Le « fond ancien » de la population du Maghreb, les Berbères, ont mené un long combat pour leur indépendance et, plus récemment, pour leurs droits. Le spécialiste de l’Afrique, Bernard Lugan, lève le voile sur leur lutte et leur destin.
En Algérie comme dans tout le Maghreb, les Berbères constituent le fond ancien de la population. Charles-André Julien écrivait à ce propos que « Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie sont peuplés de Berbères que l’on qualifie audacieusement d’Arabes ». Aujourd’hui, les berbérophones – et non tous les Berbères ethniques – ne représentent plus qu’environ 25 % de la population de l’Algérie et ils vivent dans trois régions, les Kabylies, les Aurès et le Mzab (région de Gardaïa). Ce recul territorial est le produit d’une histoire complexe.
Avant la conquête romaine le royaume berbère des Masaesyle qui s’étendait sur une grande partie de l’actuelle Algérie avait pour limites la Moulouya à l’Ouest et l’oued el-Kebir à l’Est. À la différence de leurs frères de l’actuelle Tunisie et des plaines littorales, les ancêtres des Kabyles et des Chaoui (les habitants des Aurès) furent peu romanisés et très partiellement christianisés.
Tout le Maghreb demeurait ethniquement berbère jusqu’aux XII-XIIIe siècles, époque des migrations des tribus arabes Beni Hillal
Entre le début du Ier siècle et l’année 647, date de la première incursion arabe, les Berbères virent passer les Romains, les Vandales, les Byzantins, puis les arabo-musulmans. Contre ces derniers, l’âme de la résistance fut Kusayla (Qusayla), chef de la tribu Awréba des Aurès. En 683, il intercepta et tua le chef arabe Uqba ben Nafi el Firhy (une ville, Sidi Oqba, fut fondée près du lieu de sa mort), puis il prit Kairouan.
En 687, Kusayla perdit la vie lors de la bataille de Mems (Sbiba), à proximité de Kairouan et son armée fut disloquée. La résistance berbère s’effilocha puis, une femme prit le commandement des derniers groupes de combattants. Connue dans l’histoire sous le nom de l’Kahina ou la Kahena (la sorcière) que lui donnèrent les Arabes, elle appartenait elle aussi à une tribu des Aurès, les Jarawa. En 695, elle fut victorieuse dans la région de Tabarqua, puis, en 698 (ou en 702), elle fut vaincue dans la région de Gabès. La légende rapporte qu’elle aurait alors demandé à ses deux fils, Ifran et Yezdia, de se convertir à l’Islam afin de sauver sa lignée. Elle prit ensuite le maquis avant de trouver la mort à proximité d’un puits qui porte encore son nom, Bir Kahina, à environ 50 km au nord de Tobna. Les Arabes la décapitèrent et firent porter sa tête au calife.
Cette défaite ne déboucha pas sur l’arabisation des Berbères, mais simplement sur leur islamisation, tout le Maghreb demeurant ethniquement berbère jusqu’aux XII-XIIIe siècles, époque des migrations des tribus arabes Beni Hillal.
La révolte de la Kabylie en 1871 laissa un tel souvenir aux jacobins coloniaux français qu’ils entreprirent de combattre l’identité kabyle comme leurs homologues métropolitains le faisaient au même moment avec les Bretons ou les Basques
Puis, à partir de la fin du XVIe siècle, les Berbères de tout le Maghreb perdirent la maîtrise de leur destin à la suite de la disparition de leurs trois derniers royaumes, celui des Mérinides dans l’actuel Maroc, celui des Zianides ou Abd el-Wadides qui s’étendait sur une partie de l’Algérie, de Tlemcen à Bougie, et celui des Hafsides qui englobait la Tunisie plus le Constantinois. Le Maroc fut ensuite dirigé par des dynasties arabes (Saadiens puis Alaouites), cependant que les royaumes de Tlemcen et de Tunis passaient sous contrôle ottoman.
Durant la période ottomane, les Kabylies et les Aurès ne furent jamais contrôlées par le pouvoir turc d’Alger. En 1824, la partie orientale de la Kabylie se souleva. Les Mezzaïa attaquèrent Bougie cependant que les Beni Abbès coupaient la route Alger-Constantine. À la veille de la conquête française, les Berbères Ouaguenoun et Aït Djennad étaient en rébellion contre Alger.
La révolte de la Kabylie en 1871 laissa un tel souvenir aux jacobins coloniaux français qu’ils entreprirent de combattre l’identité kabyle comme leurs homologues métropolitains le faisaient au même moment avec les Bretons ou les Basques, politique qui profita à la langue arabe. Alors que, durant des siècles, le bloc linguistique berbère avait maintenu ses positions face à l’arabe, en quelques décennies de présence française, il recula, se rétracta et se fragmenta. L’émigration kabyle vers la France favorisa également cette déberbérisation.
Après le second conflit mondial, les berbérophones furent nombreux au PPA/MTLD (Parti du peuple algérien/Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), notamment en métropole où ils étaient largement majoritaires. En 1949, au sein du mouvement nationaliste, éclata la « crise berbériste ». Ce fut alors que se posa la question de l’identité algérienne : était-elle exclusivement arabo-islamiste ou berbère et arabo-islamiste ? Pour la direction du mouvement, l’Algérie était une composante de la nation arabe et sa religion était l’islam mais pour la base berbère, la définition était naturellement totalement différente.