M. Soral,
Je m’appelle Issam et je suis un musulman (sunnite non-salafiste) vivant en région parisienne, actuellement étudiant.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, j’aimerais vous remercier pour l’énorme travail que vous faites, qui m’a éduqué et m’a ouvert les yeux sur la réalité politique et économique du monde.
Je vous ai vu parler du salafisme comme étant la branche rigoriste et traditionaliste de l’islam d’un côté, et comme étant la branche takfiriste, sioniste et va-t-en guerre d’un autre côté. Ce qui fait que d’un côté, certains salafistes ne comprennent pas votre position, et d’un autre côté certains non-musulmans ne la comprennent pas non plus.
J’ai l’impression que vous ne savez pas trop ce qu’est le salafisme, vous voyez ce qu’ils font dans le monde d’une part ; et d’autre part, comme vous avez des contacts avec eux, ils vous expliquent leur vision du salafisme... Deux visions radicalement différentes...
Alors je vais vous expliquer comment le monde sunnite non-salafiste voit le salafisme.
D’un point de vue religieux, le salafisme traite d’ignorants (ou pire même jette l’anathème sur) la quasi totalité des théologiens sunnites des douze derniers siècles. Il se veut le réformateur ou bien le revivificateur de l’islam authentique.
Le mot salafisme, vient du mot salaf qui veut dire « prédécesseur », et en adoptant ce nom, ils se considèrent comme les héritiers directs des premières générations de musulmans.
Ils rendent caduques les quatre écoles de jurisprudence (créées par les vrais salafs et perpétuées par leurs successeurs) par un retour aux sources du droit islamique que sont le Coran et la sunna.
Tout cela est beau et très attrayant sur le papier, mais dans la pratique, ça donne n’importe quoi. Pourquoi ?
Parce qu’ils donnent le droit aux laïcs (dans son sens premier : « ignorant ») d’émettre un avis juridique religieux (une fatwa) ou bien de légiférer sur ce qui est permis ou interdit (halal ou haram), alors que tous les grands théologiens musulmans l’ont interdit. Émettre une fatwa ou légiférer sur le halal et le haram demande des années d’études et un savoir presque encyclopédique, un savoir que le musulman lambda n’a pas.
Dans le mode sunnite traditionnel, orthodoxe et millénaire, légiférer sans science est une hérésie. Mais dans ce monde de l’ego, du moi je, et de l’individualisme, le salafisme brille. Tout le monde peut donner son opinion et celle du péquenot peut valoir celle d’un très grand homme comme l’imam Malik ibn Anas (VIIIe siècle), salaf de son état, fondateur d’une des quatre écoles de jurisprudence islamique et l’équivalent de saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin pour les chrétiens.
Les salafistes se considèrent comme des sunnites, mais l’orthodoxie sunnite millénaire dans son INTÉGRALITÉ considère le salafisme comme une secte déviante pour les raisons que j’ai citées plus haut et des raisons d’ordre dogmatique que je n’expliquerai pas car inintéressantes pour un non-musulman (mais que je peux expliquer sans aucun problème si besoin est).
Le salafisme aurait dû s’effondrer comme toutes les sectes de l’islam qui l’ont précédé, car beaucoup de théologiens sunnites ont écrit des livres contre cette mouvance mais c’était sans compter sur les Séoud et leurs pétrodollars qui ont permis de noyer les musulmans sous des tonnes de livres salafistes.
J’en viens alors au point de vue politico-historique.
Le wahhabisme (dont découle le salafisme) s’est construit contre la tradition musulmane millénaire et a permis le meurtre de masse de leurs coreligionnaires de la péninsule arabe.
Ibn Abdel Wahhab (XVIIIe siècle) était un homme dont les pensées hérétiques auraient du mourir avec lui, mais c’est son alliance avec la tribu des Séoud qui permis à la doctrine wahhabite de perdurer. Les Séoud voulaient le contrôle absolu de la péninsule arabique alors dirigée par l’Empire ottoman par le biais des descendants du prophète de l’islam – que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui –, les shérifiens.
Les Séoud n’avaient ni la légitimité ni le soutien nécessaire pour contrôler la péninsule, c’est là qu’interviennent les Anglais (puis les Américains) et le wahhabisme.
La « perfide Albion » a manipulé les Arabes et fait monter leur sentiment nationaliste et le wahhabisme a rendu licite le sang de leurs frères en religion.
Aujourd’hui, je ne dis pas que tous les salafistes sont des marionnettes de l’empire (beaucoup de salafistes le sont par ignorance de leur propre religion), mais ce mouvement dans sa haute hiérarchie l’est en grande partie.
Tout d’abord par le biais des plus grands savants religieux salafistes, inféodés au pouvoir séoudien et donc à l’empire. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire leurs fatwas : permission donnée au roi de porter un crucifix aux côtés de la reine d’Angleterre, interdiction de manifester en faveur des palestinien, interdiction pour les Palestiniens de rester en Palestine...
Ces grands savants sont suivis scrupuleusement pas les salafistes qui les considèrent comme les seuls dignes d’être suivis. Alors que l’orthodoxie sunnites ne les considèrent même pas comme des savants mais comme des autodidactes, puisque pour être considéré comme un savant par l’orthodoxie, il faut qu’un savant auprès duquel vous ayez appris la science religieuse vous ait donné un diplôme attestant votre droit à enseigner et émettre des fatwas.
Ce lien de maître à disciple remonte jusqu’au Prophète lui même – que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui – par l’intermédiaire des salafs qui furent ses disciples, les disciples des ses disciples et les disciples des disciples de ses disciples.
Les savants salafistes rejettent ce lien, cette tradition.
Le salafisme est d’une certaine manière le « Vatican II » de l’islam, et l’eschatologie musulmane en parle en de mauvais termes à travers le hadith sur le Najd (région originaire des Séoud et du wahhabisme) et les cornes de Satan, le hadith sur les hautes constructions humaines, le hadith sur les savants dévoyés, inféodés au pouvoir temporel...
Le takfirisme est le lien commun entre toutes les sectes de l’islam. Il s’agit de lancer l’anathème contre un ou un groupe de musulmans. Et le wahhabisme est très habitué de ce fait. Or, l’orthodoxie sunnite considère le takfir contre un musulman comme une énorme responsabilité religieuse parce que le prophète – que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui – a dit que quand un musulman traite de kafir un autre musulman, soit il a raison, soit il a tort et c’est lui même qui devient kafir. C’est pourquoi l’orthodoxie sunnite n’a jamais excommunié le salafisme malgré ses points de vue hérétiques sur le dogme.
Pour l’orthodoxie sunnite, les salafistes sont des musulmans égarés.