Il y a plusieurs types de gouvernance. Mais pas une infinité. Ce qui rapproche François Hollande et Mao Zedong, en mettant de côté le poids historique incomparable de ces deux dirigeants (mais peut-être Hollande à la fin de son ou de ses mandats sera-t-il plus grand que de Gaulle), c’est la faculté de régénérer son pouvoir dans la manipulation des antagonismes qui agitent naturellement ou artificiellement leurs opposants et leurs peuples respectifs.
Logiquement, on ne devrait pas avoir le droit de comparer deux dirigeants différents, issus de deux pays culturellement différents, à deux époques différentes, soumis à deux régimes politiques complètement différents. Pourtant, ce croisement est fertile. Ne dit-on pas désormais, après décantation de l’Histoire, que les grands dirigeants chinois qui ont mis leur pays sur la pente du surdéveloppement ont été, non pas Mao Zedong, mais Zhou Enlai et surtout Deng Xiaoping ? Même si les morts de Tian’anmen seront reprochés à Deng, qui aura pris la décision historique, en une nuit, de sauver le régime en sacrifiant la bourgeonnante démocratie estudiantine, peut-être chauffée par Moscou… 25 ans plus tard, l’acte fondateur de la répression a fait dévier une Chine qui prenait la direction de la perestroïka, pour en faire le géant économique que l’on sait. Mais revenons à notre parallèle.
Derrière un président de la République dont la popularité chute lentement mais sûrement depuis son élection de mai 2012, si l’on excepte le sursaut dû à l’épisode terroriste, il y a une trahison de tous les idéaux de la gauche qui l’a élu. Initiée sous Jospin, et achevée à coups de pelle par Hollande.
« Les gens détestent Hollande… Quand t’es à 13 % de popularité, ça veut dire que la France te déteste ! […] Les gens le prennent pour une nouille ! […] C’est moi qui leur dis mais non, pas du tout, il est très drôle, il est très intelligent ! »
(Éric Zemmour, Ça se dispute, i>Télé, 21 septembre 2014)
En élargissant les lignes de failles qui zèbrent la structure administrative du pouvoir, en montant leurs administrés les uns contre les autres, ces dirigeants brisent les blocs oppositionnels en injectant des sujets polémiques (aujourd’hui on dit clivants) dans le débat, et remportent ainsi des victoires politiques, non sur leurs propres forces, mais sur l’exploitation astucieuse des faiblesses des autres. Stratégie négative, mais efficace, surtout quand on est minoritaire. Toujours perdante à long terme, mais gagnante à court terme. Mao ou Hollande ne sont pas plus forts, mais leurs oppositions sont régulièrement laminées. Ce sont des malins, dans tous les sens du terme. Leurs pays respectifs payent le prix de leurs calculs risqués à plusieurs bandes. A eux le profit politique, aux autres les dégâts. Grands tacticiens, médiocres stratèges. Ce sont des destructeurs, pas des constructeurs.
« C’est toute la tactique du député de Corrèze : pagayer un coup à gauche, un coup à droite, avec pour seul principe celui d’avancer. Il donne l’impression de faire du sur-place ? “C’est un effet d’optique, souligne Gérard Le Gall, grand spécialiste des sondages au Parti socialiste. En fait, François est toujours en mouvement. Ce n’est ni un pédalo ni un hors-bord, c’est un sous-marin en surface... un insubmersible.” Toujours le syndrome du crocodile. »
(Serge Raffy dans Le Président, Pluriel, 2007)
En dix ans à la tête du PS puis en deux ans à la tête du pays, François Hollande aura réduit ou acheté les frondes internes à son courant, cassé la droite en deux, utilisé le FN au maximum, neutralisé ou évacué la gauche de la gauche du gouvernement, changé le social-socialisme en libéral-socialisme, engagé la France dans une multitude de conflits extérieurs (alors qu’il avait promis un retrait militaire global) pour le compte des États-Unis, d’Israël et de l’OTAN, laissé les rênes de la gestion intérieure du pays à la paire prosioniste Valls-Macron, pour finalement échouer sur le chômage (c’est le cas de tous ses prédécesseurs) et la relance de l’activité. Comme Mao après ses expériences économiques désastreuses. Après le désastre, les deux hommes resteront les maîtres du jeu, mais à quel prix ?
