Egalité et Réconciliation
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Entretien de Michel Drac pour "Rébellion*"

Michel Drac est essayiste et diplômé d’école de commerce. Depuis une quinzaine d’années il travaille comme contrôleur de gestion. Il est le cofondateur du site internet des éditions Le Retour aux Sources et a été membre du bureau national de l’association d’Alain Soral, Egalité & Réconciliation.

En 2009, dans Crise ou coup d’état ?, vous analysiez les aspects purement macro-économiques de la Deuxième Grande Dépression. Cette année dans Crise économique ou crise du sens ?, vous écrivez : « Il est temps de nous éloigner de l’économie-monde, pour nous demander si l’économie peut constituer un monde ». Pouvez-vous, dans un premier temps, nous présenter la structure de votre livre ?

Dans « Crise ou coup d’Etat ? », j’ai tenté de montrer que la « bulle de l’endettement » est une stratégie des milieux dirigeants pour gérer le recul de leur domination dans le monde. Il s’agit de gagner la guerre de classes en Occident, alors que sur le plan géostratégique, les milieux dirigeants occidentaux sont confrontés à la montée en puissance d’une Asie rivale. Les classes dirigeantes veulent un modèle dual, afin que l’oligarchie survive au monde qu’elle gérait.

Dans « Crise économique ou crise du sens ? », j’ai voulu comprendre pourquoi notre classe dirigeante avait fait ce choix. Dire que notre classe dirigeante est formée d’irresponsables égotiques préoccupés de leurs intérêts de caste, c’est décrire la surface des choses ; la vraie question, c’est : pourquoi cette classe dirigeante pense-t-elle comme elle pense ?

Je propose d’articuler la réponse autour de la notion de crise du sens. Notre système est en lui-même une crise. La crise est devenue l’essence de notre système, parce qu’il n’est plus consacré qu’à sa propre reconduction. Il n’y a plus de sens à l’action de nos dirigeants, en dehors du maintien de leur position. J’emploie, pour décrire cette situation, des analogies avec, en particulier, la situation de l’Union Soviétique sous Brejnev, ou encore la paraphrénie qui a saisi, à l’échelle micro-économique, la direction d’Enron, progressivement, dans le courant des années 1990. Tout l’Occident est, désormais, un Enron géant.

La crise des subprimes dissimulerait en réalité une implosion spirituelle. Quels éléments vous ont amené à dépasser le cadre de la réflexion macro-économique ?

La crise des subprimes n’est que la partie émergée d’une gigantesque montagne d’endettement, pour l’instant submergée : trois années de PIB de la sphère occidentale, soit douze années de la production agricole et industrielle. Une masse colossale de créances dont une forte proportion est irrécouvrable : comment voulez-vous rembourser une dette égale à trois fois votre PIB, quand votre croissance réelle est faible, voire nulle – et risque même de devenir négative, à moyen terme, si ce qu’on nous dit sur la déplétion pétrolière est vrai ? Faites le calcul : même en spoliant massivement les débiteurs insolvables, il n’y a plus aucun moyen d’honorer cette dette. Et je ne vous parle pas des produits dérivés !

Comment en est-on arrivé là ?

Je n’entrerai pas ici dans les détails : il faut les 200 pages du livre pour ça ! Mais si l’on s’arrête aux grandes lignes, en quelques points :

Un, le système doit pour se maintenir dégager toujours plus de profit, pour rémunérer un capital en augmentation constante, et pour cela comprime les revenus du travail.

Deux, pour dégager des surprofits, le système, dans son intelligence collective, fait également des choix rentables à court terme, mais absurdes à moyen terme (délocalisations, désindustrialisation, dérèglementations permettant toute sorte de magouilles, sur la dette publique, par exemple – fabriquée à grande échelle depuis 1973 et la fin du système de financement des Etats par les banques centrales).

La combinaison des points Un et Deux fait que beaucoup d’acteurs du système, à la fin des années 1990, sont dans l’impasse. On n’a pas développé la production, parce qu’on a perdu de vue les finalités réelles de l’économie. En fait, on a là les conséquences pratiques d’une crise spirituelle, ou disons d’un effondrement mental collectif : il n’y a plus d’éthique de la production, de l’épargne, de la « formation brute de capital fixe », si vous voulez ; il n’y a plus qu’une logique du profit pour le profit, sans considération de son sous-jacent réel, en termes de richesses effectives. Et c’est donc, à la sortie, fin des années 90, la fuite en avant vers la mythique « Nouvelle Economie », et pour finir le krach.

