? 20 à 30 000 combattants, très bien armés… Ils ont des tanks, ils ont des blindés en nombre… Et ils savent les faire marcher… Donc c’est du terrorisme au sens très large du terme, on n’a jamais connu ça.
– Vous nous décrivez une armée, équipée, organisée, solide. Quand on est face à une armée comme celle-ci, on fait la guerre, non ? C’est-à-dire qu’on envoie des troupes au sol ? »
Hum, on sent que Caroline la désire, cette grosse guerre au sol. Ah, si elle pouvait monter sur une automitrailleuse, comme dans Rambo 4, et découper les forces noires de Daesh en faisant aboyer le canon brûlant de sa machine !
Le Drian calme un peu la journaliste :
« Ça ne fait que commencer, ce n’est pas une guerre éclair, il faut se mettre ça bien dans la tête ! »
Il parle de « la semaine prochaine », pour la stratégie de la Coalition, qui comprend désormais les Turcs en plus.
Mais Caroline est chaude comme le fût de la mitrailleuse, et là, on ne l’arrête plus :
« Ils vont plus vite que nous vous le voyez bien ! […] Est-ce que la France pourrait mettre davantage de moyens, Jean-Yves Le Drian ? […] Est-ce que le but de guerre comme on dit c’est d’aller chercher Baghdadi comme on est allé chercher Ben Laden ?
– Le but de guerre c’est d’éradiquer l’État islamique, et de faire en sorte que l’Irak retrouve une légitimité politique, qui doit passer à notre avis par une intégration à la fois des Kurdes, à la fois des sunnites, des chiites et des minorités chrétiennes et Yazidis, c’est indispensable. »
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La fièvre militaire de la femelle retombe alors un peu. Caroline redevient presque politique :
« Est-ce qu’on peut continuer à avancer sans parler à Bachar el-Assad ?
– On ne peut pas choisir entre un dictateur sanguinaire et du terrorisme assassin… La solution pour nous c’est de renforcer l’aide militaire que nous pouvons apporter à la résistance syrienne.
– Il reste totalement infréquentable, Bachar el-Assad ? demande Caroline avec regret.
– Vous pourriez fréquenter quelqu’un qui a tué 200 000 personnes ?
– C’est une question, il paraît que les services américains discutent avec les services syriens et qu’ils ont repris langue, comme on dit.
– Il paraît.
– Les services français non ?
– Non. »
Caroline, on lui a appris à être une super journaliste à l’américaine, version Christine Ockrent (qui a ri ? tu sors), qui ne lâche jamais le morceau, même si c’est une croquette de poulet pour chaton :
« Vous n’avez pas répondu à ma question en revanche sur el-Baghdadi ? Ça fait partie des objectifs ? »
« Ça » pour un homme, et « objectifs », cet euphémisme… Dans la bouche d’une amazone de l’info de guerre, cela veut dire élimination des ennemis ou des opposants politiques. C’est le genre de sport que pratique Israël, pas la France. Après avoir réclamé des armes en plus, une guerre au sol, voilà que Caroline s’excite autour de l’élimination physique d’un opposant fantoche à l’Occident, mais qui permet justement une politique de pénétration occidentale en Orient. On essaye de relever un peu le niveau, n’est-ce pas. C’est le b.a.-ba de la géopolitique. Réclamer la mort de l’adversaire, en revanche, c’est le degré zéro de la politique. Est-ce cela le niveau politique sur une chaîne de service public ?
Mais la Syrie ne suffit pas à satisfaire l’énorme appétit de Caroline :
« Alors vous avez le 9 septembre évoqué une intervention en Libye…
– Je n’ai pas évoqué une intervention en Libye, j’ai dit qu’il faudra agir en Libye. »
- Pressée d’en découdre avec les barbares islamistes, Caroline pénètre au Kurdistan irakien…
Si d’aventure on écoutait cette pseudo-journaliste française 100 % pro-OTAN, 100 % pro-US, 100 % pro-Israël, on aurait une levée en masse, une mobilisation générale terre/air/mer pour aller bombarder les Syriens, les Libyens, les Irakiens, les Iraniens, enfin, tout ce qui finit en « ien », comme les chiens.
