À lire les médias, à écouter les « spécialistes », si l’Afrique est sinistrée, c’est parce qu’elle subit un déficit de développement. La solution est donc simple : injecter une aide de plus en plus en plus massive et imposer la démocratisation.
L’erreur est évidement totale car, primo, les critères de pauvreté définis en Europe ne sont pas ceux de l’Afrique et, secundo, politiquement, entre nos sociétés individualisées et celles, communautaires, du continent africain, les critères sont très différents. De plus, les problèmes qui se posent au nord du Sahara ne sont pas ceux des pays situés au sud du désert.
La seule approche réaliste de la question est fondamentalement géographique et ethno-historique car, et certains l’oublient trop souvent, le continent africain a une histoire différente de celle de l’Europe.
Alors qu’en Europe les grands phénomènes historiques ou civilisationnels furent continentaux, tel ne fut pas le cas dans les Afriques. Toute l’Europe fut en effet concernée par la fin de l’Empire romain et par la greffe chrétienne sur le vieux tronc païen. Puis, en sa totalité, elle fut irriguée par l’art roman et par le gothique. De même, toute entière, elle fut concernée par la Renaissance, par la Réforme, par la période dite des Lumières, puis par les révolutions politiques et industrielles. Dans les Afriques, tout au contraire, les phénomènes historiques eurent le plus souvent des conséquences uniquement régionales, hormis dans le cas de la colonisation. Sauf rares exceptions, il n’y eut pas de dépassement ou de coagulation de l’ethnie ; même en cas de constitution d’empires. Ces derniers furent en effet toujours étroitement ethno-centrés ou formés par le rassemblement de tribus ou de clans appartenant aux mêmes ensembles ethniques ; les exemples des royaumes Luba, Lunda, Shona, Zulu ou d’Imérina à Madagascar illustrent avec force cette grande originalité.
La conquête coloniale se fit généralement à l’avantage des pôles littoraux avec lesquels les Européens avaient noué de séculaires relations et qui, dans bien des cas, avaient été leurs partenaires durant l’époque de la traite esclavagiste. À l’intérieur, les Empires qui résistèrent furent défaits au profit des populations qu’ils dominaient.
La colonisation cassa ainsi plusieurs « Prusses » africaines potentielles ou en devenir : Madagascar et la monarchie hova, l’Empire de Sokoto, les royaumes ashanti et zulu, les ensembles créés par el-Hadj Omar ou par Samory. Elle en subjugua d’autres, les arrêtant durant une phase expansionniste de leur histoire, comme l’État tutsi rwandais coupé de son exutoire du nord-ouest Kivu et ramené sur les hautes terres bordières de la crête Congo-Nil ; ou encore comme l’Éthiopie, empêchée de regagner un accès à la mer en raison de l’installation italienne en Érythrée. La colonisation procéda également par amputation comme dans le cas du Maroc, État millénaire territorialement découpé au profit de l’Algérie et de la Mauritanie, deux créations françaises.
Puis, au moment des indépendances de la décennie 1960, l’insensé maillage frontalier donna naissance à autant de « prisons de peuples ». Et pour encore aggraver la situation, la démocratisation fut imposée à l’intérieur de ces coquilles vides. Résultat, ce plaquage européo-centré déboucha sur l’ethno-mathématique, autrement dit sur la victoire des peuples les plus nombreux, ce qui encouragea encore davantage cette course à la natalité qui va achever de tuer le continent.