« C’est en 1958-1959 que se noue la tragédie centrale de la première Chine populaire, le Grand Bond en avant : à l’origine, une politique destinée à accélérer la croissance économique en multipliant d’un coup tous les investissements. Il s’agit d’un évènement extraordinaire par l’ampleur des pertes humaines : peut-être 36 millions de morts – un tarif de guerre mondiale… Si l’on tient compte de ce coût humain, deux caractéristiques paraissent étranges : d’une part, que cette politique ait été d’emblée critiquée par les esprits raisonnables et pourtant lancée avec leur concours, ce qui a rendu son application à la fois possible et efficace ; d’autre part, qu’elle ait très vite entraîné des erreurs et des pertes manifestes, au point de provoquer durant l’été 1959 l’opposition publique de très hauts dirigeants, et que pourtant elle ait été poursuivie pendant une période qui s’est révélée la plus meurtrière.
Plusieurs explications sont possibles : notamment le nationalisme et l’utopisme de Mao et de ses collègues, l’absence de formation économique des millions de cadres du PCC, le mélange de passivité et d’anarchie de la population, et enfin le rôle des conflits de factions au Centre et dans les provinces. L’analyse des évènements à travers le prisme des Murs rouges confirme en large partie ces explications, mais en ajoute deux autres : Mao veut lancer le Grand Bond en avant pour échapper à la société – qu’il juge étouffante – que forment ses collègues des Murs rouges, et pourtant il a besoin d’eux pour le conduire. Incapables de s’unir pour l’empêcher de mettre en œuvre une politique qu’ils n’approuvent pas complètement, ceux-ci ne peuvent rien faire d’autre que l’appliquer en espérant la vider progressivement de son contenu. »
(Mao, sa cour et ses complots. Derrière les Murs rouges, Jean-Luc Domenach, Fayard, 2012, page 189)
Alors que tout le monde le donne pour mort, avec ses 15-20 % de satisfaits, record d’impopularité d’un président sous la Ve République, Hollande a en réalité toutes les cartes en main pour 2017.
Débarrassé de sa gauche pénible (Montebourg et sa VIe République, les paléosocialistes du type Lienemann et Filoche, et ces emmerdeurs d’écolos) comme François Mitterrand le fut de ses alliés communistes, Hollande lorgne désormais vers le centre, et la droite. Car Macron, le petit chouchou de l’attelage Minc/Attali, aurait pu aisément travailler dans un gouvernement Juppé ou Fillon. Le pôle de centre gauche hollandiste va donc mécaniquement décrocher un bon morceau du centre droit, de cette droite qui ne peut plus gagner depuis que le FN grignote sa propre droite (via les députés du Sud). Cela tombe bien : le centre n’existe plus, Borloo est sorti du jeu, et Bayrou, le paysan catholique qui rêve depuis une prophétie de Mitterrand d’être président, n’a plus de troupes. Ainsi, l’hypothèse de Ségolène Royal de l’entre-deux tours 2007 revoit le jour. La redistribution des cartes en France risque d’être la suivante : un pôle de centre gauche-droite (50), une droite dure (30), et une gauche dure (20).
« C’est sa toute dernière prophétie, Hollande nous débarrasse du socialisme, comme Mitterrand nous a débarrassés du communisme. »
(Reportage sur Alain Minc, C politique, France 5, le 16 février 2014)
Adieu bipolarité. Cependant, l’alliance des socialistes et des centristes, c’est-à-dire les chrétiens sociaux, est remise en cause par les agressions du duo Taubira/Belkacem, sans oublier, avant qu’elle ne saute, celle de Filippetti et de son ami Ribes, protecteur de Piss Christ. Tout cela a laissé des traces, dans un pays, faut-il le rappeler, de socle chrétien. Logiquement, Hollande devrait désavouer à terme ses coupeuses de France en deux. Sinon, les portes du centre et de la victoire lui seront fermées.
Hollande opère donc une recomposition du paysage politique, en larguant ces officines de chantage que sont les Rouges et les Verts. Quoi qu’on en dise, Hollande est sur le chemin de 2017 et pour l’instant, personne n’a autant de cartes en mains. La différence entre la situation actuelle, avec ses trois pôles en voie de cimentation, et la bipolarité d’hier, c’est que la bipolarité n’offrait paradoxalement pas de choc politique majeur, les finales des présidentielles opposant plus des individus que des idées. Une fois constitué, le pôle centriste (la fameuse social-démocratie à la française) sera attaqué très durement sur sa droite comme sur sa gauche, situation que la République de Weimar a connue dans les années 20. Nous sommes nous aussi à plus de cinq millions de chômeurs, avec une démocratie libérale prise en sandwich entre des extrêmes se renforçant.
