Bonsoir M. Soral,
Je vous écris ce soir dans l’espoir de conjurer mon insomnie, certes chronique, mais qui ce soir est hantée par votre λογοσ, activant le mien en fantasme.
Tout d’abord, bien que plutôt mature pour mes 19 ans tout frais, je suis à un âge où mon identité est à affirmer et connaissant votre goût pour la généalogie, je vais dans un premier temps me présenter via mon ascendance, qui, je le sais, va vous prouver ma bonne foi.
Mon père, issu d’une famille d’ouvriers juifs de Mulhouse, s’est hissé au prestigieux statut de médecin. Il a rencontré ma mère, juive également, à la fac et l’a épousée. Ni l’un ni l’autre n’étant pratiquant, je suis né assimilé. Sans nier mon évidente position bourgeoise, les gènes sionistes ne sont pour autant pas évidents. D’une part mon père m’a élevé dans un souci du social et d’autre part mon grand-oncle, dont j’aspire un jour à avoir le courage, a servi de chirurgien pour l’armée du FLN algérien avant de reprendre la tradition fondée par son père, en transformant une maison d’édition de livres d’art en [une maison d’édition indépendante réputée, NDLR].
Encore un juif qu’on a maintes fois traité d’antisémite... Il va falloir inventer un mot bientôt. Je suis en BTS audiovisuel, j’ai longtemps habité dans le 91 (d’où je suis parti cette année pour Angoulême et le BTS), où je vivais en très bonne intelligence avec mes potes de tous horizons, j’ai fait du rap à mes heures perdues, c’est pour vous dire ! J’aime beaucoup écrire, loin de votre travail sociologique, ça a commencé par des scénarios, des poèmes et là je me lance dans la science-fiction dystopique cyberpunk (critique du transhumanisme).
Même si je n’ai pas reçu l’éducation religieuse, j’ai fait ma bar mitzvah et la culture m’est évidemment familière. Je ne suis pas le bon candidat à votre appel à interview mais pour autant, je peux vous assurer que l’État d’Israël est une hérésie sans nom (je ne parle même pas du point de vue profane...). Il y a une contradiction extrêmement perverse qui tient entre deux termes : le peuple juif est en exil pour sa rédemption et sa terre ne lui sera rendue qu’avec sa rédemption, dont le Messie est le témoin. Or Israël est, nous le savons tous les deux, la rédemption de l’Europe, qui a même fait d’une pierre de coup : les juifs et les colonies. Donc, perversion ultime : les orthodoxes israéliens méprisent profondément leur pays, qu’ils savent nul et non-avenu, et par leur pression croissante sur la démographie – et donc sur le vote –, ils s’octroient des allocations, qui sont un masque pour des statuts d’exception, et nous y mettent des plaies comme Netanyahu au pouvoir...
La culture juive a ça de commun avec la culture grecque : l’amour pour la connaissance pour elle-même. C’est pourquoi les plus puissants anticorps de la communauté, c’est elle qui les a nourris, et je vous remercie de vous en faire le témoin (Schlomo Sand, Jacob Cohen, etc.). Je respecte beaucoup votre travail, mais il a fallu que je l’aime beaucoup, la connaissance, pour passer outre votre vocabulaire riche en sous-entendus (que j’ai compris plus tard comme nécessaires). Aussi ne vous étonnez pas de les voir monter au créneau, mais je dois admettre l’habileté de la manœuvre : vous leur faites tellement peur, qu’il n’y aura bientôt plus que des comme moi qui resteront.
Avec ma sympathie et mon respect.
N.