Bonjour,
Veuillez trouver ci-dessous un courrier dont vous jugerez de l’intérêt ou pas.
Si le dernier livre d’Éric Zemmour n’avait qu’un seul mérite, ce qui n’est pas le cas au demeurant, ce serait sans doute celui de prendre violemment à contrepied la doxa officielle en matière d’histoire de France, tout particulièrement concernant la séquence 1900/2000, et de livrer ainsi à nos compatriotes stupéfaits et enthousiasmés par tant d’audace assumée, une vision doublée d’une analyse de leur passé autrement plus riche et complexe que la propagande canalplussienne dégoulinante de bons sentiments, droits-de-l’hommiste et culpabilisante à souhait à l’endroit du peuple français, qu’on leur assène depuis 30 ans. Souvent surprenante voire déroutante pour le plus grand nombre tant elle renverse d’idoles au prestige usurpé, elle est susceptible de rendre fierté et courage au « pays réel » dans la perspective des évènements à venir et c’est sans doute ainsi qu’il convient d’interpréter le formidable succès du livre en librairie.
À cet égard, les pages qu’Éric Zemmour consacre à la figure emblématique de Georges Marchais sont symptomatiques de la démarche qui l’anime, tant elles bousculent de fausses certitudes d’un côté comme de l’autre de l’échiquier politique, autorisant par là même l’émergence à grande échelle de nouvelles formulations politiques dans des termes proches de ceux popularisés il y a dix ans déjà par le président d’Égalité & Réconciliation au travers du slogan « gauche du travail / droite des valeurs ».
Il va de soi que les familiers de ce site – E&R – et plus particulièrement ceux des analyses d’Alain Soral n’auront rien appris de véritablement nouveau à la lecture du livre de Zemmour ; l’ensemble des réflexions présentées avec le talent qu’on lui connait par le journaliste iconoclaste du Figaro ayant en effet depuis longtemps façonné le logiciel intellectuel de la frange la plus radicalement antisystème de la mouvance patriotique dans une approche résolument soralienne. Sur les terrains métapolitique, sociologique, philosophique, anthropologique, historique, psychologique, géopolitique et proprement politique, le prince des dissidents et des combattants antisystème a déjà tout dit, tout labouré, avec les risques que l’on sait, formant à sa suite une nouvelle génération de combattants aguerris dans et autour de l’Association Égalité & Réconciliation, dans l’esprit de ce qu’Adrien Abauzit a récemment nommé « la nouvelle opinion publique ».
Pour autant, ceux-là ne bouderont pas leur plaisir face au succès actuel d’Éric Zemmour. Ils y verront un hommage en pointillé au courage visionnaire et subversif d’Alain Soral ainsi qu’à sa puissance intellectuelle hors du commun. Ils y puiseront une raison supplémentaire de continuer à croître en intelligence du réel ainsi qu’en finesse d’esprit, comme Soral les y invite en toutes occasions, pour être en mesure, en définitive, d’affronter avec le maximum de succès individuels et, espérons-le, collectifs, les graves évènements qui s’annoncent.
Désireux d’apporter sa propre contribution à l’effort de réhabilitation de Georges Marchais entrepris par Éric Zemmour à la suite d’Alain Soral, l’auteur de ce billet souhaiterait également partager ici un témoignage personnel. Celui-ci illustrera le bien-fondé de l’argumentaire développé par Éric Zemmour sur le sujet et le complétera également sous un angle visiblement ignoré par ce dernier.
Jeune militant du Parti communiste français, section d’Ivry-sur-Seine, cellule Maurice Thorez, entre 1974 et 1986, je suis en mesure de témoigner de ce qui suit :
1. Comme l’a semble-t-il récemment découvert Éric Zemmour (et ceci témoigne du poids des représentations mentales dont nous sommes tous plus ou moins victimes, dans un sens ou dans un autre), le Parti communiste de la période 1970-1990 et son secrétaire général en particulier étaient profondément français et amoureux de la France. Aux côtés des anciens résistants FTP qu’il a eu la chance de connaître, le jeune homme que j’étais dans ces années 70 a renoué avec la fierté d’être français. Jamais, dans l’esprit de ces anciens, le drapeau rouge n’aurait supplanté le drapeau tricolore. Certes cet amour était « imparfait » en ce sens qu’il était orienté et souvent corseté selon des catégories intellectuelles partisanes. Pour autant, gare à celui qui aurait manqué de respect envers la patrie ainsi qu’envers ceux qui l’ont faite.