« Ce n’est pas lui qui manipule mais lui qui est manipulé. Ce n’est pas un stratège mais un tacticien au jour le jour qui tente de s’adapter à des mouvements qui le dépassent. C’est un technocrate uniquement intéressé par les questions économiques et qui croyait malin d’utiliser les questions sociétales pour ratisser électoralement un électorat bobo des grandes villes, mais qui se prend les pieds dans le tapis. »
(Éric Zemmour, RTL, le 7 février 2014)
Hollande, malgré ce que dit Zemmour, qui se trompe parfois quand il pense par lui-même, n’est pas un véritable économiste : c’est un pur politique. Comme Mao. Mais à l’idéologie floue.
« Tout d’abord, la “pensée de Mao”, qui n’a jamais fait l’objet d’un exposé rigoureux et complet en Chine, n’existe pas comme corps de doctrine. Elle se déploie historiquement (c’est en partie ce qui a engendré sa séduction) comme une sorte de gauchisation vivante, aléatoire et opportuniste, d’une doctrine marxiste-léniniste qu’elle “continue”. Mais le génie tactique de Mao est à l’œuvre en permanence et cette “pensée” est bien plus souvent dictée par le souci de justifier des manœuvres victorieuses que de construire des actions positives.
Dans son développement historique, la “pensée de Mao” vise d’abord à véhiculer l’action que le dictateur déploie en permanence pour protéger son pouvoir, le regagner ou le rendre définitif (car tel est le sens des ovations sur ses “dix mille ans”). […] Le Mao manœuvrier et bureaucrate l’emporte le plus souvent sur le Mao idéologue. »
(Derrière les Murs rouges, page 271)
Lorsque Mao a senti que le pouvoir, acquis au bout du fusil après 30 ans de luttes (1919-1949), a commencé à lui échapper dans les mains des technocrates des Murs rouges, plus efficaces, plus adaptés, tournés vers l’avenir, la paix et le développement, il a renversé la table et redistribué les rôles par la terreur. Une première fois en 1958 avec son Grand Bond (en arrière), et dix ans plus tard avec la Révolution culturelle, qui feront perdre 20 ans à la Chine.
En 2013, déjà en perte de vitesse, Hollande jette de l’huile sur le feu de la question religieuse, en accordant aux homosexuels le droit de se marier, prélude à l’ignoble gestation pour autrui (GPA), marchandisation officielle de l’être humain autorisée. Qui est aujourd’hui une réalité en France (voir dans le Grand Soir 3 du 11 février 2015 le reportage sur Sarah, qui a acheté son bébé 30 000 euros). La menace d’un changement de civilisation selon Christine Boutin, qui jettera des millions de Français dans les rues. Un déchirement qui n’est toujours pas refermé.
« J’ai évoqué tout à l’heure l’unité de la République. Ça, c’est l’enjeu majeur pour la France. Se retrouver sur l’essentiel même quand il y a des clivages. »
(Conférence de presse du président de la République, le 5 février 2015)
Parlant d’unité nationale mais faisant le contraire, Hollande choisira pratiquement des gouvernements de désunion nationale. Ouvrant des failles qui se feront sentir jusque dans son propre camp, une partie des députés socialistes entrant en fronde contre l’exécutif, suite au retrait de la loi sur la famille, et perdant une bonne partie des électeurs français de confession musulmane ayant voté pour lui (à 70 %) en 2012.
« Hollande c’est le sauve-qui-peut des malins. La rébellion des familles de banlieue l’a affolé car il n’ignore pas qu’il doit une partie de son élection au vote massif des populations musulmanes en sa faveur. Le cercle de réflexion Terra Nova conseillait naguère à la gauche d’abandonner l’électorat populaire trop réactionnaire pour se rapprocher de la jeunesse diplômée et des populations issues de l’immigration. Celles-ci se révèlent aussi réactionnaires que le peuple français tant dénigré. »
(Éric Zemmour après la Manif pour tous, RTL, 7 février 2014)
Mais le président de tous les Français n’en a cure. Malgré les dommages collatéraux, d’un pur point de vue politique, il a gagné : la pierre de la droite a éclaté en deux, entre droite dite réac et droite libérale. Un coup d’épée que n’aurait pas renié son modèle, François Mitterrand. Le FN, en retrait, comptant les points, et poursuivant le même objectif que Hollande : la pulvérisation de la droite. Tout le monde a commenté l’alliance objective des deux formations. Un pacte de non-agression à la Ribbentrop-Molotov qui annonce peut-être un choc final, après élimination de la droite. Dans sa main, Hollande conserve d’autres grenades pour 2017. Le droit de vote des immigrés notamment, qui pourrait lui faire d’une pierre trois coups : faire passer l’opposition de droite pour raciste, booster le FN pour achever définitivement la droite classique, et rafler un bon million de voix.
