Lettre parue début mars dans le Courrier des lecteurs de Rivarol et que son auteur a également proposée à la publication sur le site E&R.
Bonjour,
J’ai lu comme d’habitude avec beaucoup d’attention et de plaisir le texte de M. Fromentoux qui s’afflige de la disparition de l’accent circonflexe.
Tous les ambitieux, les ignorants, les philistins et les incultes qui nous gouvernent font tout pour baisser le niveau, c’est seulement à ce prix qu’ils se sentiront grands et légitimes. Je le répète, une Belkacem, un Sarkozy, un Valls, un Hollande auraient été impossibles même sous la IIIe République et je ne parle pas d’une Merkel ou d’un Gabriel sous l’Empire allemand ou la République de Weimar.
Je suis aussi étonné par l’indigence des réactions de « spécialistes » défendant l’accent circonflexe, ils ne vont pas au fond de la chose, c’est pourtant si simple. Grâce aux progrès de la linguistique romane, nous avons aujourd’hui la possibilité de saisir beaucoup mieux la nature et l’essence du français. L’orthographe française ne peut être qu’étymologique, le français est la langue des homophones dans la mesure où le latin parlé en Gaule du nord a évolué beaucoup plus loin phonétiquement à cause des habitudes articulatoires différentes et plus nordiques de ses locuteurs, mélange de Gallo-Belges romanisés et de Francs (la thèse du superstrat francique du romaniste bâlois von Wartburg est essentielle pour mieux appréhender la constitution de la langue d’oïl et l’évolution particulière du latin en Gaule du nord) qui ont été beaucoup plus nombreux qu’on l’a dit (quand Hannibal dit dans sa chronique il y a six semaines qu’ils n’ont été que 3 %, c’est faux, l’archéologie en témoigne, notamment l’archéologie mérovingienne, ainsi que la phonologie, le lexique et la syntaxe des dialectes du nord du domaine d’oïl, notamment le picard et la wallon et même un peu le francien où le superstrat francique a été plus important qu’ailleurs, il suffit de considérer la toponymie entre Seine et Somme et encore plus entre Somme et Canche). Ce mélange fut consommé en Gaule septentrionale au IXe siècle à peu près avec l’extinction des juridictions ethniques, les unes pour Gallo-Romains, les autres pour les Francs.
L’étude historique et diachronique de la langue française nous rend donc ici de signalés services, parce que nous saisissons les causes de ce que nous croyons irrégulier ou conventionnel, en l’occurrence l’accent circonflexe, il suffit de considérer les homophones en français : coup/cou/coût, alors que c’est en espagnol golpe/cuello/coste et en italien colpo/collo/costo, ainsi que pécheur/pêcheur alors que c’est pecador/pescador en esp., peccatore/pescatore en it. ou encore comte/compte/conte, alors que c’est conde, recuento, cuento en esp. et conte, conto, raconto en it., etc. Tous ces exemples viennent des mêmes étymons pour les trois langues, respectivement colaphus, collus, constare / peccator, pescator /comitatem, computo, contare. L’espagnol et l’italien n’ont pas besoin d’orthographe étymologique, l’orthographe phonétique suffit chez eux, parce que les mots du fonds populaire de leur langue ont évolué moins loin phonétiquement, ils sont donc plus différenciés.
C’est pourquoi nous sommes obligés d’avoir en français une orthographe étymologique pour les mots d’origine populaire appartenant au fonds primitif de la langue, c’est-à-dire les mots français authentiques qui sont les mots latins transformés par les Gallo-Belges et les Gallo-Francs romanisés du nord de la Gaule entre le VIe et le Xe siècle (l’autre partie du lexique est le vocabulaire savant emprunté au latin et au grec à partir du XIVe siècle par les lettrés), les ancêtres des Français ethniques de cette partie de la future France, c’est-à-dire tous les locuteurs de langue d’oïl : Picards, Normands, Bourguignons, Wallons, Champenois, Franciens, Angevins, Bretons de dialecte gallo, Lorrains, Francs-Comtois et puis aussi Berrichons, Poitevins, Saintongeais (bien que le sud de la Saintonge était à la langue d’oc encore au Moyen Âge, il suffit de voir les toponymes comme Gémozac et Jonzac) et Lyonnais, Dauphinois, Savoyards, Suisses romands, Valdôtains (pour ces cinq derniers groupes qui constituent le franco-provençal, ce dernier s’apparente plus à la langue d’oïl qu’à la langue d’oc).
Ainsi notre bel accent circonflexe marque tout simplement l’histoire du mot et il n’est jamais là par hasard, il est plus que nécessaire, il est consubstantiel à l’histoire du mot. Dieu soit loué cependant, reconnaissons à cette réforme sa sagesse et son mérite, elle ne supprime toutefois pas l’accent circonflexe pour les homophones, mûr (lat. maturus) subsiste et on pourra toujours faire la différence avec mur (< lat. murus), idem pour pécheur < lat. peccator et pêcheur < lat. pescator. On peut voir au passage que l’accent circonflexe ne marque pas seulement dans l’évolution phonétique du mot d’origine populaire l’amuïssement du « s », il marque aussi l’amuïssement d’une syllabe, c’est le cas de maturus qui est passé a « mûr ». Mais pour le reste, c’est toutefois un appauvrissement important qui menace notre langue, qui était ne l’oublions pas, la langue de toutes les aristocraties et de toutes les élites européennes en général au XVIIIe et XIXe siècle. Même si le mot n’est pas homophone, il va être affligeant et très regrettable de pouvoir écrire à présent forêt, boîte, maîtresse, goûter sans accent circonflexe. C’est dépouiller ces mots de leur histoire et les rendre vides et insipides à l’image des cancres qui nous gouvernent. Tous viennent de très loin, respectivement forestis silva ; *buxita (forme gallo-romaine) < pyxida < πυξις (français savant « pyxide », boîte où on met l’hostie) ; magister ; gustare.
D.