Arthur Sapaudia : Nous connaissons votre attachement pour l’instruction en famille (IEF). Pouvez-vous nous brosser un état des lieux de la situation actuelle ?
Carmen Daudet : Nous sommes passés d’un régime de droit à un régime d’autorisation. Il faut donc depuis cette année faire une demande, via un formulaire Cerfa, sauf pour les enfants qui étaient en IEF l’année dernière, et qui ont obtenu une autorisation de droit, suite à leur contrôle positif.
Autre nouveauté, la loi impose à ceux qui instruisent leurs enfants un niveau bac ou équivalent (diplôme ou validation des acquis de l’expérience) ; précisons que l’instructeur peut-être une personne autre que les parents.
On peut demander l’autorisation d’instruire son enfant dans la famille pour les quatre motifs suivants – dans la case d’en face, les pièces justificatives à fournir :
On voit que les exigences imposées au parents, pour le motif 4, sont très au-delà de ce que l’Éducation nationale impose à ses propres enseignants – sachant que les vacataires recrutés en masse pour cette rentrée 2022 sont « formés » en 4 jours !
Pourtant, Jean-Michel Blanquer avait affirmé devant le Sénat :
« Une famille qui respecte parfaitement la loi et le bien-être de l’enfant n’a pas lieu de s’inquiéter ; je lance donc un appel à la sérénité : les bonnes pratiques seront confortées. En réalité, les familles qui ne posent pas de problème au regard des critères de l’enseignement, ne seront nullement inquiétées pour leur choix de l’instruction en famille, elles pourront continuer à le faire conformément au principe de liberté auquel nous sommes très attachés. »
Or les académies ont une interprétation souvent arbitraire de ces obligations légales et un grand nombre de familles voient leurs demandes rejetées parce que « les éléments constitutifs de (leur) dossier n’établissent pas l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ».
Pire, les associations de défense de l’IEF nous apprennent que 9 % des DASEN (Directeur académique des services de l’Éducation nationale) considèrent que « la situation propre de l’enfant n’empêche pas sa scolarisation ».
Quoi qu’il en soit, on note une nette disparité à l’échelle nationale : certaines académies dispensent volontiers l’autorisation quand d’autres s’y refusent systématiquement (les académies de Dijon et Toulouse comptent 100 % de refus à ce jour pour le motif 4 ). Cette différence de traitement a d’ailleurs été avouée récemment par le ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye :
« (…) Sur la question de l’enseignement à la maison qui est une thématique en effet importante, la loi (…) dans son titre 4, puisque les 3 autres titres ne posent pas de difficulté particulière, mais c’est le titre 4 qui suscite des incompréhensions. À l’échelle nationale, nous avons 53 % de réponses positives au titre 4 en ce qui concerne l’instruction à la maison. Mais là où nous péchons, au niveau du ministère, c’est qu’il y a des écarts très forts et des contrastes très forts entre académies et départements quant aux réponses qui sont fournies. Dans certains départements, c’est un non qui est très massif, dans d’autres départements les services académiques fournissent des réponses plus ouvertes. Et donc nous devons absolument équilibrer les choses à l’échelle du pays pour éviter ces écarts. (…) »
Or les 53 % pour motif 4 incluent un grand nombre de familles qui pratiquaient déjà l’instruction en famille en 2021/2022 et qui font donc partie des autorisés « de droit », ce qui augmente artificiellement le nombre de dossiers autorisés pour motif 4.
L’ objectif non avoué de ces refus en masse est bien sûr de restreindre au maximum le nombre d’enfants instruits en famille. Quitte à séparer des fratries, comme je le constate dans mon département. Les aînés, qui ont encore le droit de faire l’école à la maison pendant 2 ans, se voient séparés de leurs petits frères et sœurs de 3 ans, obligés de prendre le chemin de l’école car l’administration leur a refusé l’autorisation pour motif 4.
Quant aux recours, il ne faut pas trop compter dessus, même si les associations mettent l’accent sur les victoires judiciaires, ces dernières sont loin d’être majoritaires ; la plupart des familles se voient refouler une nouvelle fois, que ce soit par l’intermédiaire d’un RAPO (commission de l’Éducation nationale), d’un référé (tribunal administratif) ou encore d’un recours en cassation.
