Bonjour Mr SORAL
Je viens de visionner une vidéo de LUGAN, j’allais laisser un commentaire, ce que j’avais à dire dépasse largement ce format. Ceux qui se félicitent, ou se scandalisent, des propos de LUGAN sont ceux qui l’écoutent pour la première fois. Pris séparément, beaucoup d’éléments qu’il cite sont vrais, assemblés en tant qu’analyse contextualisée, ça fait mi-rendu d’histoire 6éme mi-roman d’anticipation. À préciser que c’est une vidéo de 6 minutes que je commente là, et non l’œuvre entière de LUGAN.
Avec une gymnastique périlleuse, LUGAN brasse large dans cette vidéo, allant de la situation précoloniale de l’Afrique du Nord, à la situation coloniale de l’Algérie, jusqu’aux enjeux actuels, internes, régionaux ou internationaux. Comment arrive-t-il à connecter tout ça ? Même après plusieurs visionnages ça m’est encore intellectuellement inaccessible.
J’entame son intervention par sa fin, il faut dire qu’elle est magistrale. Peut-on sérieusement prétendre à une quelconque rigueur analytique en considérant le contexte colonial de l’Algérie juste à travers l’édification française (infrastructures dont les autochtones étaient d’ailleurs exclus), indépendamment des considérations anthropologiques ou des rapports : Administration coloniale\Forces armées\Colons\Indigènes ?
Et si un nationaliste algérien répondait que cette édification française n’est que l’interruption d’une civilisation en cours (d’où le ridicule de l’appréciation quantitative), et qu’un quartier comme l’Amirauté à Alger, très beau quartier d’architecture française, est édifié sur les décombres des quartiers de la basse
Casbah, ensemble de maisons mauresques, d’ateliers d’artisanats (l’une des raisons de la disparition de l’artisanat algérois) et des palais des Raïs, magnifiques résidences dont le Bastion 23 est le derniers témoignage. Tous complètement rasés par le génie militaire français, lors des premiers plans d’alignement de ce qui sera la future ville d’Alger selon l’urbanisme Haussmannien.
Est-ce sérieusement sous ces angles que la question coloniale doit être abordée ? Si c’était pour vous raconter ces inepties binaires, par Dieu, je ne vous aurais pas écrit.
Cette vidéo et ses commentaires illustrent toute la difficulté du dialogue entre Français et Algériens. Trois aspects marquent la perception mutuelle des uns des autres ; L’histoire coloniale, L’immigration dans son volet économique, l’immigration dans son volet socio-identitaire. Aujourd’hui, à eux seuls, ces 3 aspects inhibent
toute capacité de discernement ou d’appréciation des réalités françaises par les Algériens, et des réalités Algériennes par les Français.
À longueur de journée, dès qu’un document publié comprend les deux mots Algérie et France, c’est le tapage mutuel direct. Les Français ont beau crier que ce n’est pas du racisme mais juste un contexte national difficile, ça n’y fait rien, les Algériens continuent de taper. Les Algériens ont beau faire preuve de la plus grande ouverture d’esprit, il y aura toujours un nationaliste français qui viendrait te
dire que rien ne s’est passé, que sa présence a été une bénédiction divine pour tes ancêtres, que tu n’es rien, même ton pays c’est la France qui l’a créé.
Que faut-il espérer de tout ce monde après ?
La véritable question derrière tout cela c’est ; À quoi nous avancent toutes ces discussions stériles ? Est-ce l’enjeu d’aujourd’hui ? Ça fait longtemps que je n’aborde plus la question sous ces angles.
J’appartiens à la génération post-indépendance, et face à la question coloniale je vois apparaître une génération d’intellectuels qui arrivent à se projeter dans les enjeux actuels sans la référence permanente au colonialisme, et quand ils le font ils sont animés par un désir de vérité historique plus qu’une quelconque vengeance ou
règlement de compte. Vous avez-vous-même souligné le manque d’hostilité à votre égard lors de votre visite. Je ne vois jamais quelqu’un leur tendre le micro. À croire que la VRAIE vérité historique dérange toutes les parties concernées.