C’est là qu’on arrive au Point Trois, le moment où le drame se noue. Pour ne pas voir l’implosion de ce système du profit pour le profit, la FED de Greenspan maintient, pendant plusieurs années, des taux directeurs absurdes, inférieurs à l’inflation de plusieurs points. Cela revient, alors qu’on a détruit la demande solvable et pendant qu’on continue à saborder l’outil de production, à « shooter » l’économie à l’argent facile – d’où, par exemple, la bulle des subprimes, simple épiphénomène en réalité. Le niveau de la dette, déjà excessif avant cette période, devient alors absurde. Et en 2007-2008, tout s’effondre.

Donc, si l’on remonte aux causes des causes, on a bien une perte d’orientation radicale des classes dirigeantes quant aux finalités de leur action. Il ne s’agit plus de développer la production, d’améliorer la vie des gens par une économie productive, il s’agit de garder le pouvoir en renforçant la concentration du capital. Derrière le krach financier, le krach mental. Et comme dans « idolâtrie du profit », il y a le mot « idolâtrie », je crois qu’on peut même faire remonter ce krach mental à une crise avant tout spirituelle. Il faudrait que je retourne vérifier dans ma Bible, il y est question de Baal, je crois, ici ou là…

En quoi l’ancien système soviétique, et son effondrement, fournissent-ils des clés de compréhension sur le déclin de l’actuel système occidental ?

L’Union Soviétique, à partir de Brejnev, ne poursuit plus qu’un seul objectif : la stabilité. C’est-à-dire, en fait : la stabilité du pouvoir. Le but des bréjnéviens, c’est de maintenir le bréjnévisme, c’est-à-dire leur propre pouvoir. Après la folie stalinienne et l’échec de Khrouchtchev, l’appareil du Parti se mue en oligarchie statique, peuplée de « fils de », et les potentats locaux se comportent, de plus en plus, en féodaux, installés dans des fiefs dont on ne les expulse plus.

Pour dissimuler cette situation, le Pouvoir a recours à une hyper-idéologisation du discours, qui peut prendre, parfois, des formes tellement caricaturales qu’a posteriori, elles paraissent grotesques. C’est l’époque de Souslov, le moment où Moscou a accentué au maximum son effort de propagande. L’écart entre le discours officiel et la réalité vécue par la population est devenu tel qu’on ne cherche même plus à les mettre en accord. Le Kremlin ne fait plus violence à la société, ou disons beaucoup moins, parce qu’il vit pour ainsi dire dans sa bulle, comme si le réel social était inexistant.

Franchement, ça ne vous rappelle rien ? Quant à moi, quand je feuillette les journaux français mainstream, j’éprouve de plus en plus la sensation bizarre que les soviétiques devaient ressentir, dans les années 70, en parcourant la Pravda. A telle enseigne, d’ailleurs, qu’en contemplant avec amusement le numéro de Bling-Bling de notre hyper-président pathétique, je me suis fait la réflexion que son attirance pour les stylos dorés et les montres de prix fournissait, en somme, un équivalent capitaliste à la batterie de médailles de Leonid Brejnev !

Ce que nous enseigne l’histoire de l’URSS, c’est qu’un système entré dans une telle paraphrénie finit toujours par s’écrouler, soit dans l’anomie, soit dans la paranoïa, soit, disons, dans un mélange des deux, en proportions variables.

Le 9 mai 2010, cette organisation multilatérale non-européenne qu’est le FMI s’est ingérée dans les affaires d’un pays européen endetté, la Grèce. A qui était exactement destiné ce « plan de sauvetage » ? La Grèce est-elle réellement sauvée ?

Le seul moyen de sauver la Grèce est d’annuler sa dette, ou en tout cas, au minimum, de lui permettre de la rembourser en se finançant directement à la BCE, massivement, et au taux directeur. Et encore : ça ne pourrait valoir que si la zone euro était réaménagée, avec à la clef, sous une forme ou une autre, la dévaluation d’une monnaie grecque sans doute arrimée à l’euro, mais avec un taux fixe révisable. Hors de là, point de salut ! Il est évident que la Grèce ne peut pas rembourser sa dette dans les conditions actuelles.

La véritable finalité du plan d’aide à la Grèce est donc de sauver les banques créancières de ce pays. Au reste, il est intéressant de noter que plus les banques d’un pays européen avaient de créances grecques, plus ce pays était désireux de « sauver » nos amis grecs. Comme par hasard.

