Face à l’épidémie de COVID-19, la stratégie d’adopter une immunité collective au sein de la population française est régulièrement discutée sur les réseaux sociaux, mais systématiquement rejetée par le pouvoir en place. Bien au contraire, le gouvernement français a opté pour la mise en place d’un confinement général, dont l’efficacité est remise en cause. Aussi, la notion de stress d’immobilisation doit être éclaircie pour s’apercevoir des conséquences physio-psychologiques d’une telle stratégie sur le long terme.
D’abord, on expliquera le principe d’immunité collective, et le cas de la France en particulier sera examiné. Ensuite, on évoquera les différents facteurs qui influent en faveur ou non de l’acquisition d’une immunité collective, ainsi que des mesures prises par différents pays pour jouer sur ces facteurs et enrayer l’épidémie. Pour terminer, on étudiera les conséquences physiques et mentales du confinement sur nos concitoyens, au travers de ce que l’on appelle en laboratoire le « stress d’immobilisation ».
1/ De l’immunité individuelle au concept d’immunité collective
L’immunité collective, encore appelée immunité de communauté, est un concept scientifique de contrôle passif des maladies infectieuses au sein d’un groupe animal. Ces maladies sont principalement dues à des pathogènes tels que les bactéries ou les virus. Lorsqu’un de ces pathogènes rencontre le premier individu d’un groupe naïf sur le plan immunitaire, celui-ci contracte la maladie et transmet le microbe à d’autres individus non immunisés (figure 1, situation A). L’individu infecté développe ensuite une immunité dite « individuelle » à travers la production d’anticorps et de cellules immunitaires mémoires. Il est ainsi protégé d’une seconde infection par le même pathogène. Les individus nouvellement immunisés, lorsqu’ils sont en nombre suffisant, protègent indirectement les non immunisés en entravant la circulation du pathogène dans la population (figure 1, situation B), c’est l’« immunité collective ». Cette immunité de groupe est apportée soit par une immunisation naturelle des individus au cours de l’épidémie, soit par une vaccination préventive ; à condition que celle-ci soit efficace et n’induise pas d’autres pathologies.
Une équipe de chercheurs chinois basée à Hong Kong s’est penchée récemment sur le concept d’immunité collective dans le cas du COVID-19, la maladie induite par le virus SARS-CoV-2. Ils ont compilé les données épidémiologiques d’une trentaine de pays, notamment le nombre de nouvelles personnes infectées par jour, les premiers résultats des tests de dépistages et les suivis cliniques des patients. Aussi, les chercheurs tiennent compte de l’intervalle de série (le temps moyen entre les cas successifs dans la chaine de transmission) estimé à 4,7 jours pour cette infection. Les données rassemblées et étudiées par ces chercheurs sont celles émises depuis le début de l’épidémie de COVID-19, jusqu’au 13 mars 2020. À partir de ces données, et en utilisant des algorithmes de croissance exponentielle, les scientifiques peuvent estimer par pays le taux requis de personnes immunisées pour aboutir à un état d’immunité collective [1]. Concernant la France, ces données s’appliquent donc aux conditions normales d’avant confinement, celui-ci ayant débuté seulement le 17 mars.
2/ Le cas de la France
D’après le tableau 1, au 13 mars, la France comptait 3661 personnes infectées. Le taux de reproduction effectif du virus, appelé « Rt » [2], est calculé à 3,09. Ce qui signifie qu’un citoyen français infecté par le virus contaminait en moyenne trois autres personnes dans les conditions normales d’avant confinement. La figure 2 résume le phénomène de contamination virale auquel était soumise la France, jusqu’au 13 mars du moins. À chaque nouveau cycle de contamination, dont l’intervalle de série est d’environ 4,7 jours, la population infectée était multipliée par 3. La fonction exponentielle 3x s’applique ici, x étant le nombre d’intervalles de série passés.