Je suis régulièrement l’évolution de la ligne E&R concernant les questions algériennes, liées à l’immigration ou pas. Les nationalistes français reprochent souvent aux Algériens le fait de remettre continuellement sur la table la question coloniale ? Excusez-moi, mais c’est sur le site de E&R que je viens de visionner cette vidéo où LUGAN nous explique, qu’au besoin, l’Afrique du Nord part de l’Égypte et s’arrête en Algérie. Qu’on ne dit plus la frontière entre deux pays mais la frontière d’un pays. Qu’une même frontière est artificielle d’un côté, historique et légitime de l’autre. Que c’est le caractère nationaliste arabe des régimes qui est le vrai risque pour ces pays. Et finit bien sûr par nous inviter à compter les bâtiments laissés par l’administration coloniale. L’outrance caricaturale de mes propos est totalement volontaire.
Certains trouvent que les Algériens ont la tête dure, et qu’ils n’acceptent aucune critique, ni se soumettent a une quelconque autocritique ! Partiellement vrai. Sauf que, et en cela je ne me ferais le porte-parole de personne, quel crédit donner à des études et enquêtes internationales qui classeraient Alger à longueur d’année comme ville plus sale que Mogadiscio ??? Ou moins sûre que Karachi ??? Ou encore, la meilleure, Algérie 106éme pays guerrier, 4 places derrière les USA 102éme ??? Oui, l’Algérie qui n’a pas tiré une seule cartouche hors de ses frontières depuis de plus de 40 ans !!! Non mais, Grattez-moi le dos … merci Dieudo pour tes magnifiques expressions.
Si le site E&R ne publie que des contenus abordant des questions françaises internes, il serait resté une simple curiosité intellectuelle. La question c’est que E&R publie régulièrement des contenus abordant des questions de relations internationales, avec une certaine grille de lecture des événements. Je croyais que les gens ont compris toute la subtilité de votre défense des régimes nationalistes arabes, pourtant autoritaires (pour rester gentil), dictée non par une quelconque approbation de votre part de leurs politiques intérieures, mais par les nécessaires micro et macro-stabilités régionales… Hélas… je croyais.
Vous êtes à peu près le dernier intellectuel européen que j’écoute aujourd’hui, vous et une petite poignée de personnes, comptables sur les doigts d’une main. Beaucoup d’Algériens vous en ont voulu pour vos propos après votre visite en Algérie. J’ai trouvé vos propos un peu sévères mais aucunement mensongers, diffamants ou injurieux. La dureté de vos propos à l’égard de vos propres compatriotes au lendemain de l’élection de Hollande suffit pour me rassurer de votre impartialité. Sur le front interne la situation en Algérie est extrêmement difficile, et difficilement imputable à une quelconque partie tierce autre que nous-mêmes. À l’international, je n’ai jamais eu à avoir honte de mon pays, les positions diplomatiques de l’Algérie ont été plus que honorables sur des décennies.
Pourquoi ces mêmes positions sont régulièrement louées par E&R ou ses adhérents quand ça vient d’un autre pays ? Mais dès qu’il s’agit de l’Algérie, les questions identitaires, coloniales, ou d’immigration priment sur tout le reste ?
Pourquoi je n’entends jamais un patriote français mettre objectivement l’accent, sur les positions diplomatiques algériennes, à la une des enjeux actuels ?
L’Algérie est liée d’une amitié historique avec la Russie, et affiche des positions ouvertement pro-russes.
Elle est parmi les derniers pays à résister à cette marche forcée du mondialisme, un peu à sa manière, mais elle le fait quand même.
Elle a soutenu ouvertement le régime syrien, en défendant une solution pacifique.
Elle a défendu jusqu’au bout une solution pacifique en Libye, avec des pressions terribles de la France, mais c’est sur l’Algérie que ça tape !
Elle est liée d’une amitié historique avec le Venezuela, encore plus celle de Chavez.
Elle est quasiment le seul pays arabe à entretenir une relation stable avec l’Iran.
Elle est parmi les rares pays arabes à garder une certaine impartialité Sunnites/Chiites, elle fait partie des garants des accords de Taëf, conclus entre les différentes factions libanaises Sunnites/Chiites/Chrétiennes, mettant fin à la guerre civile en 1989.
Elle reste le seul pays arabe à refuser de se faire dicter sa politique extérieure par l’Arabie saoudite ou la Qatar ; elle est le seul pays arabe à avoir refusé de participer à la coalition armée en 2015… Et refuse catégoriquement (avec la Tunisie) de classer le Hezbollah comme mouvement terroriste en 2016, malgré des pressions terribles. Je peux continuer à citer des exemples durant toute la soirée, à quoi bon ?
Sur le plan interne, pourquoi E&R ou ses adhérents ne mettent pas l’accent plutôt sur des actions comme le plan étatique algérien de sauvegarde et restauration des églises, entamé il y a plusieurs années, ou le récent plan de sauvegarde et restauration des bâtiments « coloniaux » ?
