À Alain Soral, président d’E&R,
Aux camarades d’E&R,
Je suis un jeune professeur d’espagnol contractuel dans l’Éducation nationale et je me suis intéressé à l’histoire de l’immigration espagnole en France. Issu moi-même de cette immigration, j’avais un double intérêt à faire des recherches sur ce sujet.
Je suis parti d’une situation qui était la suivante : quand on observe un peu, on peut se rendre compte que dans tous les corps de métier il n’est pas rare de trouver des patronymes hispaniques et même chez de nombreuses personnalités du sport, du journalisme, de la politique ou du show business (Alonso, Bravo, Dominguez, Fernandez, Garcia, Hernandez, Hidalgo, Lopez…). Je ne comprenais pas le décalage alors qui existait entre ma propre histoire et celle de ces Espagnols d’origine, pour qui l’intégration n’a jamais posé aucun problème. J’entends encore Bruno Solo chez Ardisson prétendre que la France avait intégré les Polonais, les Italiens, les Espagnols et qu’elle avait un problème avec les autres. Pourtant j’ai personnellement dû me battre plus que les autres, en tout cas autant qu’un Maghrébin, pour faire autre chose que du travail à l’usine, de la maçonnerie ou devenir voleur ou dealer. Mais l’histoire de l’immigration espagnole m’a permis de comprendre d’une part qu’il y a certains Espagnols plus assimilables que d’autres et d’autre part que les problèmes d’intégration des immigrés en général et de leurs descendants ne sont pas liés à leur origine ethnique mais à la période d’immigration dont ils sont issus. Je vais développer ce que j’avance de manière assez brève en quatre parties.
Des immigrations espagnoles
L’immigration espagnole à la particularité de s’étendre sur plus d’un siècle avec plusieurs « vagues » identifiables. La première s’étend sur une large période entre la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’en 1914. À cette époque, les migrants espagnols pauvres, vivant dans un pays qui connaît une famine comparable à celle du tiers monde de nos jours, se tournent plutôt vers l’Amérique, mais beaucoup vont également s’installer en France près de la frontière espagnole où à Paris.
La deuxième « vague » ou période, qui s’étend sur un laps de temps plus court, correspond aux années 1920. Puis dans les années 40, des milliers de réfugiés politiques fuient la répression franquiste et passent les Pyrénées. Enfin, les années 60 vont voir rentrer en une dizaine d’années des centaines de milliers de travailleurs espagnols avec leurs familles. Beaucoup d’entre eux retournent au pays dans les années 80. Mais la crise actuelle que connaît l’Espagne pousse les jeunes diplômés à l’exode et un nouveau phénomène migratoire d’ampleur est en train de s’observer dans ce pays.
Une immigration hétérogène
Les Espagnols étant comme les autres, ils sont une somme d’individus sensiblement divers. Au-delà de la différence entre Catalans, Basques, Castillans et Andalous, c’est surtout la composition sociale qui diffère d’un individu ou d’une famille à l’autre.
Ainsi, on ne peut pas mettre sur le même plan le lumpenproletariat espagnol, qui constitue la majeure partie des vagues migratoires, et les petits et grands bourgeois de gauche qui ont fui le régime franquiste (la famille Semprun) où qui se sont installés à Paris par amour de la bohême (Dali, Picasso, Arrabal).
D’ailleurs les réfugiés politiques et les immigrés « économiques » ne s’entendaient pas très bien. Cependant au sein même des immigrés « économiques » on pouvait observer des différences d’éducation et d’instruction notables. Ainsi parmi les immigrés venus dans les années 60 par exemple, alors que certains étaient issus de la petite bourgeoisie déclassée, la plupart venaient des coins les plus misérables d’Andalousie ou de Galice. Ils vivaient dans des bidonvilles, étaient analphabètes et vivaient souvent du vol et de la contrebande. Beaucoup d’entre eux étaient des Gitans ou des paysans indigents.
L’intégration des Espagnols, une intégration réussie ?
Il est vrai que l’on voit beaucoup de noms espagnols qui peuplent tous les corps de métier et de nombreuses personnalités politiques, du show-business, du journalisme, etc., sont issues de cette immigration. Mais peut-on dire pour autant que les immigrés européens sont mieux intégrés que les Africains (Maghrébins et Subsahariens) ?
Pour répondre à cette question il suffit de s’intéresser à l’origine sociale des personnalités en question et à la période d’immigration dont ils sont issus.