L’éditorialiste politique (on sait ce que ça veut dire) de la chaîne apportera un semblant de pondération, mais en bottant très loin en touche. Pour ceux que ça intéresse, ça concerne les budgets, les effectifs, et le respect reficelé de la loi de programmation militaire.
Claude Weill, directeur de la rédaction du Nouvel Obs, s’intéresse au nerf de la guerre :
« Napoléon disait, pour faire la guerre, il faut trois choses : de l’argent, de l’argent et de l’argent… La part de PIB que nous consacrons aux armées ne cesse de décroître et d’une façon assez vertigineuse puisque en 30 ans en gros il a été diminué de moitié, pour tomber aujourd’hui à 34 milliards et quelques, c’est-à-dire moins de 1,5 % de notre PIB. Donc la question est toute simple, est-ce que nous avons les moyens de notre politique militaire, est-ce que nous avons les moyens d’assumer cette ambition que nous nous sommes donnée, d’être un des pays qui comptent dans le maintien de l’ordre et le rétablissement de la paix dans le monde ?
Le Drian : Le budget de la défense de notre pays, à la demande du Président de la République, a été sanctuarisé… Sanctuarisé ça veut dire un chiffre, 31,4 milliards, qui est gelé… et parce que les dangers sont ceux que vous connaissez… Les missions, elles sont celles qui sont inscrites dans la loi de programmation militaire…
– Donc 31,4 milliards ça suffit ? […] L’an prochain vous avez prévu de supprimer 7 500 emplois militaires.
– Ce n’est pas monsieur Weill, ce n’est pas uniquement en nombre d’effectifs pour répondre à Napoléon, indirectement, avec modestie, que se joue la capacité d’une armée. On parlait tout à l’heure de l’armée irakienne, un million d’hommes… Ce n’est pas en chiffres, c’est en capacité d’intervention, c’est-à-dire la bonne articulation entre des forces qui sont entraînées, et qui soient équipées, et les objectifs qu’on leur donne. »
Profitons de cette intempérie pour donner quelques chiffres aux amateurs : l’armée française, c’est environ 270 000 militaires, dont 70 000 dans les unités opérationnelles. Cette année, 450 millions d’euros sont consacrés aux opérations extérieures (on ne dit jamais guerre), qui coûtent en réalité trois fois plus. L’armée ferme aujourd’hui des casernes et recase 7 500 employés de la Défense pour acheter des drones, développer les Forces spéciales, le ravitaillement aérien et la cyberdéfense.
- Avant ce reportage du Réseau Voltaire diffusé sur Wat (groupe TF1), 40 secondes de pub pour l’armée de l’air française
Caroline Roux cite les députés UMP Mariani et Luca :
« Alors eux ils disent il faut qu’on arrête de verser des allocations aux familles de ceux qui sont partis faire le jihad. Est-ce que vous êtes d’accord avec cette proposition de loi qu’ils veulent défendre tous les deux ?
Le Drian : Le seul problème que je me pose c’est de les empêcher de sortir. »
Ils sont officiellement 350 Français à faire le jihad en Syrie. Le Drian assure qu’ils sont « suivis » sur le théâtre des opérations, et dans nos frontières, lorsqu’ils rentrent (entiers), grâce au travail du ministre de l’Intérieur Cazeneuve.
C’est maintenant l’heure de la séance des questions de téléspectateurs. Caroline lance :
« Sommes-nous une cible ?
– Mais ça fait longtemps que nous sommes une cible ! Depuis 2006, Al-Qaïda, et en particulier Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a déclaré que la France était l’objectif principal. »
Heureusement, Le Drian se veut rassurant :
« Les Français il faut pas qu’ils se laissent aller à la panique, à la psychose. »
Caroline aura alors ce mot magnifique, sans jeu de mots :
« Ce qui est compliqué c’est ces ennemis de l’intérieur, c’est ça qui inquiète. »
Où l’on voit que le pouvoir réel français insiste pour la création plus ou moins factice d’un ennemi intérieur terroriste. Ceux qui veulent amener l’armée dans les banlieues pour couper la France en deux ont-ils en tête l’image des territoires occupés palestiniens ?
Question importation de conflit, on ne peut pas faire mieux. Ou pire.