Sur la dernière colonne du tableau 1 se trouve le « Pcrit ». Il s’agit du pourcentage minimum de personnes devant être immunisées pour conférer une immunité collective à la population. On l’appelle aussi « seuil d’immunité collective ». À noter, ce seuil est entièrement dépendant du taux de reproduction effectif Rt [3]. Lorsqu’un état concerné par l’épidémie atteint son seuil théorique d’immunité collective Pcrit, l’infection virale cesse de se propager intensivement car le taux de reproduction effectif Rt est naturellement redescendu à 1 (figure 3). C’est-à-dire qu’une personne infectée ne peut transmettre la maladie qu’à une seule autre personne. Avec le temps et l’augmentation des personnes immunisées, Rt devient inférieur à 1, laissant les cas d’infections virales marginaux.
Pour la France en début d’épidémie de COVID-19, le seuil d’immunité collective Pcrit était estimé à 67.6 % (tableau 1). Ainsi, dans le cas où aucune mesure sanitaire particulière n’aurait été prise pour enrayer l’épidémie, c’est à dire en gardant un Rt égal à 3, les deux tiers de la population aurait du être infectés (et donc immunisés) pour enrayer naturellement la propagation de l’épidémie. Ce qui équivaut à quelques 45 millions (les deux tiers de 67 millions) de Français infectés et immunisés en seulement deux mois et demi avant d’atteindre le seuil d’immunité collective et de voir l’épidémie disparaître. Probablement au prix de dizaines, voire de centaines de milliers de morts. Alors, il était nécessaire, comme pour de nombreux autres pays, de prendre des mesures sanitaires adaptées afin de diminuer la propagation du virus et d’abaisser le seuil d’immunité collective.
En effet, les nations touchées par le virus peuvent, par l’application de mesures sanitaires adaptées, diminuer artificiellement le taux de reproduction effectif Rt de départ. Ainsi, la contamination de la population est bien moins rapide, évitant l’afflux massif de patients vers les hôpitaux. Lorsqu’un gouvernement réussi à abaisser efficacement son taux de reproduction Rt, le seuil d’immunité collective Pcrit est alors lui aussi diminué. Ce qui signifie qu’un moins grand nombre de personnes doivent être contaminées (et donc immunisées) pour atteindre l’immunité collective et donc enrayer l’épidémie. Mais alors, quels sont les facteurs qui influent sur le Rt et le Pcrit au sein d’une population ? Parmi les États, quelles sont les mesures sanitaires, immuables ou nouvelles, qui endiguent réellement l’infection ?
3/ Les variations de l’immunité collective
Le taux de reproduction effectif Rt, dont dépend le Pcrit, est un paramètre épidémiologique qui dépend lui aussi de plusieurs facteurs : il dépend du mode de transmission du pathogène, de la durée de l’infection (et donc de la contagiosité des personnes infectées), de la densité de population, et de la fréquence et de la nature des contacts entre les individus. Ces facteurs dépendent principalement de la structuration du territoire et des pratiques culturelles inhérentes aux différents pays. Le Rt dépend également de l’état de santé général de la population et de la qualité de leur immunité acquise au cours de l’infection. Les pays agissent alors de manière artificielle sur ces facteurs pour réduire au maximum le taux de reproduction effectif Rt, et ainsi ralentir la propagation du virus.
La Corée du Sud et le Japon sont par exemple deux pays asiatiques dotés d’excellents systèmes de santé, les citoyens pratiquent couramment le port du masque et sont habituellement respectueux de la distanciation sociale. La Corée ayant en plus réalisé des dépistages en masse pour isoler les personnes malades en début d’épidémie. Ainsi, ces deux pays ont atteint des taux de reproduction effectif Rt inférieurs à 1,5. Toutes ces mesures, innées ou préconisées depuis l’épidémie, sont probablement suffisantes pour contrôler l’infection, ce qui expliquerait dans ces pays l’absence de confinement de la population. Avec un tel Rt, ces pays pourraient acquérir une immunité collective alors que seulement 30 % des personnes sont immunisées. Pour des raisons similaires, la région de Hubei en Chine a su contrôler rapidement l’épidémie en jouant sur la plupart des facteurs influençant le Rt (gestes barrières, dépistage massif, isolement des malades, traitement curatif systématique, en plus d’un confinement partiel). Enfin, Hong Kong, un des territoires parmi les plus densément peuplés au monde, maîtrise efficacement l’épidémie sans confinement, grâce au port systématique du masque qui a su changer le Rt pour le rendre inférieur à 1. Il y a aujourd’hui moins de 10 morts dans cette agglomération de plus de 7 millions d’habitants. Les pays occidentaux, contrairement aux pays d’Asie, arborent des taux de reproduction effectif Rt légèrement supérieur, compris entre 2 et 6. Toujours dans le but de diminuer le Rt et donc le nombre de personnes infectées par unité de temps, ils optent prioritairement pour des méthodes de confinement. Celui-ci pouvant être partiel, c’est-à-dire réservé aux seuls porteurs du virus, ou bien général, lorsque tout le monde sans distinction est assigné à résidence. L’histogramme de la figure 4 fait état d’une mortalité due au COVID-19 10 à 20 fois supérieure dans les pays totalement confinés (Italie, Espagne, France et Belgique) par rapport à celle d’autres pays où seuls les contaminés sont placés en quarantaine (Allemagne, Autriche, Suède et Norvège) [4].