En réalité on constate que la plus grande partie sont issus de la première grande vague d’immigration et qu’ils descendent essentiellement des espagnols qui s’étaient installés en Algérie durant cette période (Marcel Cerdan, Nicole Garcia, Emmanuel Robles, Marthe Villalonga). Il faut savoir que les européens qui vivaient en Algérie, tout comme les juifs, avaient obtenu la citoyenneté française. Leurs descendants qui sont venus par bateau en 1962 dans la métropole n’étaient pas dissociés des autres Français d’Algérie, ils étaient des pieds-noirs comme les autres et se sont, par conséquent parfaitement intégrés en métropole.
Ensuite il y a ceux qui sont issus de l’immigration politique (la famille Semprun, Isabelle Alonso, Christine Bravo, Cali, Luis Mariano, Leny Escudero, Isabel Otero, Paco Rabanne). Ceux-ci ont bénéficié de trois facteurs déterminants pour leur intégration : d’abord un niveau minimum d’instruction de leurs parents, ensuite un attachement inconditionnel à l’École républicaine française expliqué par la haine du régime monarchique espagnol, et enfin un contexte favorable économiquement et socialement puisque leurs enfants sont nés et ont grandi sous les Trente Glorieuses, dernière période qui permettait encore l’intégration par l’école et par le monde du travail.
La génération suivante, celle issue de l’immigration arrivée vers la fin des Trente Glorieuses n’a pu bénéficier d’aucun de ces facteurs, c’est même tout le contraire : des parents sans ou avec très peu d’instruction, sans attachement particulier à la France et à la République et dont les enfants ont grandi pendant les années de crise et dans l’idéologie SOS Racisme. Cette génération-là n’a donné essentiellement que des ouvriers, des maçons ou des chômeurs pour les plus jeunes chez les hommes et des femmes de ménages ou des vendeuses de prêt à porter chez les femmes. (Pour ma part, je suis une des rares exceptions car j’ai réussi à devenir professeur… d’espagnol et encore non-titulaire.) Pour le prouver, il suffit de faire la comparaison avec l’immigration portugaise, qui, il faut le rappeler est la plus nombreuse, car le plus gros de cet apport date des années 60. Or, rares sont les personnalités d’origine portugaise à part quelques icônes stéréotypées comme Linda de Souza, Lio ou Luis Rego.
Quelle différence avec les Maghrébins ?
Le gros de l’immigration maghrébine étant venue dans les années 60, il est donc normal qu’ils aient connu le même contexte de crise sociale et de régime d’assimilation aggravé par le travail de la gauche antiraciste, qui leur a fait détester la France et les Français en raison de la colonisation. Cette même idéologie soi-disant antiraciste prétend que l’intégration des Européens se serait mieux passée. C’est faux ! Car on a constaté que les immigrés européens venus à la même période n’avait pas bénéficié du contexte favorable qui a permis l’intégration de leurs prédécesseurs.
Ainsi, on voudrait nous faire croire que les problèmes d’intégration sont consubstantiels aux Maghrébins et Africains parce qu’ils seraient culturellement trop différents, voire considérés comme inférieurs par un État et des employeurs supposément racistes. Et les instituts de statistiques participent à cette vision en publiant des travaux où les immigrés sont classés et regroupés en fonction de leur origine ethnique mais jamais en fonction de la période de flux migratoire à laquelle ils appartiennent ou dont ils sont issus. C’est ainsi qu’on entretient le mensonge de l’intégration des communautés européennes et qu’on oppose les communautés immigrées entre elles. Les Européens n’ont jamais bénéficié de traitement de faveur. D’ailleurs, les ressortissants des ex-colonies étaient même prioritaires sur les Européens pour l’accès aux logements sociaux, ce qui explique pourquoi dans les années 80 les bidonvilles autour de Paris accueillaient encore beaucoup de Portugais.
Voilà qui explique pourquoi d’une part, je n’ai pas grand chose en commun avec une Isabelle Alonso ou un Manuel Valls (fils d’un peintre catalan et d’une femme de la haute bourgeoisie suisse… quand même !) et pourquoi, d’autre part, j’ai eu tant de mal à m’intégrer. Les immigrés espagnols des années 60 ont surtout engendré parmi l’élite quelques joueurs de foot (Luis Fernandez, Mathieu Valbuena) et une Anne Hidalgo qui n’est autre que la Rachida Dati espagnole. En conclusion, je crois que ce travail contribue à démystifier l’escroquerie ethniciste que le système entretient depuis des années à propos de l’immigration et qui ne fait que nous diviser entre jeune Français de même condition.
Salutations fraternelles,
P. B.