Un profond débat a agité le mouvement écologique radical américain de la fin des années 80. L’apparition de l’« écologie sociale », en réaction aux limites et dérives de l’« écologie profonde », va considérablement enrichir et rénover le discours sur l’écologie. Quasiment inconnu en France, son principal pionnier fut Murray Bookchin, intellectuel écolo-libertaire qui se définit comme un héritier de la longue tradition de lutte sociale américaine et en particulier des IWW [1]. Il s’opposa, dés 1987, à la misanthropie latente présente dans la mouvance des écologistes radicaux sous couvert d’un culte de la nature sauvage. Mais il montra surtout combien l’approche limitée des rapports sociaux et économiques révélait leur ignorance totale des véritables racines de la crise écologique actuelle.
Dans la logique de certains des partisans les plus fanatiques de l’écologie profonde [2], l’Homme n’est qu’une erreur de la Nature, un être malfaisant qui ne vit que pour détruire son environnement. Ils jugent l’espèce humaine comme étant par nature criminelle et voient dans les catastrophes naturelles un bon moyen de réguler sa population sur la surface du globe. On en arrive à des déclarations aberrantes comme celle de Dave Foreman, ancien porte-parole de Earth First dans les années 1980, qui certifiait qu’ « il est temps pour cette société guerrière de disparaître de la terre dans un raz-de-marée destructeur qui formera des anticorps contre la vérole humaine qui est en train de ravager cette belle et précieuse planète », et de poursuivre que les actions de son organisation « n’ont pas pour but de renverser un quelconque système social, politique ou économique » mais de défendre les espaces encore sauvages du nord-américain. Le rejet de leur propre nature humaine les conduit à créer une opposition non fondée entre l’Homme et son environnement (recréant paradoxalement la distinction Homme/Nature biblique). Cette incapacité aveugle et torturée à distinguer ce qui est profondément anti-écologique dans le capitalisme empêche de voir ce qui pourra être profondément écologique dans une société qui en serait enfin libérée.
Le manque d’un véritable projet social dans l’écologie profonde, montre l’absence d’une analyse rationnelle et cohérente de la crise écologique que nous traversons. Des visions éco-utopiques coexistent dans la plupart des publications ou sites Internet éco-radicaux avec des perspectives ultra autoritaires à faire frémir [3]. Il n’est pas étonnant que se soient diffusées au sein de cette mouvance les thèses primitivistes (voir par exemple le livre de John Zerzan, Futur Primitif, chez l’éditeur À Coteaux Tirés) d’un retour au modèle des chasseurs-cueilleurs pour succéder à la fin de notre civilisation.
L’écologie sociale, sous l’influence du municipalisme libertaire de Pierre Kropotkine [4], tente de dépasser ces limites. Elle recherche la création d’une société basée sur des rapports sociaux non hiérarchiques, reposant sur des communautés démocratiques et autogestionnaires décentralisées. Elle insiste sur la nécessité du développement d’écotechnologies comme les énergies propres, l’agriculture organique et les industries à échelle humaine. Elle prône une décentralisation de la production et une désurbanisation pour redonner le contact de la nature à l’Homme. Le but étant de permettre de retisser un lien entre les hommes et de redonner naissance à une sensibilité écologique dans notre culture, ce projet ne pouvant s’accomplir qu’en combattant la logique de recherche du profit du capitalisme. C’est sur ce point que l’écologie sociale converge avec notre point de vue socialiste révolutionnaire. Particulièrement lorsqu’elle est à l’origine d’actions concrètes conciliant les deux approches écologistes, à la manière des activistes de l’Earth First s’alliant à des bûcherons dans le but de sauver des forêts anciennes du Grand Nord américain, en remplaçant les grandes entreprises forestières par des coopératives appartenant aux travailleurs et soucieuses de l’environnement.
Bien souvent plus radicale dans sa logique que l’écologie profonde, l’écologie sociale n’arrive pourtant pas à se débarrasser de certaines des illusions en vogue dans les milieux de gauche (recherche de contacts avec les institutions, altermondialisme, citoyennisme). Mais elle pose pourtant une bonne question : comment le développement social peut- il s’intégrer harmonieusement à l’environnement ?