Ces pays de l’espace européen comme l’Allemagne ou la Suède, à l’instar de la plupart des pays d’Asie, donnent l’espoir d’une alternative au confinement général. Mais alors pourquoi une telle différence de mortalité entre ces pays ? La différence de mode de confinement (partiel ou général) ne peut être tenue pour seule responsable de ces écarts de mortalité. Ces états qui résistent au virus ont en réalité appliqué des mesures sanitaires complémentaires au confinement partiel. D’abord, leurs concitoyens ont des masques à porter, ce qui diminue considérablement le taux de reproduction du virus. Ensuite, ces pays ont amorcé très tôt un dépistage massif, afin d’isoler les malades. Aussi, les autorités sanitaires appliquent des protocoles de traitement systématique des personnes infectées sans attendre que celles-ci ne basculent dans un état grave, avec une mise sous respirateur. Enfin, ces États conseillent vivement aux plus vulnérables (les personnes âgées et/ou atteintes d’une ou plusieurs co-morbidités) de rester chez eux pendant un certain temps. Grâce à ces conditions sanitaires appropriées, les économies nationales, mêmes si elles sont légèrement ralenties, ne sont pas pour autant à l’arrêt. Un dernier avantage, plus discret, qu’apporte le confinement partiel pour ces pays, est l’immunisation progressive des habitants. En effet, ce mode de confinement laisse l’opportunité à bon nombre de citoyens d’acquérir une immunité naturelle face au virus. En résumé, par des mesures sanitaires simples, saines, efficaces, et non franchement liberticides, ces pays partiellement confinés auront le double avantage de conserver leur économie et d’obtenir probablement une immunité collective, ce qui leur sera profitable à l’avenir.
En revanche, concernant les pays qui ont opté pour un confinement général et donc pour un arrêt quasi total de leur économie, les résultats sur la mortalité sont inquiétants. De plus, chose perverse, le confinement général a tendance à induire une situation proche de celle de la figure 3 (où Rt=1), à la différence que les personnes immunisées sur le schéma sont remplacées par des personnes confinées non immunisées. Le virus se propage certes plus lentement dans la population, en faveur du système de santé. Mais au risque de prolonger indéfiniment l’état de confinement et/ou de provoquer une prochaine vague épidémique après déconfinement en l’absence de nouvelles mesures sanitaires adaptées.
