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Entretien avec Bernard Lugan sur la situation au Congo

"Une affaire de poker menteur entre les Occidentaux et le gouvernement congolais"

Pour rester au pouvoir malgré des manifestations de masse en République démocratique du Congo, le président Joseph Kabila utilise son dernier atout : se dire seul garant de la sûreté du pays, explique le spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan.

 

RT France : Un policier a été brûlé vif lors des manifestations dans la capitale congolaise Kinshasa. Comment expliquez-vous l’intensité des tensions qui ont déjà fait presque 50 morts ?

Bernard Lugan : Ce n’est pas nouveau, dans la République démocratique du Congo, l’ancien Zaïre. La violence est un phénomène récurrent en RDC. Depuis la disparition du président Mobutu, ce pays a connu des guerres, des guerres étrangères à l’intérieur du pays et des guerres civiles.

Il y a quelques années, il y a eu des événements gravissimes. Il y a une douzaine d’années il a fallu une intervention étrangère pour évacuer les Européens. Il y avait également une cristallisation des tensions, parce qu’une partie des opposants étaient complètement frustrés par la vie politique. Ils soutenaient Jean-Pierre Bemba, condamné par la Cour pénale internationale. D’autre part il y a la partie orientale du Congo, occupée de fait ou sous influence du Rwanda. Ensuite, la population de Kinshasa reproche au président Kabila d’être sous l’influence d’un clan de Katanga et du Rwanda. Tous ces événements créent une cocotte-minute avec, en plus, des élections qui ne se tiennent pas, et un président qui, normalement, n’a pas le droit de briguer un nouveau mandat, mais reste en place. Tous ces éléments sont à l’origine de la déstabilisation qui se produit dans la région.

 

Il y a eu l’agression d’un envoyé américain par un député congolais à l’aéroport. Celui-là a insulté le diplomate, affirmant « ce n’est pas aux États-Unis de nous dire quoi faire au Congo ». Pour vous, l’implication des États-Unis dans la politique congolaise est-t-elle importante ?

Je ne doute pas que les États-Unis soient intéressés par des régions du Congo, pour une raison très simple : la RDC est le centre de l’Afrique, la plaque tournante de toute l’Afrique. Toute déstabilisation qui peut se produire dans cette zone, et notamment dans ce pays, a des conséquences dans toute la périphérie. Comme les États-Unis sont également intervenus au niveau de l’ONU pour pousser le président Kabila à avancer le processus démocratique, des énervements se produisent. Je crois que ce qui s’est produit est un phénomène assez fréquent.

 

Les États-Unis ont promis de débloquer 30 millions de crédits pour soutenir les élections transparentes et crédibles au Congo. S’apprêtent-ils à influencer le processus électoral ?

Les États-Unis tentent d’influencer un peu partout le processus électoral. Tout comme les Européens, dont la position est identique, les États-Unis essayent de pousser aux élections, au système électoral qui doit se mettre en place et que le président Kabila ne met pas en place. Le président sait qu’il devra partir d’une manière ou d’une autre. Il essaie de montrer aux Américains et aux Européens qu’il est un gage de sûreté en disant que, si on le laisse partir, il y aura une anarchie complète dans le pays, et qu’il est un garant de la stabilité. C’est donc un peu une affaire de poker menteur qui se joue entre les Occidentaux et le gouvernement congolais.

Il faut voir que le gouvernement actuel est vraiment très minoritaire. Le président Kabila est originaire de l’Est du Congo, zone où l’une des langues est le kiswahili, alors qu’à Kinshasa, dans toute cette partie ouest du Congo on parle le lingala que le président Kabila ne parle pas. Il est donc perçu comme un étranger par la population de l’ouest, un étranger mis au pouvoir par les Tutsi, par le Rwanda et soutenu par le clan de Katanga. Cela pose des problèmes fondamentaux dans ce pays qui n’est pas uni. La RDC est un immense territoire : si vous mettez cette carte en superposition sur la carte de l’Europe, vous constatez que ce pays est grand comme la France, l’Espagne, l’Allemagne et une partie de l’Autriche ; un pays gigantesque occupé par une forêt quasiment impénétrable en son centre ; les populations habitent tout autour de cette forêt, dans les périphéries. Ces populations-là sont toutes tournées vers les pays extérieurs. Ce pays n’a donc pas de centre et est complètement éclaté.

 

Pensez-vous que le départ de Kabila puisse provoquer une crise au sein du pays ?

Oui, évidemment. Les compétiteurs sont unis à l’heure actuelle contre Kabila, mais, s’il partait, il y aurait immédiatement plusieurs guerres civiles à l’intérieur du pays pour savoir qui l’emporterait. C’est pour cela que le président joue une carte très dangereuse, son dernier atout. Il dit aux Occidentaux : certes, je suis un dictateur, mais j’assure l’ordre d’un pays, si je pars, ce sera l’anarchie. Souvenons-nous dans quel état était à l’époque le Zaïre, devenu RDC : le pays était occupé par plusieurs armées étrangères, des Africains étaient en guerre à l’intérieur du Congo, intervention de l’Angola, du Rwanda, du Zimbabwe qui avait envoyé un corps expéditionnaire de 25 à 30 000 hommes, intervention du Tchad, de l’Ouganda, du Burundi, du Congo-Brazzaville, tous les voisins étaient intervenus à l’intérieur du Congo. Le président Kabila propose donc de choisir entre les droits de l’Homme, mais avec l’anarchie, et la stabilité, mais sans démocratie.

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