Début 2009, l’économiste et démographe Yves-Marie Laulan publiait aux éditions François-Xavier Guibert un ouvrage intitulé « Le couple Giscard-Chirac / Deux années de plomb qui amorcent le déclin : 1974–1976 ».
Scripto revient avec Yves-Marie Laulan sur ce réquisitoire implacable dont Chirac et Giscard sortent éreintés.
Scripto : Pouvez-vous rappeler la série de gestes symboliques entreprise par Giscard au début de son septennat pour marquer sa volonté de "moderniser" la France ?
Yves-Marie Laulan : Ils ne manquent pas, qu’il s’agisse de l’exécution de la Marseillaise à un rythme ralenti ; de la descente des Champs-Elysées à pied une fois élu (et non en voiture comme le voulait la tradition) ;du passage de l’habit au costume de ville pour les cérémonies présidentielles ; du bleu foncé du drapeau français remplacé par une couleur plus douce à l’œil sensible du nouveau président. Aucune gaminerie n’échappera au regard vigilant de ce vieil adolescent trop vite grandi et placé à une fonction pour laquelle il n’était manifestement pas fait.
Quelles sont les décisions et les mesures prises par le duo Giscard-Chirac dont les conséquences se font toujours sentir près de 40 ans plus tard ?
Soyons justes, les réalisations dignes d’intérêt sont nombreuses. On songerait ici au "plan téléphone" qui a permis de moderniser les Télécommunications quelque peu médiévales de la France de l’époque. Citons aussi ce que chacun connait, à savoir le lancement du plan nucléaire pour l’électricité qui fournit à l’heure actuelle quelque 80 % de l’électricité consommée en France.
Mais, en contrepartie, que de catastrophes infiniment plus graves et irréversibles. La mesure « phare », au mauvais sens du terme, celle qui a le plus coûté, et qui coûte encore terriblement à la France, est la naturalisation par le mariage, le fameux regroupement familial adopté par simple décret le 29 avril 1976, dans le silence des médias et du Parlement. Elle permet à un Français d’origine étrangère, fut-il naturalisé de quelques heures, d’aller chercher « au bled » une épouse qui aura son passeport français en peu de temps. Encore aujourd’hui ce sont plus de 40 000 étrangers par an qui deviennent citoyens français par ce procédé ingénieux. Au total, en plus de 35 ans, ce sont plusieurs millions d’étrangers qui se sont installés chez nous depuis 1976. Nous assistons ainsi à une véritable substitution de population, la nouvelle remplaçant l’ancienne, avec l’arrivée de l’Islam qui acquiert droit de cité dans nos villes et nos villages, l’apparition du Niqab dans nos rues, de la viande casher/halal dans nos cantines et nos boucheries. C’est, à terme, la mort programmée de notre pays tel qu’il a été façonné au cours des siècles. Rien que pour cela, le nom de Giscard, et celui de son complice Chirac, devraient être maudits à jamais (comme celui de l’incendiaire du temple de Diane à Ephèse).
Quel événement majeur et quelle atmosphère politique ont permis à Giscard et Chirac d’entreprendre ces "réformes" ?
C’est la disparition brutale de Pompidou qui a évidemment permis à un outsider comme Giscard d’apparaître comme un « papabile », un candidat crédible au sein d’une majorité en plein désarroi, car soudain privée de père. Par ailleurs, Pierre Messmer , qui aurait pu, qui aurait dû se manifester comme le continuateur de l’œuvre gaullienne s’est récusé, on ne sait trop pourquoi : peur du vide ; timidité soudaine après tant d’années passées dans les coulisses du pouvoir ; modestie excessive et mal placée. Nul ne saura jamais. C’est une erreur historique tragique. Car, avec Messmer président, c’est le visage et l’histoire de la France qui auraient été profondément changés, en mieux.
