Les derniers développements en Ukraine libérée confèrent une plus grande lisibilité à l’environnement international qui entoure ces évènements. Alors que la situation militaire s’est malheureusement détériorée dans l’Est du pays, dans les officines diplomatiques un embryon de consensus semble se dessiner entre Bruxelles, Moscou et le nouveau président ukrainien.
Celui-ci, qui tente d’asseoir son pouvoir pour rétablir le calme et l’ordre dans le pays, fait face à deux fronts intérieurs bien différents. Il y a d’abord celui des fédéralistes de l’Est bien entendu, mais également celui des « durs » de l’Ouest et du centre du pays. Au sein de ce second front intérieur on peut citer certains mouvements patriotiques tels que Patrie de Ioulia Timoshenko, la galaxie Svoboda/Pravy Sektor ou les nouveaux roitelets locaux, ces oligarques gouverneurs de régions comme Igor Kolomoïski, l’un des principaux sponsors du Maïdan et de la nouvelle garde nationale ukrainienne qui combat du reste dans l’Est du pays.
L’opposition entre l’Est et l’Ouest du pays ne se résume pas seulement à un désaccord de certaines régions d’accepter le nouveau pouvoir ukrainien, jugé illégitime et considéré, à tort ou à raison, aux mains d’intérêts étrangers, nationalistes violents et anti-russophones. En effet et malheureusement pour les partisans de la version complotiste occidentale (qui voit la main de Moscou dans la région) la quasi-totalité des hommes armés du Donbass sont vraisemblablement de simples citoyens, majoritairement ukrainiens, inquiets de ce qui se passe à Kiev qu’ils ne reconnaissent plus comme leur capitale du moins sur le plan politique. Il y a bien entendu quelques volontaires russes mais les quelques récits qui filtrent de vie et de mort de ces engagés volontaires ne laissent que peu de place aux fantasmes, comme les lecteurs russophones peuvent le lire ici.
Cette version des faits a été confirmée par le journaliste américain Marc Franchetti, pourtant peu soupçonnable de sympathies pro-russes, après qu’il ait sillonné l’Est du pays, sur le plateau d’une des plus grosses chaines de télévision ukrainienne. Les regards effarés des invités présents sur le plateau traduisent visiblement leur sincère incompréhension de la réalité sur le terrain, une incompréhension sans aucun doute grandement créée par l’intensepropagande des médias ukrainiens et de certaines structures qui tentent de préparer le pays à une guerre contre la Russie, comme par exemple les services secrets ukrainiens qui visiblement désinforment jusqu’aux élites politiques de leur propre pays.
On peut se demander à qui sert cette stratégie de la tension ?
Le choix des populations du Donbass de prendre les armes traduit également et sans doute surtout la volonté de ces populations de s’opposer clairement au processus d’occidentalisation que le pays connaît depuis le début de la période d’immixtion occidentale en Ukraine. Cette période, qui a directement suivi l’effondrement de l’URSS, s’est matérialisée aux yeux du grand public par la révolution orange que le pays a connu durant l’hiver 2004 puis lors des évènements du Maidan de l’hiver 2014. Cette lente occidentalisation entraîne des changements systémiques, sociétaux, moraux et civilisationnel profonds dans l’Ukraine d’aujourd’hui. Il y a bien sûr le choix de la voie à suivre pour l’avenir du pays. L’Ukraine fait face à un dilemme profond accentué par sa position géostratégique et géographique : entre deux pôles à forte gravité que sont la Russie à l’Est et l’Union Européenne à l’Ouest. Ce choix ne traduit pas seulement des motivations uniquement économiques mais aussi un authentique choix de civilisation et de société entre le monde russe et le monde occidental. Comme souvent le diable se cache dans les détails mais aussi, pourrait-on rajouter, dans les symboles.
Au début de ce mois de juillet Kiev verra par exemple se tenir dans ses rues une Kiev-parade ayant pour objectif l’unité de l’Ukraine et la dénonciation des « provocateurs russes » et avec le soutien d’ambassadeurs de l’UE en poste en Ukraine tel que l’ambassadeur de Suède. La tenue d’une Kiev-parade dans une Ukraine au bord du chaos et qui sort tout juste d’un authentique coup d’Etat perpétré avec l’aide des mouvements nationalistes ukrainiens les plus radicaux traduit bien le message des nouvelles élites politiques au sein de l’Ukraine libérée à ces mêmes nationalistes. On pourrait la résumer de la façon suivante : « Chers nationalistes merci beaucoup de votre travail, vous êtes désormais invités à retourner dans vos campagnes pauvres à l’Ouest du pays ou alors à aller vous battre à l’Est du pays contre vos concitoyens pendant que nous commençons le processus d’intégration de notre pays à l’Occident ».
On sait en effet que la question du droit des gay-pride tout autant que des homosexuels est devenu au cours des derniers mois l’une des principales pierres d’achoppement entre l’Occident et la Russie surtout lorsque cette dernière a interdit la propagande des relations sexuelles « non traditionnelles » aux enfants mineurs. Une politique de gestion des mœurs inverse à celle qui règne dans nombre d’Etats européens comme par exemple en France, où la propagande des relations sexuelles « non traditionnelles » comme par exemple le mariage homosexuel, est désormais enseignée aux jeunes enfants de façon civique par les autorités françaises ou bien lorsque les jeunes garçons sont invités par certaines académies scolaires à porter des jupes au nom de l’égalité des sexes.
A l’opposé de cette « involution » et comme le rappelle le site RealpolitikTV les choix opérés les nouvelles autorités des nouvelles républiques de l’Est du pays sont eux extrêmement inspirés par le « modèle russe » et la constitution de la république populaire de Donetsk est un authentique manifeste contre les « valeurs américaines » et le modèle de société occidental », notamment dans le domaine de la protection de la famille traditionnelle et de notre civilisation. Fondement orthodoxe de la République (préambule), protection de l’être humain dès sa conception (Art. 12.2), interdiction du mariage homosexuel et de sa promotion (Art. 4.3, 31.1, 31.3), protection de la vie privée (Art16.2, 17.1), interdiction des arrestations arbitraires (Art. 15.2) et de la torture (Art. 14.3).
Les valeurs comme ligne de fracture primordiale entre l’Est pro-russe et l’Ouest pro-occidental ?