Parler d’alcool en France n’est pas simple. L’alcool est un problème, mais aussi une solution : il dissout les petits tracas quotidiens, le stress, la solitude. Il y a l’alcool plaisir, l’apéritif entre amis qui ponctue une journée de labeur ou de vacances, et l’alcool médicament, qui éponge au départ l’angoisse existentielle et finit en alcool pathologie. Pour les addicts, une tentation permanente au pays des 36 000 bistrots, en nombre pourtant décroissant : 200 000 en 1960, 500 000 en 1900 ! Les sorties du docteur Louis-Ferdinand Destouches sur ce brise-crâne national prenaient alors tout leur sens.
« Lorsqu’il boit, l’homme en est réduit à l’état de bête, une bête assoiffée, excitée. L’alcool entraîne une intensification de la violence déjà inhérente à la pauvreté et à l’univers misérable. En tout cas, il ne résout rien. »
(Voyage au bout de la nuit)
83 ans après la parution du chef-d’œuvre de Céline, quand la population rurale atteignait encore 20 millions d’âmes, les Français boivent heureusement moins de vinasse ou de tord-boyaux. Toutes les statistiques montrent, surtout depuis le boom économique des années 60, une baisse quantitative de la consommation moyenne par habitant, doublée d’une augmentation de la qualité de la production. Les appellations d’origine contrôlée (AOC devenue AOP en 2013), qui datent aussi de 1932, mais entérinées en 1947, sont passées par là. Que les lecteurs qui boivent occasionnellement ou modérément se rassurent, nous distinguons l’amateur partageant avec ses invités un cru délicat marié à des mets choisis, et l’ivrogne solitaire qui pleure parce qu’il ne peut s’arrêter tant qu’il n’a pas sombré dans un énième coma.
Yves Calvi :
« Vous l’avez bien compris, on est en France, c’est-à-dire qu’on dissocie… alcoolisation et goût du vin, le ministre de l’Agriculture est dans nos murs, on a une filière vino-viticole dans ce pays, il y a une culture du vin… Elle pose problème ou elle est compatible avec nos modes de vie ? »
Philippe Batel, alcoologue à l’hôpital Beaujon (Clichy) :
« Si je vous parlais comme ça, d’un produit, qui tue 49 000 personnes par an, qui est responsable d’un tiers des handicaps, qui coûte, dans ses conséquences sociales, 17,6 milliards d’euros… la principale cause de mortalité entre 15 et 30 ans, est-ce que vous regarderez ce produit comme on regarde aujourd’hui l’alcool ? La réponse est non… Eh bien il faut probablement changer notre regard en n’étant pas dans une attitude ayatollesque qui penserait qu’il faudrait que tout le monde arrête de boire, c’est loin de ma pensée. »
(Le choix d’Yves Calvi, RTL, le 7 mai 2013)
On ne va pas vous arroser de statistiques (2 à 4 millions d’alcoolo-dépendants, 800 000 hospitalisations par an, 140 morts par jour et une facture totale de 37 milliards d’euros pour le pays) qui ne disent pas la souffrance des alcooliques, pris en charge dans les hôpitaux et cliniques. Et encore moins la souffrance des familles, car un alcoolique c’est comme une grenade dans un lieu qu’on ne peut pas fuir : un stress permanent pour les autres (sauf évidemment si tout le monde picole). Si les Français sont réputés grands buveurs, dans tous les sens du terme, quantitatif et qualitatif, c’est parce que le vin est une culture nationale. Merci en passant aux Romains de nous avoir initiés aux joies de la vigne. Dans ce domaine, la France a atteint un niveau de raffinement inégalé. La connaissance des terroirs et de leurs particularités est sans limites. Chaque région possède sa spécialité en alcool plus ou moins fort, qu’elle fait partager à ses visiteurs et touristes. Il y a donc deux goûts de l’alcool : le goût proprement dit, le palais qui sait apprécier et distinguer les saveurs, arômes et autres parfums, un goût qualitatif, et puis l’autre, qui a besoin de l’ivresse, du vertige, de l’oubli, et qui fonctionne sur la quantité, la dose, comme on dit vulgairement. L’alcoolique sait exactement quelle est sa dose, c’est-à-dire la quantité d’alcool qui va lui permettre de passer de l’autre côté de la conscience, du déplaisir, de la souffrance. L’alcool étant le véhicule vers des contrées plus riantes, insouciantes, légères, sujet du magnifique Un Singe en hiver, avec Belmondo qui magnifie ou invente des souvenirs avec ce lyrisme que permet la désinhibition.
