Merci à Camille Mordelynch pour cette initiation à la maïeutique.
À l’instar de son maître, Platon fera de la mémoire le fondement épistémologique de toute connaissance. Cette idée que la mémoire fonde le savoir, en créant une passerelle supra-sensible et une ligature supra-temporelle entre le passé et le présent, n’a de sens que dans la mesure où Socrate et Platon croyaient en la métempsycose : la mémoire, cumulative, s’enrichit d’une réincarnation à l’autre.
Ce postulat socratique selon lequel les processus mnésiques se trouvent au soubassement de la connaissance, a connu une extension problématique lors de sa récupération par les sciences de l’éducation. Ainsi, dès les années 1920, le constructivisme pédagogique remet en question la nature transmissive du savoir et, avec elle, l’idée de hiérarchie : le maître cesse alors d’être l’unique détenteur de la connaissance, au profit de l’élève, ce prodige inconscient de son savoir inné, auquel le maître, désormais déchu de son estrade, a pour mission, par le biais d’ateliers interactifs, d’accoucher la mémoire de ses connaissances enfouies. Acquises où et quand, si on est né et pas réincarné ?
Parce qu’il rejette la parole d’autorité au profit d’une maïeutique articulée autour des savoirs supposés à l’apprenant, le pédagogisme actuel semble directement hérité de la démarche heuristique de Socrate, appliquée à des êtres sans expérience, dont le pédagogue est tenu de considérer qu’ils possèdent le vécu qui fonde le savoir.
Le crédit pédagogique octroyé à la mémoire de l’apprenant doit beaucoup au détournement de la méthodologie de Socrate, initialement destinée aux adultes dotés de discernement : il s’agissait de créer les conditions d’un processus collaboratif, par lequel l’élève devenait le co-constructeur d’un savoir dont le maître n’avait plus l’exclusivité. En introduisant une technique de parturition intellectuelle novatrice, Socrate a produit une révolution égalitaire du processus de transmission : moins vertical et plus participatif.
Le problème affleure lorsque cette méthodologie de la redécouverte des trésors de la mémoire, est appliquée à un jeune, dont le cerveau tient de la page blanche. Il en résulte que l’apprenant ne se hisse plus vers le savoir, mais que le savoir se ratatine au niveau de ses lacunes, pour lui donner l’illusion de savoir : le délitement du niveau de culture générale est acté, et Socrate n’est pas coupable de l’usage dévoyé de son génie heuristique.
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