Il y a 70 ans, Tsahal proclamait unilatéralement la création de l’État d’Israël, doublant ainsi les efforts des Nations unies pour un partage équitable de la Palestine géographique. Simultanément, des unités spéciales de Tsahal, dont l’une commandée par Ariel Sharon, expulsaient massivement les Arabes de ce territoire. Après quoi, une invasion migratoire se mettait en marche, accueillie par une population juive installée depuis des siècles, et qui vivait en bonne entente avec les autochtones.
La crise migratoire européenne nous rappelle que les immigrations massives sont une arme de destruction des nations. Depuis l’arrivée des Européens en Amérique, elles ont été systématiques, parvenant à démembrer, déposséder et marginaliser les peuples autochtones qui avaient des structures politiques stables et fonctionnelles, qu’il s’agisse de villages, de cités-États, d’empires, une population correspondant aux ressources locales, et un commerce actif qui reliait parfaitement le continent du Nord au Sud. Tout cela s’est trouvé balayé en deux siècles, les autochtones ont été décimés, froidement exterminés en masse et les survivants marginalisés, ainsi que leurs descendants. Les vagues migratoires se sont superposées, les plus anciennes se considérant comme les autochtones, menacées par les plus récentes. La dernière vague migratoire en provenance d’Europe a été celle des juifs, à partir des années 1930, les destinations préférées des juifs ashkénazes étant New York et Buenos Aires, dont ils ont fait des bases économiques et politiques pour leur communauté, mais sans oser proclamer jusqu’à aujourd’hui l’indépendance. L’immigration massive juive en Palestine n’a pas réussi à faire disparaître le peuple. Mais les Palestiniens peuvent-ils encore croire qu’ils auront un jour leur propre État ?
Le temps ayant passé, les actuels citoyens d’Israël ne sont plus les fanatiques qui massacrèrent et expulsèrent les Arabes, mais leurs petits-enfants. Sauf à revenir au concept tribal de responsabilité héréditaire, les Israéliens actuels ne sont pas comptables des crimes de leurs grands-parents.
À titre individuel, les Arabes palestiniens et leurs descendants sont en droit de revendiquer la restitution de leur terre ; un droit que la communauté internationale a reconnu comme « inaliénable » ; c’est-à-dire comme ne pouvant pas être cédé. Mais comme pour leurs bourreaux sionistes, les survivants arabes de la Nakba (catastrophe) sont aujourd’hui peu nombreux.
Le droit international donne entièrement raison aux seules victimes arabes. Mais le « droit au retour » est une expression ambiguë qui donne à penser – à tort – que les Arabes pourraient revenir physiquement à leur situation antérieure à la Nakba qui les a frappés. Ainsi, les maisons ayant souvent été reconstruites et étant habitées aujourd’hui par des personnes qui s’y trouvent de bonne foi, ce droit ne pourra généralement être appliqué que sous forme de compensation financière payée par l’État d’Israël (plus exactement sans doute par le contribuable américain et européen).
Au demeurant, si les victimes arabes demandent à pouvoir circuler librement dans toute la Palestine, elles ont toutes refait leur vie sur d’autres terres qu’elles ne souhaitent pas forcément quitter.
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Le plan US
Élu par ses concitoyens pour renverser le système de domination créé par ses prédécesseurs et institutionnalisé par la classe politique US, le président Donald Trump avait conçu un plan de règlement pour le conflit israélo-arabe. Pour l’élaborer, il s’est appuyé sur son conseiller spécial et néanmoins gendre, Jared Kushner. Celui-ci étant juif, certains protagonistes l’ont récusé, l’accusant d’être partial en faveur d’Israël, ce qui n’est guère discutable.
Pour autant que l’on sache, ce plan est beaucoup moins ambitieux que celui du président Bush père, dans la mesure où il ne semble pas annuler l’engagement pris par le président Bush fils de reconnaissance des annexions israéliennes d’après la guerre de 1967. Il semble néanmoins plus directif puisqu’il vise à traiter l’ensemble du problème, non pas en réunissant tous les protagonistes autour d’une même table, mais en s’engageant simultanément avec eux. Bien que la Russie n’ait pas été associée à son élaboration, elle en a été informée. En effet, Trump ne saurait ignorer que plus d’un million d’Israéliens sont d’anciens citoyens soviétiques, et que Moscou a donc des intérêts à protéger en Palestine-Israël. Enfin, Trump, se situant dans le sillage du président US Andrew Jackson, hérite de sa conception des relations entre les colons blancs et les autochtones : l’expansion par l’extermination, puis, une fois la résistance très affaiblie, après des négociations séparées avec chaque tribu, le confinement dans des « réserves » ; enfin, étape ultime, la dissolution inoffensive dans les populations locales, définitivement implantées et consolidées, avec une rhétorique sur le mode de l’hommage.
Mais Trump est conscient du fait que l’expansion israélienne se fait au détriment de la paix. Aussi veut-il y mettre un terme. Et son action se fonde apparemment sur la conviction que pour empêcher définitivement le grignotage quotidien de territoire arabe par Israël, il faut admettre les injustices déjà commises. Ce point de vue pragmatique va à l’encontre de la pensée d’une partie de la Résistance pour qui, à terme, les colons juifs devront quitter la Palestine qu’ils occupent, comme les colons français ont été chassés d’Algérie.
L’idée principale est de renoncer à créer un État binational, comme prévu par le plan de partage de 1948, et de privilégier une solution à deux États, tout en offrant de vastes compensations financières pour les préjudices subis. Une Nouvelle Jordanie élargie aux Territoires palestiniens serait reconnue comme État des Palestiniens. Ce scénario emprunte beaucoup à celui qui avait été imaginé par l’ambassadeur Charles Freeman, il y a plus d’une décennie [1].