Un allègement des soucis, un sentiment de liberté, un retour à l’enfance, une plongée dans l’imaginaire. Là, l’alcool est médicament qui soigne à une vitesse fulgurante les âmes douloureuses. On retrouve l’anesthésiant (comme la cocaïne), qui endort les peines et réveille le timide, l’écrasé, rendant sa dimension à l’homme plié par les peurs et les interdits. C’est ce médicament, faute de mieux, que prennent quatre millions de Français, chaque jour, et qui dégénère en dépressions encore plus lourdes que celles qu’on voulait fuir, en cirrhoses et autres déflagrations organiques. Pas la peine de convoquer les chiffres de l’Assistance publique, l’alcool représente pour le ministère de la Santé le fléau numéro un, au gré de la puissance du lobby viticole ou vinicole à l’Assemblée. Et puis, les députés comme les sénateurs s’en mettant dans leurs bars respectifs et leurs restaurants préférés tellement dans le cornet, qu’on ne comptera pas sur eux pour rappeler chaque jour combien l’alcool peut être dangereux. C’est une drogue qu’on doit apprendre à maîtriser, ou alors on n’y touche pas. Sinon, il y a la fumette, autre médicament spontané dont la consommation est, elle, interdite par la loi. Enfin, en théorie. L’herbe ou le haschich provoquant quand même moins de dégâts que l’alcool, considéré comme une drogue dure par l’OMS (organisation mondiale de la santé).
Un lycéen de 15 ans :
« Quand t’es bourré t’es plus heureux, quoi. »
(20 Heures TF1, le 2 septembre 2008)
- Recevant un alcoologue, Yves Calvi montre le bon exemple
Philippe Batel :
« Il se constitue jusqu’à l’âge de 25 ans, le cerveau… Il y a une zone du cerveau très profonde qui s’appelle le système limbique… qui gère quelque chose d’extraordinaire, qui est le sentiment de satiété. J’ai bu, j’ai plus soif, j’ai faim, j’ai mangé, j’ai plus faim, j’ai une envie sexuelle, elle est rassasiée. Et que le bombardement par l’alcool de cette zone-là va créer une véritable bombe à retardement. On sait aujourd’hui que ces adolescents, quand on les suit 20 ans après, ils vont développer une sensibilisation extrêmement importante à l’ensemble des produits psychoactifs et développer une dépendance, non seulement à l’alcool, mais aussi à d’autres produits 20 ans après. »
Yves Calvi :
« Vous avez dit bombe à retardement Philippe Batel, ça veut dire que vous nous annoncez un possible tsunami d’alcooliques. »
Batel :
« Ils vont être rattrapés à 35 ans au premier stress professionnel et ils vont développer une alcoolodépendance, on les voit déjà. »
(Le choix de Yves Calvi, RTL, le 7 mai 2013)
Oui mais voilà, des individus préfèrent confier leur détresse à l’alcool, et préfèrent donc l’alcoolisme au malheur. Tout le problème est là, surtout que la pente alcoolique – le déplaisir et l’addiction – ne survient pas tout de suite : l’alcool, ce petit diable, est un plaisir à crédit. La note – l’ardoise, quand vient le moment de régler l’addition – tombe plus tard, beaucoup plus tard, quand il est trop tard. Oui, il faut le dire, il est agréable de boire, de s’en jeter un, de s’arsouiller entre potes, de partager un champagne avec son partenaire amoureux. La volonté qui permet de résister à ce plaisir ou de le dominer doit donc être très forte. Tout dépend aussi de la nature du buveur : le bûcheron de 120 kilos pourra se désaltérer sans trop d’effets secondaires avec quelques formidables de bière, tandis que l’adolescente de 17 ans tombera dans les pommes après deux ou trois vodka-pomme. L’OMS conseille donc aux femmes de boire au plus deux verres par jour, et trois pour les hommes. Conseil qui, comme le coup des cinq fruits et légumes, n’affecte pas les grands buveurs. La force de l’appel de la forêt étant sans commune mesure avec les timides phrases adressées à la Raison… Que peut Jiminy la conscience face aux tentations terrestres que Pinocchio va expérimenter ?