Hollande aura utilisé les dangereuses lignes de fracture qui peuvent opposer les Français : homos/hétéros, hommes/femmes, peuple/élite, sionistes/antisionistes, chrétiens/musulmans, religieux/athées, racistes/antiracistes… en les élargissant au gré de ses besoins. Il a reproduit sur la France ce qui a fait son succès au Parti socialiste, où il s’est imposé en jouant avec les courants comme on joue d’un instrument de musique. Mais la France n’est pas un parti, et les fractures ouvertes n’en sont que plus dangereuses.
Mao aura joué sur les luttes entre clans et factions à l’intérieur des Murs rouges, siège du pouvoir central, et à la tête des provinces : militaires entre eux, militaires contre civils, anciens (ceux de la Longue Marche) contre nouveaux cadres, diplômés contre non-diplômés, armée contre gouvernement, Parti contre armée, services secrets contre tous (avec le roi de la purge Kang Sheng), parents contre enfants…
- Kang Sheng, maître des ombres pendant 50 ans, le Dzerjinski chinois
« Ce sont ces groupes que nous avons combattus, et d’ailleurs victorieusement, au Mali. D’autres agissent au Nigeria, en Libye, en Somalie, mais c’est en Irak et en Syrie, que le danger est le plus grand. Le mouvement terroriste, que l’on appelle Daech, a prospéré dans le chaos syrien et, disons-le, aussi parce que la communauté internationale est restée inerte. »
(Conférence presse du président de la République, le 18 septembre 2014)
« On croit toujours que la guerre c’est pour les autres, on pense toujours que la guerre c’est loin, que la guerre ce n’est pas pour notre génération – c’était pour les temps de nos parents, de nos grands-parents – on n’imagine pas que la guerre puisse être une réalité et, pourtant, à quelques heures d’avion à l’est de l’Europe, à ses frontières, il y a des femmes, des hommes, des civils qui meurent chaque jour… »
(Conférence de presse du président de la République, le 5 février 2015)
Hollande se sortira du marasme intérieur en faisant ce que font tous les présidents affaiblis : endosser la panoplie de chef de guerre, projetant nos forces pourtant laminées par les coupes budgétaires en Afrique et en Asie, si l’on excepte le théâtre intérieur avec les « attentats » de janvier 2015.
Pour durer, Mao aura fait deux grandes guerres à son élite et à son peuple. Malgré ça, le peuple chinois et son élite naturelle trouveront le chemin de la paix et de l’unification.
« Cette première réconciliation avec le peuple en entraîne une deuxième à l’intérieur de l’élite dirigeante elle-même. En 1949, celle-ci était unie par les combats et les succès communs ainsi que par la volonté également commune d’en tirer profit. Mais cette unité cachait plusieurs fêlures : entre les factions originelles, entre le haut et le bas de la hiérarchie, entre l’armée, le Parti et le gouvernement… En exploitant jusqu’au bout ces fêlures, Mao a provoqué, au contraire, le déclenchement d’une logique de réunification interne : face au désordre, il fallait serrer les rangs. On découvrait que pratiquement toutes les factions avaient eu des victimes, et que tous les cadres étaient nécessaires au fonctionnement du régime.
Cette nouvelle atmosphère modifie insensiblement ce que l’on pourrait appeler l’opinion publique des Murs rouges, cette même opinion publique que la “lutte entre les deux lignes” avait clivée et rendue muette. Une première révision concerne la dialectique du dire et du faire. La Révolution culturelle a confirmé dans l’esprit de la majorité les conséquences catastrophiques de la logorrhée. Désormais, au contraire, le Parti se ralliera au bon vieux pragmatisme de la population : une bonne politique n’est pas une politique que l’on dit bonne, c’est une politique qui réussit. La seconde révision concerne le nouveau rôle attribué à l’économie : chacun comprend d’un coup que la croissance économique, et non la révolution politique, améliorera le niveau de vie et renforcera l’État. »
(Derrière les Murs rouges, page 427)
« Je veux aussi vous dire, que pendant deux ans et demi, c’est-à-dire tous les jours qui me séparent de la fin de mon mandat, je ne cesserai d’agir dans l’esprit de l’unité de la République et de l’égalité entre les Français. »
(Conférence de presse du 5 février 2015)
Un président qui n’a pas de vision est condamné à mentir. Hollande, le grand séparateur, a beau en appeler à l’unité, il prospère sur la désunion. Si l’on écoute la voix de l’Histoire, il sera chassé par une personnalité populaire et pragmatique, qui ressoudera la nation.