La conclusion de tout cela, c’est qu’il faut éviter à tout prix d’offrir à l’administration la possibilité de vous dire non. Comment ?
Première option : prévoir un tour de France d’un an, qui rentre dans la catégorie 3a (itinérance en famille en France) et qui ne nécessite que très peu de preuves quand c’est dans un contexte de loisir. L’autre option, c’est de monter une école associative de parents – mais c’est couteux en temps et en argent. La dernière option, que je n’ai pas le droit de vous inciter à choisir, même si je sais que de plus en plus de parents y songent, c’est de ne pas faire de demande du tout. Tant que la CAF ne communique pas nos données à l’Éducation nationale, on est en quelque sorte en dehors des radars…
Face à l’échec flagrant de l’éducation publique concernant le développement cognitif, affectif, social et moral de nos enfants, à quelles bases fondamentales faudrait-il revenir pour recréer des êtres épanouis et intelligents ?
Selon moi, la base, c’est instruire son enfant, pour lui offrir les outils intellectuels qui le rendront libre, à savoir : lire, écrire et compter.
J’entends par lire le fait d’apprendre à déchiffrer, puis comprendre, puis mémoriser, puis confronter les différents écrits rencontrés.
J’entends par écrire : tracer bien, calligraphier, puis maîtriser l’orthographe puis organiser sa pensée en structurant son texte (art de la rédaction) car tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement.
J’entends par compter : effectuer des opérations d’abord par la manipulation puis mentalement, développer l’esprit logique, anticiper des résultats en appliquant les principes acquis, puis accéder à des concepts de plus en plus abstraits.
La question de l’éducation, c’est-à-dire de l’enseignement moral, ne vient qu’en second lieu, car les parents transmettent des valeurs sans même en avoir conscience. L’environnement dans lequel baigne l’enfant suffit à le construire (ou à le déconstruire), et ne nécessite pas un enseignement spécifique.
De cette question en découle une autre plus concrète : les enfants qui vont à l’école aujourd’hui sont bombardés d’idéologies moralement et politiquement orientées, auxquels nous n’adhérons pas forcément. En tant que parent, comment freiner, voire éviter ce lavage de cerveau, lorsque de l’IEF est impossible ?
C’est par leurs actes que les parents apprennent à leur enfant l’esprit critique et contrecarrent en partie la doxa instillée par l’école et les médias. Les enfants captent l’attitude de leurs parents, leurs propos, et même s’ils ne comprennent pas tout, ils constatent qu’il y a désaccord, critique, méfiance, voire désobéissance vis-à-vis de la société, des médias et de l’État. Par exemple, lorsqu’ils voient leurs parents remettre en question le port du masque ou l’injection ; dès l’âge de 7 ou 8 ans l’enfant peut adopter un comportement de caméléon, à savoir : faire comme les autres en apparence, mais penser différemment dans le fond, en soi.
En revanche les parents ne peuvent rien contre ce qui est de l’ordre du trauma, je pense notamment à tout ce qui relève de la sexualité. Nous sommes malheureusement impuissants car ces attaques atteignent l’inconscient auquel personne n’a accès. C’est bien pour cela que l’accent est mis de plus en plus sur les théories LGBTQ+.
Entre le Neuralink d’Elon Musk (l’implantation de puce dans le cerveau humain à partir de 2022) et le Metaverse de Zuckerberg, comment voyez-vous l’éducation du futur ?
Je suppose – j’espère – que le monde s’effondrera avant que l’on en vienne à ces scénarios de science fiction. J’imagine que dans tous les cas, l’homme augmenté sera dans un premier temps un adulte volontaire, et donc responsable. Pas un enfant.
Pour l’instant ces projets ne me préoccupent pas beaucoup. Ce qui m’inquiète davantage, c’est la surexposition des enfants aux écrans et à la violence, qui en fait des êtres totalement ingérables, anesthésiés, déconnectés du réel. Dès la maternelle, ils sont victimes de troubles ressemblant à l’autisme et j’ai déjà vu, dans ma carrière, des classes de zone défavorisées où plus de la moitié des enfants étaient atteints. Cela est véritablement effrayant. Je me demande souvent comment se passera, pour mes enfants, la confrontation avec ces individus qui n’ont pas eu comme eux la chance d’être protégés. Pas sûr que ça se passe dans le respect de la différence, si cher à nos dirigeants…