Chloé, 33 ans, dépendante depuis sept ans, une parmi les 600 000 Françaises alcooliques :
« Et je sens qu’il y a une main qui m’agrippe à l’intérieur de moi, qui demande de l’alcool. »
(Zone Interdite, M6, 16 mars 2014)
Justement, ce sont les avancées récentes (depuis les années 1960) en matière de biologie et de pharmacologie qui ont livré la clé de l’addiction, cet impérieux besoin de boire. Pour comprendre comment fonctionne le manque, il faut d’abord savoir que le cerveau possède une aire de la récompense. C’est-à-dire qu’une action gratifiante sera à la fois mémorisée, et si possible, renforcée. Tout sera fait pour que le plaisir soit renouvelable, et renouvelé. Les drogues activent ce système de la récompense en mettant en branle la dopamine, ce neurotransmetteur qui déclenche le signal magique. C’est d’ailleurs par ce moyen chimique que les grands cocaïnomanes suractivent les chemins de la récompense, brûlant au final les synapses et grillant les neurones concernés (on appelle ça des schèmes spatio-temporels). C’est pourquoi l’on voit beaucoup de stars du showbiz (politiques compris) complètement défaites, déprimées à mort, vidées de toute joie, dans les cliniques spécialisées. Le prix à payer pour rester tout en haut. Au centre hospitalier Sainte-Anne, il y a un service pour les « femmes de tête », politiques, patronnes et intellectuelles alcoolo-dépendantes… Si l’alcool facilite la libération de dopamine dans notre cerveau, alors il peut être considéré comme une automédication, ainsi qu’un réflexe dangereux qui peut se transformer un jour en malédiction.
Christophe Lambert :
« C’est terrible l’alcoolisme, l’alcoolisme c’est quelque chose qu’on ne contrôle plus… au bout d’un moment y a une telle honte qu’on le cache, à partir du moment où on se cache pour boire c’est qu’on a un vrai problème… Chuis tombé dans les poncifs qu’une vie de show-business peut amener, les boites de nuit, l’alcool… »
(Le Grand Journal de Canal+, 30 mars 2011)
« C’est là qu’interviendrait le baclofène, comme relaxant musculaire [auparavant utilisé pour soulager les sclérosés en plaques], il agit en inhibant les neurones responsables de la contraction involontaire des muscles ; ce faisant, il inhibe aussi les neurones du système dopaminergique, le système de récompense est donc bloqué, le craving disparaît. »
(Alcoolisme, la promesse du baclofène, Arte, 31 octobre 2014)
Après moult remous dans le monde médical, le baclofène a été testé puis autorisé en prescription par l’ASM (l’agence de sécurité du médicament), mais toujours sans AMM, la fameuse autorisation de mise sur le marché. Ce qui n’empêche pas 6 000 médecins de l’administrer à 50 000 patients. Un médicament qui partage toujours les spécialistes (il y a d’autres raisons, plus bassement économiques et concurrentielles, avec le Selincro par exemple, mis sur le marché européen fin 2013), élargissant le fossé entre partisans de l’approche psychothérapeutique et partisans de la médication basée sur les neurosciences. Avant le baclofène, les alcoologues disposaient de médicaments qui accompagnaient le sevrage, l’arrêt brutal de l’alcool pour le patient. Qui craquait souvent, revenait en cure, ne sortait jamais vraiment de l’enfer, ou alors fragilisé. Depuis le baclofène, les psychothérapeutes insistent sur la dimension psychique de l’alcoolisme, qui ne peut se traiter simplement par la perte de l’appétence pour le produit. L’alcool n’étant pas la cause, mais la conséquence d’un mal-être, à rechercher dans la construction de l’alcoolique. Lors du documentaire d’Arte, un client parle de son rapport à l’alcool au médecin qui le suit dans le cadre du programme baclofène/placebo (on refile du baclofène aux uns, un placebo aux autres, et on étudie les résultats) :