2. Bien avant les Montebourg de pacotille, le PCF de Georges Marchais développa dès les années 80 une campagne active en vue de « Produire et acheter français ». Cette campagne dont les internautes pourront retrouver quelques traces sur la toile était complétée par une action politique aux accents régionalistes voire localistes intitulée « Vivre et travailler au pays », à une époque où le PCF réfléchissait activement à la façon d’articuler dialectiquement Nation et Régions dans l’intérêt supérieur de la France et du/des peuples qui la composent.
Concrètement, il s’agissait déjà de combattre la logique libérale du profit à tout prix telle qu’elle commençait à s’exprimer alors au travers des premières délocalisations industrielles. Pour sa part, l’auteur de ces lignes a passé de nombreuses heures d’occupation des locaux de l’usine SKF d’Ivry – de jour comme de nuit – pour s’opposer au démantèlement de cette entreprise à la fois moderne et rentable et à son implantation sous des cieux plus propices aux bénéfices des actionnaires.
3. De même, le jeune militant communiste que j’étais alors se retrouva en première ligne pour s’opposer à l’immigration comme arme du grand capital contre la classe ouvrière française lors de l’action dite du « bulldozer » au foyer Sonacotra de Vitry (1981). Dans mon esprit et dans celui de mes camarades de l’époque il va de soi que cette action n’était nullement dirigée contre la personne des immigrés mais contre le principe de l’immigration dans sa dimension économique et sociale mais aussi anthropologique et culturelle. Conformément à l’analyse de Marx et à la ligne défendue par Georges Marchais, il nous apparaissait clairement que l’entreprise consistant à importer en France des centaines de milliers de travailleurs dociles privés de conscience de classe était destinée à affaiblir la classe ouvrière française en cassant les solidarités traditionnelles nées d’un siècle de lutte.
4. De la même façon, pénétré de conscience ouvrière, le PCF des années 80 prônait implicitement le respect des valeurs populaires inscrites comme « naturellement » dans ce que Jean-Claude Michéa nomme la « décence commune ». On trouvera témoignage de tout ceci en visionnant les extraits du discours de Georges Marchais à Montigny les Corbeilles, en 1981.
5. Enfin (et cela constitue un aspect difficile à traiter dans la mesure où il relève en grande partie du domaine de l’intime qui, par définition, ne laisse guère de traces), au tournant des années 80, le PCF manifesta une volonté de rapprochement appuyée avec le monde chrétien. Ce moment historique qui n’a guère suscité l’intérêt des historiens s’abreuve à différentes sources, parmi lesquelles la mieux identifiée a vu le jour au cœur de la Résistance et trouvé son expression mythifiée dans le célèbre poème d’Aragon La rose et le réséda. Ce rapprochement chrétiens/communistes voulu et pensé par Georges Marchais était au cœur du projet politique d’Union du peuple de France, qui ne consistait pas seulement dans une stratégie de prise du pouvoir à courte vue mais procédait également d’une volonté de faire émerger un modèle politique socialiste original, profondément français, c’est-à-dire ancré dans ce que la France avait produit de meilleur aux yeux de Georges Marchais : ses traditions authentiquement chrétiennes mariées à ses traditions populaires et révolutionnaires.
Pour Marchais aussi bien que pour la presque totalité des membres du PCF, l’anti-humanisme d’Althusser était évidemment une impasse voire une absurdité intellectuelle. Au quotidien, les hommes et les femmes communistes nourris de l’expérience des luttes syndicales connaissaient le prix et la valeur de la solidarité et de l’unité concrète des hommes concrets. Ils avaient fait l’expérience de la chaleur que celle-ci produisait en eux, d’autres diraient dans leur cœur, et ils en connaissaient la puissance transformatrice souvent bien supérieure au poids des discours et des analyses politiques. Dans ces conditions, l’attrait pour cette dimension intra subjective – spirituelle – de l’existence humaine était alors très important au sein du PCF. L’auteur de ces lignes, qui n’hésitait pas à se revendiquer comme chrétien au sein de son Parti, en a très souvent fait l’expérience à travers l’appétence dont ses camarades faisaient preuve à son endroit et des nombreuses questions dont ils l’abreuvaient.
Notre hypothèse est que la personnalité de Georges Marchais lui-même s’est construite à la croisée de ces influences (n’oublions pas que sa mère était une catholique revendiquée) et que ces aspects, au-delà du discours convenu sur le personnage, ont marqué son parcours politique, qui mériterait dès lors d’être sérieusement et officiellement réévalué.
C’est ce à quoi s’est aussi essayé ce modeste témoignage.
Alain R.