En réalité, derrière l’affaire grecque, il y a une « guerre de velours », pour reprendre l’expression judicieuse du laboratoire LEAP, entre la haute finance anglo-saxonne et celle de la zone euro. Deux acteurs qui collaborent et s’affrontent à la fois. Il faut savoir que quand on vous dit que « les marchés » ont perdu confiance dans la dette grecque, « les marchés », en pratique, c’est deux gugusses chez Goldman Sachs (qui contrôle une fraction décisive du marché des dérivés sur les dettes publiques) et trois autres dans les grandes agences de notation anglo-saxonnes. « Les marchés », c’est quelqu’un ! Et ce quelqu’un a furieusement besoin de liquidités pour sauver un système anglo-américain en coma dépassé – ou disons : pour le prolonger.

En fait d’avoir sauvé la Grèce, le plan FMI-Union Européenne parachève tout simplement la prise en otage de ce peuple, petit par la taille, immense par l’Histoire. Une prise en otage par les grands prédateurs financiers de la City, de Wall Street et de quelques pôles associés, dont certains en France. Une prise en otage, aussi, qui, c’est intéressant, touche un peuple symbolique, peut-être le plus symbolique, de notre civilisation européenne.

Qu’adviendra-t-il de l’Union Européenne si, en vue de l’avènement d’un « nouvel ordre mondial », les budgets nationaux sont placés sous tutelle ? La solution réside-t-elle dans le protectionnisme et, si tel est le cas, à quelle échelle doit-il être mis en place ?

Commençons par rappeler que l’Union Européenne n’est ni unie, ni européenne. Elle n’est pas unie, et les tensions récentes entre ses membres ont bien montré que c’était plus un conglomérat d’intérêts cherchant péniblement à se coordonner qu’une union en bonne et due forme. Et elle n’est pas européenne, puisque ses instances dirigeantes sont, en pratique, conditionnées par une infernale industrie du lobbying dans laquelle excellent les principaux concurrents géostratégiques de l’Europe, c’est-à-dire les anglo-saxons.

En pratique, l’Union Européenne n’est, pour l’instant, que la courroie de transmission du mondialisme sous dominance anglo-saxonne. La mise sous tutelle des budgets nationaux signifierait concrètement que le Pouvoir, dans la sphère économique, achève d’échapper au suffrage populaire, et qu’il se concentre entièrement entre les mains des grandes multinationales, et principalement, en dernière analyse, entre les mains des acteurs les plus puissants de la haute finance occidentale. En gros, c’est la dictature des banques.

La solution réside dans la révolte des peuples. J’espère, pour notre avenir à tous, que cette révolte sera européenne, et pas simplement française. Mon analyse est que la clef de l’histoire se trouve en Allemagne : combien de temps les Allemands accepteront-ils, en gens trop disciplinés qu’ils sont, de marcher au pas vers l’anéantissement programmé de leur propre nation, et avec elle, de tout le continent européen ? Dans quelle mesure les élites allemandes sont-elles devenues incapables de penser un destin autonome face à leur conquérant anglo-saxon ? Voilà les questions que je me pose avant tout. Je l’avoue, je pense que si nous devons avoir une chance de changer le cours de l’histoire, en Europe, cela partira de France, de la révolte française… mais si cette révolte ne passe pas le Rhin, elle échouera. Voilà mon analyse.

Quant au protectionnisme, c’est évidemment nécessaire. Encore faut-il que cela soit fait autant que possible à la bonne échelle, qui est à mon avis européenne, et intelligemment, c’est-à-dire de manière coordonnée avec une Chine qui, au demeurant, est en train de développer, à présent, son marché intérieur. D’une manière générale, l’espoir aujourd’hui vient de l’Est. Le temps est passé, où l’Amérique était pour nous une solution, et l’Est une menace. Tout s’est inversé. Et tout restera inversé, à moins que le peuple américain ne parvienne à se débarrasser de la bande de dingues, de corrompus et de traîtres qui lui sert présentement de classe dirigeante.

Mahmoud Ahmadinejad a récemment déclaré, lors d’un entretien sur la chaîne iranienne Press TV, que les Etats-Unis « prévoient d’attaquer au moins deux pays dans la région d’ici les trois prochains mois ». Comment analysez-vous cet entêtement des Etats-Unis à vouloir se risquer dans une troisième guerre du Golfe ?

D’abord, je vais vous dire : je me demande s’il existe une politique étrangère américaine. Je veux dire par là que la cohabitation, dans l’administration Obama, de Rahm Emmanuel (tellement sioniste qu’il ferait passer Sharon pour un modéré) et de Z. Brzezinski (tellement mondialiste qu’il se contrefout des intérêts d’Israël), ne permet pas de traiter de la politique américaine au Proche-Orient comme d’un sujet doté d’un minimum de cohérence interne. Allez comprendre ce qui se joue dans cette cour !