« Je le prends comme une habitude, pas comme un besoin essentiel… On se sent pas alcoolique… J’ai des grands-parents paternels qui étaient imbibés comme des éponges, mon père biologique il est mort de ça, ma mère… pour soutenir sa maladie, elle se laissait aller au whisky. »
On peut transposer la phrase de Choron « on trouve toujours plus con que soi » en « on trouve toujours plus alcoolique que soi ». Le docteur Jaury, qui défendit l’utilisation de méthadone comme substitut à l’héroïne il y a 30 ans, défend aujourd’hui celle du baclofène. Il était à l’époque considéré comme un dealer en blouse blanche et un criminel, selon ses propres termes. Il rappelle ce qui devrait être une évidence pour tout le monde : au départ il y a une souffrance, qui est soignée par le médicament alcool. Débarrassés du craving, le besoin de boire, les patients traités avec succès au baclofène rêvent désormais de pouvoir « boire comme tout le monde ». L’abstinence, qui était autrefois l’objectif du traitement, devient presque secondaire.
Le fait que personne ne soit d’accord sur la définition de l’alcoolisme ne simplifie pas les choses. Pour Philippe Batel, le spécialiste médiatique numéro un, c’est le besoin qui fait l’alcoolique, même avec un seul verre par jour. Pour l’OMS, c’est l’observation d’un comportement dépendant qui perturbe la santé, la vie affective et sociale d’un individu. Il y a x définitions, et autant de degrés d’alcoolisme, dont les racines plongent dans le psychisme, les accidents de la vie (la perte d’un être cher, d’un emploi stable, un divorce sanglant, une dépression carabinée), ou même le contexte culturel, qui valorise chez nous la prise de boisson. La carte de France de l’alcoolisme désigne la Bretagne et le Nord, dont l’histoire économique et sociale peut expliquer le haut niveau de consommation. Le Sud-est n’est pas mal non plus, dans le genre. Là, on peut penser que l’épicurisme fait de soleil, de farniente, de pétanque, en un mot de vie plus douce, encourage l’apéritif…
- Il est pastis moins le quart !
Pour clore le chapitre baclofène, sachez que l’étude menée auprès de 320 patients, les uns croquant des comprimés réels, les autres du placebo, a surpris à la levée de l’insu (on apprend au patient s’il prenait du baclofène ou du placebo) : les groupes placebo et baclofène ont obtenu sensiblement les mêmes résultats ! Ce qui accrédite la thèse des « psychologistes », qui soulignent l’importance de la prise en charge par un thérapeute, la volonté de guérir et la force de l’autopersuasion des patients concernés. La prise de médicaments, efficaces sur le craving, se doublant d’un travail en profondeur sur le psychisme de l’individu, pour trouver ensemble ce que la prise d’alcool vient combler. Un psychiatre distinguant même les deux types de dépendances qui affligent l’alcoolique : la physique, traitable en deux semaines par les techniques habituelles de sevrage, et la psychologique, qui varie d’une personne à l’autre. Mais pour faire disparaître cette « mémoire du plaisir de boire », il faut plus de deux semaines. Parfois des années. Une patiente guérie au baclofène de son besoin de boire, affirmant qu’elle en garde toujours le… désir :
« Depuis un an je n’ai pas pris une seule gorgée d’alcool, mais après j’ai trop peur d’aimer ça à nouveau. »
Relativisons la prise en charge psychothérapeutique personnelle ou collective en France : les 600 groupes de parole des Alcooliques Anonymes ne réunissent que 7000 membres, sur près de cinq millions d’alcooliques…
« L’alcoolisme est la pathologie psychiatrique la moins bien prise en charge. Moins de 10 % des alcooliques sont traités, contre 40 % à 60 % des dépressifs et 80 % des schizophrènes. »
(Michel Reynaud, psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, in Le Monde du 6 septembre 2013)