Pourquoi jamais personne sur votre site ne dénote le fait que les archéologues algériens accordent la même importance aux sites archéologiques romains, comme Timgad ou Tipaza, que les sites mauresques ou autres ?
Pourquoi jamais personne ne dénote le fait que les musées algériens contiennent des sections pour les objets archéologiques romains, aussi importantes que toutes les autres sections ?
Pourquoi jamais personne ne relève tous ces « Méfaits » de ces « Méchants » régimes nationalistes arabes ?
Après d’intenses recherches, LUGAN s’empresse de nous exposer ses lumineuses trouvailles ; Que le Maghreb est amazigh, que les frontières algériennes et libyennes sont un fait colonial, que ces deux régimes ne sont pas très démocratiques. J’aurais tellement aimé assister à une de ses conférences… mais à Tripoli. Pousses ton klash que je m’assois. Ou peut-être dans une discussion conviviale un après-midi à Syrte ou à Misrata avec les différentes factions islamistes, démocratiquement élues, pardon, démocratiquement armées, par son pays.
La réelle anatomie politique de ces régimes, dont l’Algérie est quasiment le dernier vestige, vous l’expliquez amplement dans vos interventions, ainsi que les qualités de leurs défauts, les dangers qui les guettent, et les premiers bénéficiaires de leur effondrement. Est-ce que vos compatriotes saisissent toute la complexité de la situation ? Que ce sont vos meilleurs « Ennemis » ? Que ce sont les meilleurs « Ennemis » de leurs peuples pour le moment ?
Dernière petite parenthèse, pour ceux de vos compatriotes qui penseraient que les civilisations se comparent, rendez-vous dans quelques décennies avec vos bisous pour tous. Et pour ceux qui viendraient donner à ces pays des leçons sur la civilisation et la démocratie, il faut avoir vécu le basculement vers la guerre civile, pour pouvoir s’avouer, non sans amertume, que par moments, et à défaut de mieux, la paix vaut mieux que la démocratie. Mais bon, pour cela il faut déjà supposer que votre démocratie ait existé un jour. Si c’est un héritage gréco-romain, la plèbe en était exclue, si c’est un concept européen moderne, dites-leur que je ne vous vois nulle part à la télé… je m’égare un peu là.
Sur 7 millions d’immigrés, 4 millions sont algériens. Ils constituent la plus grande communauté d’immigrés en France. Le passif historique commun aux deux pays est aujourd’hui une entrave sérieuse à vos efforts de réconciliation. Il peut devenir un atout majeur, si envisagé dans le sens de l’apaisement.
Les Algériens doivent cesser de parler aux Français comme si il y avait 70 millions d’anciens tortionnaires en France, et ils doivent surtout cesser de vouloir régler leurs problèmes en immigrant ailleurs (et par-dessus bord manquer de respect au pays d’accueil).
Les Français doivent cesser de parler aux Algériens comme si il y avait 4
millions d’immigrés ou 40 millions d’Algériens d’inculpés dans la dernière tournante en bas de l’immeuble. Ils doivent se donner le recul nécessaire à une appréciation globale de la question, un recul évidement difficile quand on met les pieds dans une rame de métro au centre de Paris sans y trouver une seule tête blonde. Et puis, je ne suis pas allé jusqu’à dire que l’immigration est une chance pour la France, je ne suis pas en état d’ébriété, disons juste que cette ré-appréciation reste quand même salutaire au regard de la situation actuelle.
C’est triste de voir la proportion des immigrés qui ne prennent pas leurs responsabilités face à l’éducation de leurs enfants avec tous les moyens mis en œuvre en France, il n’en demeure pas moins que se sont vos votes qui ont laissé pourrir la situation, d’une simple immigration économique de départ jusqu’à ce qu’il y ait eu une deuxième, une troisième, et bientôt une quatrième génération d’arrières-petits-enfants d’immigrés. De quoi se serait rendu coupable un bébé né en 2016 en France, de parents, grands-parents et arrières grands-parents, tous nés en France et tous français de droit ? Qu’est-ce que vous allez faire alors face un Français de souche mais « converti à l’Islam » ?
