Monsieur Soral, bonjour.
Tout d’abord, je voulais vous dire que c’est un honneur pour moi de pouvoir vous contacter, j’espère que ce message vous parviendra et qu’il vous sera possible de le lire car j’imagine que vous devez en recevoir de nombreux autres, de plus le mien risque de vous paraître assez long, j’espère que vous ne m’en voudrez pas mais il me serait difficile de résumer brièvement ma pensée en quelques lignes.
Vous suivant depuis la fin des années 2000, je voulais dans un premier temps vous apporter mon soutien, à vous et de manière générale à votre cause et au combat que vous menez. En ce qui me concerne, je suis corse, né en Corse de parents corses et ayant toujours vécu sur mon île. Pour cela, je tenais à vous écrire car j’ai certainement un profil atypique par rapport à d’autres lecteurs. D’avance, il ne s’agit rien d’autre que d’un message amical et d’une main tendue.
Bien que partisan d’une Corse indépendante et pleinement souveraine, ne me sentant pas français en mon for intérieur et ne me réclamant pas de l’héritage multiséculaire de ce pays, que je respecte néanmoins, je me sens toutefois pleinement solidaire de votre mouvement pour de nombreuses raisons que j’aimerais évoquer ici. J’aimerais évoquer par la suite pourquoi j’ai de telles convictions.
J’ai vu bon nombre de vos entretiens, essentiellement sur YouTube : Vidéos du mois, l’émission L’heure la plus sombre, chez Thierry Ardisson, ou même encore de vos interviews chez NipNic. Un régal, à chaque fois ! Je dois avouer que je suis dans l’incapacité de vous donner tort sur bon nombre de sujets, qu’il s’agisse essentiellement de l’immigration, du féminisme ou de la situation géopolitique mondiale.
Il y a néanmoins des points sur lesquels je suis en désaccord : dans l’émission n°20 de L’heure la plus sombre du 18 Janvier 2016, vous avez déclaré que « l’État régalien français empêche la Corse de devenir une poule aux œufs d’or », en évoquant par exemple le fait que nos côtes soient vierges de toutes constructions grâce à la tutelle française (que vous reconnaissez par ailleurs injuste à certains égards, ce qui est très rare parmi les « continentaux »). Vous faites également un lien entre nationalisme et milieu mafieux, qui est vrai mais pas totalement. Je vais modestement tenter de vous expliquer brièvement pourquoi je suis en désaccord avec vous sur ces questions, bien que le problème est complexe et vienne de loin.
Deux choses à savoir :
1- Depuis des siècles, la Corse est sous le joug de ce qu’on appelle ici le « clientélisme » et le « clanisme », systèmes qui se sont accentués avec la conquête militaire française. Ces systèmes, archaïques au demeurant, ont maintenu la Corse dans le sous-développement. Tant que nos « élus » juraient allégeance et fidélité à l’État français, ce dernier fermait les yeux sur les pratiques douteuses de ces derniers, telles que la fraude électorale, le chantage aux subventions et à l’emploi et autres magouilles en tout genre. Par exemple, on promettait un emploi dans telle administration au fils de tel famille, et cette dernière votait donc pour le dit-élu, peu importe d’ailleurs les convictions politiques de ce dernier ! Encore aujourd’hui, certains maires ont recours à ces pratiques !
Ce système totalement anti-démocratique est un frein à l’émancipation de notre peuple. Par ailleurs, si nos côtes sont vierges d’une bétonisation effrénée, c’est surtout parce que des militants ont du recourir à la violence afin de couper court à la demande. Et si la France était la mère patrie protectrice, quid de l’Affaire des « boues rouges » ou des fraudes démentielles en pleine orientale (« Affaire d’Aleria »), entre autres ? Son intention avant tout est de garder la main mise sur ce territoire stratégique, à n’importe quel prix, peu importe que l’intérêt général des Corses soit bafoués.