Ensuite, je pense que les Israéliens et, sans doute, les Saoudiens aussi, poussent Washington à la guerre, et que, disons, alors que la situation économique réelle est désastreuse, le Pouvoir US peut être tenté par une sortie belliciste, une fuite en avant si vous voulez. Donc, c’est extrêmement dangereux. Cela, on ne peut pas le nier.

Historiquement, je vous ferai remarquer qu’avant 1914, il y a 1913, la création de la FED (qui a financé la guerre), et avant 1913, coup d’Etat bancaire invisible, il y a 1907, crise financière. Idem, avant 1939, il y a 1929, et entre les deux, la politique adoptée par la Banque de France envers l’Etat (à qui elle refusait les avances dont il avait désespérément besoin). Les précédents ne parlent pas franchement pour un climat apaisé dans les dix ans qui viennent…

Pour le reste, j’avoue que cela me dépasse. Avons-nous seulement 1 % de l’information qui serait nécessaire pour formuler un pronostic ?

Le processus de codage exercé par l’Empire s’appuie exclusivement sur le règne de la Quantité, soit une dimension matérielle, évacuant du même coup toute dimension spirituelle. Quel rôle joue l’Islam dans la stratégie des néoconservateurs ? L’Islam représente-t-il un pôle de résistance à la globalisation ?

L’Islam est, pour les mondialistes, à la fois une force à instrumentaliser (contre l’URSS dans les années 70/80, contre les peuples occidentaux et la Russie de Poutine aujourd’hui) et une menace potentielle (parce qu’il n’est pas certain qu’il soit soluble dans la modernité occidentale). Donc, d’une manière générale, les mondialistes soutiennent à l’intérieur du monde musulman les tendances et les régimes qui les servent, et ils manipulent les tendances et les régimes qui croient les combattre et, en réalité, leur servent de repoussoir. Les seuls musulmans que les mondialistes n’aiment pas sont souvent les vrais musulmans, ceux qui vivent leur foi paisiblement, et tentent de préserver la cohérence de leurs sociétés à travers la modernité.

Il est intéressant de noter, par exemple, que les USA tiennent à bout de bras l’Arabie Saoudite wahhabite, régime obscurantiste, natalité forcenée, et combattent l’Iran, à l’islam certes encore fort au niveau étatique, mais dont les structures sociales se modernisent à toute vitesse, et dont le taux de natalité est aujourd’hui légèrement inférieur à celui de… la France.

En fait, on a l’impression que les mondialistes encouragent, à l’intérieur du monde musulman, les tendances qu’ils affectent ensuite de combattre lorsqu’elles entrent en conflit avec la sphère occidentale. Ce qui ne veut pas dire que les musulmans sont les alliés des mondialistes, loin de là. Cela prouve simplement que l’Islam est l’objet, de la part des mondialistes, d’une gigantesque instrumentalisation ; Brzezinski n’a-t-il pas exposé, en toutes lettres, dans son livre « Le grand échiquier », qu’il fallait à l’Occident en voie d’explosion un ennemi facile à combattre, contre lequel on pourrait mobiliser la population ?

Donc, oui, l’Islam est un pôle de résistance. Mais il se pourrait bien que ce soit précisément le pôle de résistance que les mondialistes eux-mêmes ont choisi ! Sans doute parce qu’il est, d’une certaine manière, leur « meilleur ennemi ».

Comment échapper à « l’ivresse mortelle de l’anéantissement » générée par l’effondrement d’un système et à toutes les pathologies psychiques qui en résultent ?

En dernière analyse, ce qui délivre de cette ivresse, c’est la pulsion vitale. A un certain moment, quand toute cette boutique grotesque et obscène va, enfin, se fracasser dans une chute cataclysmique, il y aura trois réactions possibles. Succomber à l’anomie, rester là, à crever de faim à côté du frigo vide. Devenir fou, tirer sur tout ce qui bouge, suivre un barjot charismatique ou réputé tel, et sombrer dans les délires sanguinaires qui ont mutilé l’Europe au XX° siècle. Ou alors, tout simplement, pousser un grand soupir de soulagement, et dire : « Bon débarras, au boulot ! »

C’est cet esprit joyeux, ivre oui, mais ivre de liberté, ivre de vie, que nous devons cultiver en nous. J’ai conclu « Crise économique ou crise du sens ? » par une référence au Faust de Goethe : le souvenir de Margueritte, au milieu de la nuit de Walpurgis. Si nous avons ce souvenir, si nous nous refondons à partir de notre véritable héritage, si nous plongeons à nouveau profondément nos racines dans le sol nourricier de notre terre, alors peu importe que notre monde soit en ruines. Nous serons debout, au milieu.

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