On se souvient que jusqu’à la guerre de 1967, la Cisjordanie était administrée par la Jordanie. Environ la moitié des Palestiniens du Levant vivent aujourd’hui en Jordanie où ils constituent 80 % de la population, tandis que l’autre moitié vit en Cisjordanie et à Gaza. Certains vivent en Israël, au Liban et en Syrie. Des millions d’autres ont quitté la région et se sont dispersés.
La capitale de la Nouvelle Jordanie serait à Jérusalem. Non pas dans la moitié de la ville comme réclamé aujourd’hui par l’Autorité palestinienne, mais dans le minuscule quartier d’Abous Dis. Telle est l’idée de Trump.
Cette solution peut paraître choquante. Et pourtant, elle n’a pas été imaginée hier par Jared Kushner, mais lors des négociations d’Oslo, par le second de Yasser Arafat, Mahmoud Abbas, actuel président de l’Autorité palestinienne, qui s’exprime pourtant avec fureur contre ce projet vivement impulsé par l’Arabie saoudite. D’ailleurs, à l’époque, l’Autorité palestinienne y débuta la construction de ce qui aurait pu devenir son futur Parlement, avec des travaux qui furent par la suite interrompus.
Quoi que l’on pense des grandes lignes du plan Trump, il semble viser à sortir pour de bon de 70 ans de crise, à tourner définitivement une page d’histoire. À titre personnel, chaque Palestinien pourrait l’accepter ou le refuser, mais ceux qui le refuseraient devraient poursuivre leur combat avec un espoir de type messianique, à l’horizon de plusieurs générations.
Or ce plan heurte en premier lieu, non pas les Palestiniens, mais à la fois les sionistes et la monarchie hachémite. Les sionistes perdraient la possibilité d’étendre un peu plus leur territoire chaque jour puisque des frontières seraient enfin fixées. C’en serait fini du rêve d’un pays allant du Nil à l’Euphrate, tel que figuré sur le drapeau israélien et les pièces de 10 Agorot, et développé dans le célèbre « plan Yinon » de 1982. On a du mal à imaginer que l’entité sioniste accepte de bonne foi de devenir un État normal, acceptant le droit international et ses contraintes. Quant au roi Abdallah II, il deviendrait le fossoyeur du rêve d’un monde arabe uni et libre, trahissant ainsi l’espoir soulevé par son arrière-arrière-grand-père, le chérif Hussein.
En second lieu, ce plan ne devrait être accepté par l’Égypte, le Liban et la Syrie que sous certaines conditions. Il conviendrait notamment de « rapatrier » en Nouvelle Jordanie et d’indemniser les réfugiés palestiniens. Et bien entendu de régler également la question du Golan et des fermes de Chebba libanaises, seules régions de ces trois États encore occupées par Israël.
Troisièmement, ce plan ne sera accepté par toutes les factions palestiniennes que si toutes les puissances régionales mettent leur poids dans la balance. Il suffirait que l’un des protagonistes s’estime lésé par le plan US pour que celui-ci échoue et que la guerre reparte.
Conclusion
Bien que personne ne l’admette, la paix, si elle devait être conclue, imposerait une gigantesque réorganisation des forces en présence. Chaque protagoniste devrait s’adapter à la nouvelle situation, ce que Trump n’obtiendrait que par des menaces aussi précises que dramatiques.
Par exemple, le Hezbollah ne pourrait pas poursuivre son combat pour les Palestiniens, faute d’avoir personne à soutenir. De nombreux soldats israéliens et combattants palestiniens refuseront de revenir à la vie civile. Nombre d’entre eux se transformeront en mercenaires n’importe où dans le monde pour vendre leur « savoir-faire ».
Si le peuple palestinien venait à utiliser l’argent des indemnités pour son développement économique sans encombre, le peuple israélien traverserait une profonde crise d’identité. Privé d’ennemi, il ne trouverait plus de justification à son organisation en ghetto emmuré selon le modèle talmudique. Il devrait donc choisir entre un modèle sectaire impliquant l’expulsion de ses citoyens arabes et un modèle enfin égalitaire, sous cotutelle russo-américaine.
Reste la question de la Bande de Gaza, qui ne saurait rester durablement une enclave de deux millions de personnes emmurées par Israël. Tôt ou tard, Israël, dans sa logique de scorpion, exigera de se l’approprier définitivement. Il lui sera facile d’organiser quelque sanglant attentat sous faux-drapeau à Tel Aviv (ou un lâché de missiles depuis Gaza), de l’imputer au Hamas, et d’enclencher représailles, massacres, expulsions et déportations de masse. Ce pourrait être une seconde Nakba. Sauf que cette fois-ci, la Nouvelle Jordanie serait un État reconnu et qu’attaquer ses ressortissants serait une très grave violation du droit international impliquant une intervention armée internationale.
Si les parties en présence veulent vraiment la paix, elles devront bloquer l’engrenage et forcer l’entente en vue d’un seul État pour tous ses habitants, avec des droits égaux, sans attendre, sur toute la Palestine. Il sera bien difficile d’éviter de nouveaux carnages de Palestiniens, parfaitement prévisibles. Mais désormais, le retour du boomerang pour les juifs se rapproche : l’impunité israélienne recevra, avec son dernier défi au droit international, un coup d’arrêt définitif, faute de soutien occidental. Alors ce seront les Israéliens qui demanderont à exercer leur « droit au retour » : celui de repartir, avec un statut de réfugiés, dans les pays européens de leurs parents ou grands-parents, ou aux US. Et ceux qui resteront pourront enfin construire, avec les autochtones, un seul État démocratique pour tous, un État normal.