Le baclofène n’est pas tout seul sur le marché. En 2006, un petit labo (D&A Pharma) détourne un produit connu du grand public comme étant la drogue du viol, le GHB, pour en faire un coupeur d’envie de boire, l’Alcover. Et afin qu’elle ne soit pas utilisée à des fins criminelles, la molécule a été synthétisée sous forme de cristaux bien visibles. Au-delà de cette anecdote, on rappelle que c’est Henri Laborit – encore lui, décidément – qui a mis au point l’ancêtre du GHB, anesthésiant qu’il appelait Gamma-OH, dans les années 1960. Pour la petite histoire, il s’en est injecté lui-même toute sa vie, sans ressentir d’effet de manque. Le Gamma-OH, ou molécule du bonheur, le mettait dans un état propice à la créativité, qu’il exerçait dans le domaine biologique, générant de nombreuses retombées en pharmacologie. Le plus drôle, c’est que ce produit a été un temps en vente libre, les hippies en prenaient, pour se nettoyer de la société de consommation et de toutes ses contraintes et inhibitions intériorisées. Ensuite, ils pouvaient planer, s’épanouir, et s’adonner à toutes les choses qu’on attribue aux hippies : l’amour libre, la fraternité, le retour à la terre, la vie harmonieuse en collectivité, l’élimination de l’agressivité, de l’esprit de compétition… Une philosophie de la dépossession qui ne cadrait pas tellement avec les préceptes bourgeois de la société occidentale, qui s’empressa d’interdire le produit en Amérique du Nord. Le GHB ressurgira 20 ans plus tard sous forme d’ecstasy, et de pilule du viol dans un dosage supérieur : à faible dose, il a un effet désinhibiteur ; au-delà, il conduit à des états hypnotiques avec séquelles amnésiques… Le Gamma-OH est donc à l’origine du baclofène, de l’Alcover (testé par Batel), et du Selincro, un médicament danois qui permet théoriquement aux alcooliques de pouvoir reboire, sans rechuter dans l’alcoolisme. On n’arrête pas le progrès !
- Le mode de vie hippie a été tourné en dérision car il s’attaquait, dans une inspiration purement chrétienne, aux bases de la société bourgeoise matérialiste.
« Auparavant l’ivresse était un accident de l’alcoolisation. On avait des jeunes qui ne savaient pas la quantité suffisante pour être bien et au-delà duquel ils allaient être trop mal… Aujourd’hui ils savent très très bien parce que en gros, l’ivresse, la défonce, c’est ce qu’ils recherchent… Ils parlent de montée, ils parlent de défonce, de descente. »
(Philippe Batel, RTL, le 7 mai 2013)
Il est étonnant de penser que quelques microgrammes d’une molécule chimique peut modifier à ce point un comportement, pathologique ou pas. Les effets d’un désinhibiteur sur un individu déprimé ou en manque le mettent dans un état de soulagement, voire de béatitude, immédiat. Cela le déconnecte des interdits sociaux, qui l’aliènent au-dedans. Cette libération chimique de l’individu, que recherchent tous les drogués depuis la nuit des temps, est désormais techniquement possible. Simplement, il y a un moyen d’aboutir au même résultat (la béatitude), et de manière plus durable et moins dangereuse, sans la chimie ou l’alcool, ces eaux qui donneront toujours soif. Sauf que cela demande de faire soi-même, avec ou sans aide, ce chemin de libération mentale. Par l’information, la connaissance, et de nouvelles relations avec les autres. Il est évidemment plus facile de vider un verre que de s’interroger sur ses déterminismes familiaux, biologiques, et sur la finalité de la vie. Il y a la voie de l’oubli, rapide et courte, et la voie de la connaissance, plus longue et plus difficile, selon le Christ, mais ça vaut le coup. Et, à propos d’alcool, que les épicuriens se rassurent, le Nazaréen n’était pas un adepte de l’abstinence, permettant à ses apôtres de picoler de temps en temps (leur vie n’était pas forcément facile en Palestine, surtout avec un programme politique ambitieux et subversif, écouter le Messie n’empêchait pas de faire un peu la fête) : il demandait juste de ne pas verser dans l’excès. Sachant trop la faiblesse de la nature humaine…