Paradoxalement, vous reprochez à l’UE d’avoir volé sa souveraineté à la France… or, qu’a fait cette dernière en Corse ? Devant toutes ces injustices flagrantes, comment pouvons-nous nous demander d’aimer haut et fort ce pays ? Pour finir sur ce point, sachez que le mouvement nationaliste ne demande ni « réparations », ni « excuses ». Il désire simplement conduire la Corse sur le chemin de la prospérité, j’en suis en tout cas convaincu.
2- Concernant le lien occulte entre les milieux d’affaires/mafieux et le
mouvement nationaliste :
Une part effectivement non négligeable des nationalistes corses sont liés à des milieux mafieux. En difficulté financière dans les années 80, le mouvement nationaliste a laissé entrer dans ses rangs des individus douteux qui l’ont infiltré et pourri de l’intérieur. Par exemple, l’affaire du Drame de Furiani, avec ces places supplémentaires vendues illégalement à des prix exorbitants, et où les principaux protagonistes de l’affaire ont été réduits au silence… Néanmoins, oui, le mouvement nationaliste a combattu les milieux mafieux.
L’État français a été complice de ces milieux mafieux (cf « Affaire Guy Orsoni »), qui permettaient de freiner l’avancée des nationalistes, de la même façon que les Américains ont fait appel aux mafieux en Italie pour éradiquer le régime fasciste qui s’était montré féroce à leur égard.
Pour preuve, M.Pasqua, qui a été à deux reprises ministre de l’Intérieur et un opposant farouche au nationalisme corse (bien que paradoxalement lui-même soi-disant corse), était lié à ces milieux mafieux.
De plus, en 1984, un commando de 3 hommes déguisés avait fait irruption dans la prison d’Ajaccio pour abattre deux crapules du milieu qui avaient enlevé et torturé à mort Guy Orsoni, cela au prix de leur liberté...
Je n’ai pas pour objectif de faire de vous un nationaliste corse, d’autant plus que je respecte sincèrement votre identité républicaine française mais je tenais à vous apporter l’opinion d’un Corse de Corse, peut-être pas totalement objective, mais ayant au moins le mérite, je le pense, d’être argumentée et de présenter les faits tels qu’ils le sont.
Vous êtes un véritable patriote français et placez l’intérêt supérieur de ce pays au-dessus de tout le reste. Pour cela, vous avez mon respect le plus sincère, car je suis patriote comme vous et espère la même chose pour mon île. Si je désire l’indépendance de mon pays, c’est que je considère que la Corse mérite mieux que d’être réduite au rang de destination touristique.
Toutefois, je ne désire pas l’indépendance de la France pour ensuite intégrer l’Union Européenne et devenir un pion comme les autres pays de l’UE. Il n’est pas question pour moi de se libérer de la France pour avoir un nouveau maître à notre tête. En ce qui concerne les possibilités économiques de l’île, elles sont multiples contrairement à ce que certains prétendent. Nous avons besoin d’une dynamique générale positive pour pouvoir aller de l’avant et surtout arrêter de croire que nous ne valons rien sans la France !
Enfin, je ne vous cache pas que je suis quelque peu inquiet face au risque élevé de guerre civile, notamment en Corse après les événements de Noël 2015 à Ajaccio et de juillet 2016 à Sisco. Il n’est pas impossible que le point de départ de ratonnades généralisées soit ici...
Il y aurait encore d’autres choses à dire mais cela serait trop long.
Pour conclure, sachez que j’ai hésité à vous contacter, à vrai dire je me demande quelle sera votre réaction. Mais il me semble que vous êtes partisan du débat voltairien, et c’est pourquoi j’ai décidé de vous partager mes opinions.
J’ai foi en votre idéal de réconciliation nationale et de l’alliance entre la gauche du travail et la droite des valeurs.
Je vous souhaite bon courage et bonne chance pour la suite, en espérant peut-être recevoir un jour une réponse.
Bien amicalement.