Ceci étant, il y avait certainement dans une partie du pays, les « élites » « parisiennes », les « médias », le goût d’une rupture à la fois politique et morale avec la tradition instaurée par de Gaulle et prolongée par Pompidou ; une sorte de Mai 68 en escarpins vernis, de rébellion « caviar », un désir de « désacralisation » des rites politiques, des mœurs, des traditions. Ce n’était pas : « il est interdit d’interdire » mais plutôt le slogan ; « flanquons à bas cet édifice poussiéreux » d’étudiants en goguette, les « Muscadins » et les « Incroyables » des années 70 sortis des quartiers chics de la capitale. Sans l’once d’une cervelle.
Vous insistez sur des dispositions qui ont élargi les compétences du Conseil constitutionnel. En quoi ces nouvelles dispositions furent-elles néfastes selon vous ? Par quelles « philosophies » étaient-elles imprégnées ?
Ces dispositions créent une sorte de contre-pouvoir permanent à l’action de la majorité et du gouvernement .Des juges nommés, - et il faut voir dans quelles conditions, copinage et compagnie -, peuvent désormais braver l’avis de la majorité politique. Le Parlement , et le gouvernement, sont privés de leurs prérogatives. La démocratie en France est gravement atteinte.
Cela a permis à l’opposition de faire obstacle sous le moindre prétexte et à la moindre occasion, à la volonté de réforme du gouvernement, notamment dans la lutte contre l’immigration et le maintien de l’ordre public. Cette disposition, à elle seule, est largement responsable de la situation inextricable dans laquelle se trouve la France en matière démographique avec une minorité démographique en pleine expansion soumise à l’influence de l’Islam. Elle ne manque pas de faire sentir sa présence et son poids, et le fera encore bien davantage à l’avenir avec l’accentuation des « trends » démographiques.
Nous nous trouvons en présence d’un « gouvernement des juges » qui n’a rien à voir avec la tradition républicaine de la France reposant sur la souveraineté populaire déléguée aux représentants de la nation, telle que nous l’avons héritée de la révolution de 1796. C’est un tournant radical dans l’histoire juridique et constitutionnel de notre pays. Il est clairement inspiré de l’exemple de l’étranger, par exemple allemand, et notamment de la tradition anglo-saxonne, plus précisément américaine, qui dresse un contre-pouvoir juridique puissant face au pouvoir législatif et exécutif sorti des urnes. Il reflète une forme de méfiance vis à vis du peuple (the mob) du vote populaire et une grande confiance placée sans la sagesse des Sages, les Juges de la Cour Suprême aux Etats-Unis
Quelles sont les caractéristiques du giscardisme que l’on peut retrouver dans le mitterrandisme, le chiraquisme et le sarkozysme ?
Il y a, en effet, certains traits communs entre ces quatre expériences politiques récentes. C’est le goût du clinquant, du neuf, du tape à l’œil, de la politique spectacle. La politique devient largement un théâtre ouvert devant le peuple/spectateur et sanctionné par les applaudissements du public, je veux dire les sondages. Songeons à Juppé,- hé oui , Juppé -, faisant des « pompes » sur écran pour l’émission « l’oreille en coin », Giscard descendant à ski (mais encordé quand même) la face Nord du Mont blanc ou même la grotesque commémoration de la révolution de 1789 sous Mitterrand.
Il y a aussi une perte de mémoire de l’histoire de France, de ce qu’elle représente en termes de valeurs et d’exigences, le tout sur fond de mépris plus ou moins caché du peuple et des Français, considérés comme des sortes de guignols qu’il faut bien amuser comme on peut. Ce trait, le mépris des gens, est particulièrement accusé chez Mitterrand, vieil homme arrivé tard au pouvoir, après avoir tout vu et tout vécu, recru de fatigues et d’expériences ratées, à qui il ne restait plus qu’un penchant pour les amusettes et les caprices d’un président au palais blasé. Songeons à l’exemple d’un avocat obscur des Charentes nommé ministre parce que le « Président avait mangé du bon poisson à sa table ».
