Beaucoup de journalistes ont soulevé le fait que lors des deux premières semaines de frappes russes en Syrie, un grand nombre de ces frappes se sont concentrées sur la province d’Idlib au sein de laquelle Daech ne serait pas présent.
Les Russes ont néanmoins leurs raisons, qui sont évidentes, de frapper cette zone. Non seulement pour desserrer l’étau djihadiste qui se rapprochait du cœur alaouite côtier, mais aussi car nombre de groupes de cette zone connaissent des concentrations de minorités issues de la zone postsoviétique, telles que par exemple Katibat Al Tawhid Wal Jihad, ou encore Jaish Al Muhajireen Wal Ansar, dont les rangs comptent de nombreux combattants centrasiatiques ou tchétchènes.
Lors des violents combats qui à la fin du printemps dernier ont vu la chute d’Idlib et de la présence loyaliste dans la région, de nombreux observateurs de terrain ont également témoigné de la présence au sein des groupes rebelles de forces spéciales turques ou encore de combattants turcophones, tandis que la presse turque dénonçait des livraisons non officielles d’armes et de munitions à divers groupes rebelles, un scandale qui a été du reste parfaitement étouffé au royaume d’Erdogan.
On aurait du reste apprécié que les journalistes français s’y intéressent en profondeur, pour démontrer ce que les journalistes syriens ne cessent de répéter, à savoir que c’est bien la seconde puissance de l’Otan qui alimente de nombreux groupes rebelles radicaux syriens en armes, hommes et soutiens logistiques ou encore médicaux.
Cette prise de contrôle de certaines branches de l’État profond turc sur cette zone de la Syrie n’est pas plus un hasard que le fait que le président Erdogan insiste sur la création d’une zone tampon au nord d’Alep pour disposer d’un corridor d’accès au territoire syrien permettant officiellement de lutter contre Daech. Les objectifs turcs sont en réalité ailleurs et ne se limitent pas seulement à éviter l’installation d’une zone pan-kurde au nord de la Syrie.
Depuis plusieurs mois, Ankara a initié une politique d’immixtion forte en Syrie, visant à ôter ces territoires de toute souveraineté du pouvoir politique syrien actuel. La frontière turque, poreuse pour les djihadistes qui viennent combattre en Syrie, a par exemple permis à Ankara d’initier un gigantesque mouvement de peuplement de la zone par des colons, dont une grande majorité de combattants asiatiques et notamment des Ouïghours.
Au début du mois de septembre 2015, la chaine d’information MEMRI présentait dans un de ses reportages l’incroyable ouïghourisation de la province d’Idlib, puisque ce sont près de 3.500 Ouïghours qui auraient été implantés de Turquie vers la province d’Idlib, devenant même majoritaires dans certains villages tel que par exemple Zanbaq. Des images de camps d’entraînement pour enfants ont été tournées tandis que les sources de MEMRI affirment que la Turquie aurait soit disant en « réserve » près de 20.000 Ouïghours militants pouvant aller mener le Djihad tant en Syrie qu’en Asie centrale ou… en Chine ! Plus récemment c’est une école d’apprentis terroristes issus de pays russophones d’Asie centrale qui a été démantelée sur le territoire Turc.
En plus de la collaboration turco-ouïgoure en Syrie, des révélations par des membres de l’EI arrêtés confirment que des trafics de passeports initiées par Daech auraient permis à quelques 50.000 Ouïghours détenteurs de faux passeports de pays d’Asie de rejoindre la Syrie via la Turquie sans être inquiétés. Peut-on envisager un lien entre ces cellules terroristes et le terrible attentat de Bangkok du 17 août dernier alors que c’est précisément la piste des faux passeports turcs qui semble se dessiner, tout comme du reste lors des attaques en 2014 de la gare de Kunming ?
L’équation ouïgoure en Syrie se greffe sur un contentieux complexe entre Ankara et Pékin à ce sujet. La Turquie hébergerait près de 350.000 Ouïghours et le « sultan » Erdogan intègre cette minorité comme une minorité périphérique à défendre, comme les Tatars de Crimée ou les minorités musulmanes des Balkans, traduisant en quelque sorte une restauration d’un attentisme néo-ottoman. Alors que les relations entre les deux pays s’étaient considérablement améliorées, la crise en Syrie a refroidi la relation sino-turque.
En janvier 2015, lors de la visite du président Abbas au palais présidentiel d’Erdogan, on a pu voir des mannequins représentant les 16 soldats de la garde présidentielle en tenue historique des « provinces » de l’empire turc, comprenant un guerrier en costume ouïghour, en l’espèce le sixième sur la photo.
Au sein d’une certaine presse non-alignée, de plus en plus d’analyses laissent maintenant imaginer une plausible immixtion chinoise en Syrie, pourquoi pas sous couvert de l’Organisation de Shanghai, au vu du très grand nombre de djihadistes originaires de l’espace eurasiatique et pouvant menacer l’Eurasie et donc l’aire géographique de l’Organisation de Shanghai.
Et pourtant la Turquie, comme la Syrie et l’Égypte du reste, a demandé à se rapprocher et à rejoindre l’Organisation de Shanghai. La politique turque pourrait-elle entraîner un certain engagement chinois en Syrie ?