Dans le cas de la France, les raisons de la forte mortalité induite par le virus sont nombreuses. Premièrement, la France a les capacités de réaliser plus de 100 000 tests de dépistage par semaine à l’aide des laboratoires départementaux. Mais la lenteur et l’incohérence de l’administration publique ne fait que retarder la mise en place d’un tel processus. Deuxièmement, une polémique sur la chloroquine est entretenue par le système mediatico-politique, empêchant tout apport immédiat d’un traitement efficace pour les malades. Troisièmement, le système hospitalier était à bout de souffle avant même le début de la crise (manques de places, de personnels soignants et d’équipements médicaux), et n’a donc pu prendre en charge décemment tous les malades. Quatrièmement, il y a eu (et il y a toujours) le problème des masques ; un dispositif médical simple qui permet de diminuer rapidement le taux de reproduction du virus. Non seulement les stocks stratégiques de masques ont disparu (ou ont été vendu ?), et de surcroît, des entreprises patriotes sont empêchées d’en produire, alors que la France est en pleine période de crise. Ainsi la quasi-totalité de la population est dépourvue de masques, si bien que certains professionnels de santé cousent eux-mêmes des vieux chiffons avec des bretelles de soutifs pour se protéger. Les policiers, sans masques eux aussi à cause de la pénurie, représentent des vecteurs potentiels du virus et ont pu très certainement le disséminer parmi les Français au cours des nombreux contrôles. Au final, les personnes les plus fragiles développent la maladie seules, enfermées chez elles, sans aucune aide extérieure pour les dépister et les traiter à temps. Elles sont prises en charge trop tard, et auront probablement besoin d’une intubation une fois hospitalisées, d’où une forte mortalité liée au COVID-19 en France. En plus de l’état instable dans lequel se trouvait la France en début d’épidémie, dont le néolibéralisme est le plus grand responsable, le gouvernement a fait le choix politique de ne pas appliquer des mesures sanitaires autres que celle du confinement général de la population. Pourtant cette mesure se révèle extrême et dangereuse, tant pour la santé des personnes que pour l’économie de la nation. À l’inverse des pays partiellement confinés qui maintiennent une activité économique stable, le gouvernement français, illégitime et dont plus personne ne veut recevoir de conseils, tente de faire croire aux citoyens que le confinement général est la seule issue pour enrayer l’épidémie de COVID-19. Si les médias parlent en permanence des potentielles vies sauvées par le confinement général, ils parlent toutefois moins des futures vies brisées en raison de l’austérité budgétaire grandissante (chômage, temps et conditions de travail,…), ou en raison des problèmes psychologiques et physiologiques induits à moyen et long terme. Dans ces conditions de confinement général, il convient donc d’éclaircir la notion de stress physio-psychologique chez les individus.
4/ Le confinement et ses impacts sur la santé physique et mentale de la population
Les familles tentent de s’adapter à ce nouveau rythme de vie : il y a le télétravail pour certains (ou le chômage partiel pour d’autres), l’école à la maison pour les enfants, les activités quotidiennes changent du tout au tout. Les autorités chinoises ont été parmi les premières à évoquer les risques négatifs du confinement à la maison, notamment sur les enfants [5].
Il y a d’abord les impacts sur la santé physique. Les personnes confinés, et en particuliers les enfants et les adolescents, sont souvent moins actifs, regardent davantage les écrans, mangent en plus grande quantité et moins sainement que d’ordinaire. Aussi, dans ces conditions de quarantaine, une partie des citoyens n’est pas suffisamment exposée à la lumière du jour, ce qui entrave la production de mélatonine, l’hormone du sommeil. Ces bouleversements du quotidien perturbent le cycle circadien [6]. Tous ces facteurs environnementaux pourraient engendrer une prise de poids et dégrader le système cardio-vasculaire des confinés. Un tel développement pathologique cache un stress biologique intrinsèque appelé « stress oxydatif » (figure 5, dans l’encadré rouge). Ce stress métabolique, induit donc par une hygiène de vie inappropriée, a pour conséquence la production d’agents toxiques endogènes dans l’organisme. Ce sont les « espèces réactives de l’oxygène ». Ces derniers sont bien connus pour engendrer des cassures dans l’ADN des cellules (figure 5). Ainsi les cellules sont amenées plus fréquemment à réparer leur ADN, au risque d’échouer, provoquant alors des mutations dans le génome. Ces accidents de la réparation de l’ADN sont, entre autres, responsables du vieillissement cellulaire prématuré et donc de beaucoup de pathologies (cancers, maladies cardio-vasculaires et neuro-dégénératives, inflammations chroniques,…). Sur le long terme, c’est donc l’ensemble des fonctions biologiques du corps qui peuvent être touchées si les confinés ne maintiennent pas une hygiène de vie correcte. Chose intéressante sur la figure 5, on peut observer que ce stress métabolique intrinsèque, au travers de processus biologiques complexes (impliquant par exemple la production de cortisol ou d’insuline) est potentialisé en amont par le stress psychologique. Avant de regarder plus attentivement les impacts du confinement sur le plan psychologique, on peut ainsi se rendre compte à quel point ces deux formes de stress sont liées entre elles, la santé mentale et la santé physique sont indissociables.