Même si vous mettez de côté les cas des délinquants et des sans-papiers (ils relèvent simplement de la loi), la situation entre gens honnêtes reste extrêmement complexe. À une extrémité il y a ceux qui pensent sincèrement qu’il y a sept millions de délinquants ou de djihadistes en France. À l’autre extrémité il y a le salafiste, fils d’immigré, français de droit, ne faisant aucun mal quotidiennement, mais pensant en toute naïveté que si les Français n’ont pas prévu dans leur culture un chapitre pour lui avec sa barbe et sa djellaba, sa femme en niqab, et l’école coranique de ses gosses, c’est qu’ils sont quelque part racistes. Et entre les deux, tout un éventail d’attitudes mutuelles, toutes sincères, toutes contradictoires. Et vous Mr Soral, au milieu de tout ce monde pour les réconcilier. J’aurai toujours du respect pour vous rien que pour la difficulté de la tâche.
Peut-être que le problème avec l’immigration n’est pas tant sa nature mais son volume. Peut-être que le problème avec une minorité n’est pas tant ce qu’elle est, mais ce qu’elle dicte à la majorité. Peut-être que le destin d’une minorité est de rester justement minoritaire, pour être mieux acceptée et protégée par la majorité.
La peur phobique de vos intellectuels d’être traités de racistes, la complicité manifeste de vos institutions empêchent toute enquête ou travail sérieux sur les questions liées à l’immigration, ses problèmes économiques ou socio-identitaires, la réalité de ceux que vous appelez les « islamo-racailles », ou simplement la perception mutuelle du phénomène de l’immigration en général.
C’est effrayant de constater à quel point les peuples ne se connaissent pas, même avec tous les moyens de communication modernes. Ces dernières années, la classe moyenne algérienne commence à peine à être sensible à l’impact de l’immigration sur l’Europe, et ce, à travers deux phénomènes migratoires notables, ici en Algérie ; la récente vague d’immigration subsaharienne, inconnue jusqu’alors par les Algériens, et l’arrivée permanente de nouveaux travailleurs chinois. Ça a déjà
causé quelques étincelles, certes marginales mais annonciatrices d’une « possible » réaction sociale en cas d’amplification du phénomène. Et encore, ce sont deux chats comparés à la société française et ses 10 % de personnes étrangères.
Il faut comprendre aussi que vu d’ici, même pour un étudiant ou un futur candidat à l’immigration légale, c’est difficile de prendre conscience de ce que représente ce volume de 10% de la population, ou de ses répercussions socio-économiques. La première fois que je suis parti en France (en touriste, pas d’inquiétude !), un moment après ma sortie de l’aéroport à Paris, me voilà dans le RER B. Je suis resté un long moment silencieux et admiratif devant la beauté du brassage social, jusqu’à ce que la voix innocente de mon petit gosse, surement épuisé du voyage, me sorte de ma contemplation, dans une synchronisation divine : « Papa, quand est-ce que on arrive en France ? »
Je sors complètement de mon propos sur la vidéo de LUGAN. L’immigration n’était pas l’objectif initial de ce courrier, mais c’est difficile de ne pas aborder son impact.
Je me tords sur ma chaise, me disant de quoi je me mêle ! Pourquoi un anonyme algérien, vivant en Algérie, vous écrirait à vous, SORAL, français en France ? Peut-être parce que le mot Algérie revient très souvent sur votre site, et que certains contenus me laissent difficilement de marbre. Peut-être parce que votre projet de réconciliation nationale est lié, que vous le vouliez ou non, à des questions historiques et des questions internationales, et que cette réconciliation paraît possible par moments, fragile par d’autres, utopique certains soirs. Et peut-être
aussi que c’est parce que je vous vois combattre depuis des années pour une cause que je considère juste, et que sur les 4 millions d’Algériens, ou d’origine, ou ce qu’ils veulent, je n’entends personne de représentatif vous rendre la pareille, ne serait-ce que pour la situation dans laquelle ils vont laisser leurs enfants.
Quel silence de morts !
Je viens de relire ce que j’ai écrit ce soir, ça m’a l’air un brin désarticulé et cachant mal mon amertume, mais je vais le laisser tel quel, ça me fait sentir plus humain, et vous rend plus humain à mes yeux par votre compréhension. Ça sonne par moments involontairement comme un « Tout est de votre faute », tant pis, c’est une réaction inconsciente au « Tout est de votre faute » de vos compatriotes, en attendant que nous soyons remplacés par deux autres générations avec des réactions plus nuancées.
C’est une amertume d’un soir. Je vous prie de m’excuser si vous auriez trouvé mon ton déplacé ou accusatoire.
Sincères salutations quand même, humainement fraternelles.
D. I.