Ceci étant, ce dernier avait quand même gardé un sens de la dignité présidentielle, largement atténué ou carrément disparu chez ses successeurs. Après le grand homme de Gaulle, nous avons connu celui des petits « bonshommes sympas ». Autre trait commun, l’absence de réflexion et la légèreté de cervelle. Voyez Giscard jetant allègrement aux orties la dissuasion nucléaire si péniblement acquise, Chirac supprimant d’un trait de plume le service militaire (qui aurait pourtant été bien utile pour faciliter l’intégration des jeunes « beurs ») ou Sarko attaquant bille en tête, sans munitions ni équipements, la minuscule Libye. En bref, ces présidents de « l’après gaullisme » (Mitterrand excepté dans une certaine mesure, car il avait, lui, connu la guerre) souffrent à des titres divers d’une malencontreuse absence de vision stratégique de long terme des intérêts et du destin de la France.
Si l’on souhaite dater le début du déclin, la date la plus symbolique ne serait-elle pas le 3 janvier 1973 (loi n°73-7 sur la Banque de France) qui marque le début de l’accroissement de la dette de l’Etat auprès des banques privées et des marchés financiers ? Avec déjà Giscard aux manettes de l’Economie et des Finances et Pompidou dans le rôle du "fondé de pouvoir" de la banque Rothschild ?
Non, la Banque de France n’a rien à voir là dedans. Le déclin date de l’apparition du déficit chronique de nos paiements extérieurs, de l’accroissement non moins tendanciel de notre endettement extérieur, et pour couronner le tout, de la mise en place de l’euro qui risque d’entraîner une crise financière sans précédent en France et la ruine de l’Europe de Jean Monnet (faut-il s’en plaindre ? Mais ceci et une autre histoire comme aurait dit Kipling).
Ceci étant, avec la crise grecque, la Banque centrale européenne (en violation flagrante de ses statuts) fait exactement ce que faisait jadis la Banque de France en avalant à en crever des titres publics. Mais tout aussi grave est la mondialisation financière qui mêle, qui imbrique inextricablement les bilans des banques au point de créer un risque systémique des deux côtés de l’Atlantique et au sein même de l’Europe de l’euro.
Les banques françaises et allemandes portent le risque grec et irlandais, et les banques américaines portent le risque européen. C’est un périlleux jeu de mikado. Comment agir dans ces conditions ? Les gouvernements sont largement privés de moyens d’action, victimes de traités imbéciles impossibles à gérer.
Est-il encore possible de revenir sur tous ces choix politiques ? Si oui, comment ? Et à quel prix ?
Bonne question. C’est une simple question de volonté politique. Et elle est absente. Les responsables sont privés de volonté par (a) le système (b) la crainte des prochaines élections. Cela se comprend. Comment et pourquoi prévoir des réformes douloureuses si l’on doit être chassé du pouvoir bien avant ?
Au surplus, comment faire des réformes à 20 ou 25 ou 30 ? Les spécialistes de la sociologie de groupe savent bien que cela est impossible. Cela étant, on sait parfaitement ce qui devrait être fait. L’Europe, telle qu’elle a été construite dans l’euphorie de l’an 2000 est paralysante, en priorité et spécialement, celle de l’euro et celle de l’espace de Schengen. On le voit bien. Il faut clairement s’en débarrasser et revenir aux "fondamentaux ", la défense et la politique étrangère et non « le lard et la cassonade ».
Refonder l’Europe donc. Idem pour la mondialisation qui ruine l’Europe et la France, au profit des pays émergents. Même les Etats-Unis commencent à se poser des questions sur ce sujet. A quoi bon acheter des tee-shirts chinois à deux euros si l’on crée en même temps des milliers ou des millions de chômeurs ? En fait, on attend la grande catastrophe pour agir. Elle n’est plus très loin.
En réalité, de quoi s’agit-il ? Nous avons accumulé en 30 ans un endettement énorme qui reflète le fait que nous avons consommé plus que nous n’avons produit. Le retour à l’équilibre passe par le renoncement à la partie, non gagnée, de notre pouvoir d’achat. C’est douloureux mais inévitable. L’inflation, comme toujours, s’en chargera.