Pour ce qui est donc de la santé mentale, elle est impactée d’abord par de nombreuses sources de stress apparaissant pendant le confinement (l’incertitude sur la durée de celui-ci, la peur d’être contaminé, l’ennui et la frustration, les informations médiatiques anxiogènes,…). Le manque de contacts avec l’entourage extérieurs (ou le trop plein de contacts avec l’entourage immédiat), et l’impression de manquer de place pour certains, peuvent alimenter un fort stress psychologique. Un stress potentiellement chronique car toujours présents après le confinement, sous la forme d’un questionnement sur l’avenir : la peur d’une nouvelle vague épidémique et de l’austérité budgétaire grandissante (diminution de salaire, chômage, perte d’emploi ou de pouvoir d’achat,…). Il faut savoir que les effets d’un tel stress chronique peuvent se ressentir des mois et des années après la crise. Aussi, plus le confinement est long, plus les effets collatéraux sur le psychisme seront importants. À savoir que les premiers symptômes de stress post-traumatique sont détectés seulement 10 jours après le début de la quarantaine. Par conséquent, le confinement, s’il n’est pas correctement géré et/ou s’il n’est pas franchement accepté par la population, pourrait déclencher des situations de détresses socio-économiques au sein de nombreuses familles.
Les possibles effets psychologiques liés au stress du confinement sont les troubles émotionnels, la dépression, l’irritabilité et la colère, la confusion, l’angoisse, les insomnies, ainsi que des symptômes de stress post-traumatique. Les personnes seules et/ou âgées sont connues pour éprouver facilement la solitude, un sentiment précurseur de stress psychologique et de dépression, qui se répercute gravement sur leur santé physique, jusqu’à en abandonner la vie. Une étude a rassemblé des données sur les effets psychologiques dans les populations dans des cas de confinement antérieurs au COVID-19 [7]. Certaines de ces données révèlent que le score moyen des tests de détection du syndrome de stress post-traumatique est en moyenne 4 fois plus élevé chez les enfants confinés que chez les enfants non confinés. Dans la même étude, les parents de ces enfants ont aussi été diagnostiqués après le confinement. À la sortie de la crise, 28 % des parents confinés présentaient un trouble de la santé mental associé à un traumatisme, contre 6 % seulement des parents non confinés. D’autres études mettent en lumière l’apparition plus fréquente de dépression sévère chez les personnes ayant été confinées. Dans le cas de l’épidémie de COVID-19, des symptômes de stress post-traumatique ont été observés chez les enfants comme chez l’adulte (7 % des résidents de Wuhan présentaient ces symptômes au cours de l’épidémie) [8].
Les nouvelles habitudes de vie, associées au stress psychosociologique induit par le confinement, peuvent produire des effets néfastes sur le plan physique et mental qui s’entretiennent mutuellement, à l’instar d’un cercle vicieux. Le stress psychologique induit par le confinement, dont l’objectif est de limiter au maximum les déplacements et les contacts entre les individus, pourrait alors prendre le nom délicat de « stress de contrainte » ou de « stress d’immobilisation ».
5/ Le stress d’immobilisation dans les laboratoires et grandeur nature
Dans les laboratoires de sciences, des expériences d’immobilisation sur les rats ou les souris sont, depuis les années 1960, très utilisées pour étudier les effets biologiques et les processus de régulation liés au stress [9]. Bien qu’il existe d’autres techniques d’induction de stress chez l’animal comme l’administration d’agents toxiques, l’intervention chirurgicale, les températures extrêmes, ou encore la stimulation acoustique, l’immobilisation reste un modèle phare pour l’étude des adaptations physiologiques lorsque l’animal est soumis à un stress quotidien chronique.
Le stress d’immobilisation est complexe et implique à la fois une dimension physique où l’animal utilise ses muscles pour essayer de se mouvoir, mais aussi une forte dimension psychologique car l’animal ne peut pas échapper à la contrainte. L’étude rapporte que « les changements physiologiques et psychologiques associés à une contrainte résulte de la détresse et de la nature aversive de devoir rester immobile ». Concrètement, l’expérience d’immobilisation consiste à limiter au maximum les mouvements de l’animal, pendant une durée comprise entre 5 et 120 minutes. Si l’expérience est répétée quotidiennement sur l’animal pendant plusieurs semaines, le stress induit devient chronique. Une situation qui nous rappelle celle du confinement actuel (figure 6).
Figure 6 : L’expérience d’induction du « stress d’immobilisation » par contrainte (en labo) ou par confinement (à échelle humaine).
L’utilisation de la contrainte sur ces animaux permet d’obtenir des approximations satisfaisantes quant aux mécanismes sous-jacents du stress chez les organismes bio-psycho-sociaux, dont les humains font partie. Dans le cas du stress d’immobilisation induit par la contrainte, les scientifiques évoquent que « les extrapolations aux humains […] apparaissent raisonnables et représentatives du phénomène de stress trouvé dans d’autres espèces aussi ». C’est ainsi que les chercheurs ont pu, à partir de ce modèle de stress chez l’animal, comprendre et expliquer les principaux mécanismes biologiques de réponse au stress chez l’homme.
Face à une situation de stress chronique, les changements physiologiques les plus communément observés sont l’activation endocrinienne de l’axe hypothalamo-hypophysaire et l’augmentation du taux de cortisol dans le sang et donc aboutissant au stress oxydatif (revoir la figure 5). Afin de répondre à ces mécanismes neuroendocriniens, les animaux, comme les humains bien souvent, mangent davantage de nourritures riches en sucre et en gras, au risque d’être en surpoids, afin de compenser l’angoisse liée au stress chronique.
Sur le plan immunologique, le stress d’immobilisation aggrave les processus inflammatoires et impacte négativement l’expression et l’évolution d’un certain nombre de pathologies (diabète, athérosclérose, dépression, maladies neurodégénératives, cancers,…), en plus de retarder les processus de guérison et de cicatrisation. Le stress chronique augmente également l’exposition et la sévérité des infections bactériennes et virales. Au cours des infections virales, le stress induit par la contrainte altère la migration des cellules immunitaires et la production de cytokines, ce qui permet au virus de se répliquer plus efficacement. En sachant cela, on peut imaginer que le confinement, bien que son objectif soit de limiter la propagation du virus, déclenche chez l’homme des processus immunologiques et viraux contraires à cet objectif.
L’étude du modèle de stress d’immobilisation a permis également de souligner l’incidence du stress prénatal sur la progéniture des animaux. Le stress, sous la forme de molécules pro-inflammatoires, traverse le placenta et affecte le fœtus au risque de retarder le développement de celui-ci dans le ventre de la mère et d’aboutir à des naissances prématurées. Cela a une incidence plus tard sur le comportement des petits, et par conséquent sur celui des enfants dans le cas des humains.
Enfin, le stress chronique d’immobilisation affecte les aspects cognitifs et comportementaux de l’existence, notamment sur l’apprentissage et l’acquisition de la mémoire sur le long terme. Des études révèlent que les animaux, sous l’effet du stress d’immobilisation, n’ont plus la volonté ni la force de s’imposer et de gagner une place dans la hiérarchie. Bien au contraire, ils se soumettent facilement à leurs congénères. Doit-on comprendre que le confinement a pour but dissimulé, par la contrainte, de nous soumettre psychologiquement à un régime néolibéral sur le long terme ?
Bien sûr, les effets de la contrainte liée au confinement sont différents selon les conditions de vie des personnes. Tous ces changements physiologiques et psychologiques liés au stress d’immobilisation s’appliquent davantage aux résidants des villes, ou aux habitants ayant des revenus modestes, plutôt qu’aux familles aisées ou habitant à la campagne... Il est difficile, voire impossible de mesurer l’impact réel du confinement sur les populations. Quel est le rapport bénéfices/risques de la stratégie du confinement général sur les court, moyen et long termes ? Il est fort probable que l’application de mesures sanitaires alternatives au confinement général, sans pour autant laisser l’immunité collective faire tout le travail, auraient été plus favorable à l’économie, mais aussi et surtout au bien être individuel et social de chacun.