« L’homme politique s’oppose à tout effort humain positif, dans la mesure où son existence même dépend de l’existence des problèmes non résolus. »
Reich exagère, comme toujours. Mais l’homme est un animal, et un animal spécial : il est l’animal des solutions. Qui peut utiliser de deux manières exclusives cette capacité à trouver des solutions, grâce à son imagination et au langage, qu’il est le seul dans le règne animal à maîtriser : pour la vérité, c’est-à-dire la connaissance, ou pour le mensonge et la manipulation, c’est-à-dire le pouvoir. Connaissance des autres pour les autres, pouvoir sur les autres contre les autres.
Il y a dans nos sociétés une guerre non-déclarée entre vérité et mensonge, entre connaissance et pouvoir, ce que les esprits simples de l’an 1000 appelaient combat entre Dieu et Diable. Aujourd’hui, on pourrait croire, vu le développement théorique de l’intelligence générale, ce combat dépassé ; or on remarque que le politique ne donne jamais de pouvoir au scientifique, qui lui en fournit pourtant, par le biais de ses découvertes permanentes et enrichissantes. La science est, malgré elle, au service du pouvoir, qu’il prenne la forme d’un État ou d’une grande firme privée.
Nous vivons, alors que les hommes politiques n’ont jamais rien découvert – sauf dans le registre de la manipulation et du transport des foules – dans une société non-scientifique, à l’inverse de ce que croient beaucoup de « penseurs ». Nous évoluons dans une société politique, où le mensonge volontaire ou involontaire est roi, car le pouvoir ne se partage pas, sinon par la force, ou la négociation (elle aussi forcée). Si le soubassement de la société est scientifique, par l’ensemble des constructions physiques et des mécanismes complexes qu’elle suppose (habitation, eau, électricité, transport, médecine, technicité, informatique), elle n’est pas dirigée par des scientifiques et encore moins par des ingénieurs, qui appliquent les découvertes.
Les adeptes de la connaissance officielle sont les prisonniers des politiques, qui ont la main sur les investissements en matière de recherche et de développement de l’intelligence, c’est-à-dire les enseignements en tout genre. En France, ce budget est une prérogative de l’État, et ce dernier « appartient » aux hauts fonctionnaires, inamovibles derrière les politiques qui vont, viennent et reviennent. Mais ces hauts fonctionnaires, pourtant souvent formés dans le moule scientifique (X, Centrale, Mines, Ponts), sans oublier l’ENA, sont bien in fine des politiques. Les vrais découvreurs se heurtent d’ailleurs toujours à ce pouvoir, lorsque leurs découvertes ne vont pas dans le sens désiré par les politiques.
Exemple : le gamma-OH de Laborit, un antipsychotique révolutionnaire en psychiatrie, devient la « drogue du bonheur », rapidement interdite. Des individus réconciliés avec eux-mêmes, déconnectés des interdits sociaux, à l’agressivité autocontrôlée, cela ne pouvait cadrer avec une société productiviste qui valorise la compétition et l’agressivité interindividuelle.
Connaissance, découverte et solution d’un côté, mensonge, manipulation et pouvoir de l’autre. Les hommes politiques sont antinomiques des scientifiques. Vous ne trouverez aucun scientifique qui soit politique, car quand on sert la vérité, on ne peut qu’exclure le mensonge. On pourra citer le généticien Axel Kahn, passé du PC au PS, mais dont le poids politique ne dépassera jamais celui d’un des 18 premiers secrétaires fédéraux socialistes qui siègent au Bureau national. Des apparatchiks.
Anecdote de la journaliste Catherine Nay sur Sarkozy :
« Il est fasciné par la réussite, il a lu toutes les grandes biographies, les grands héros de notre histoire. Dès que quelqu’un réussit, que ce soit en sport, dans l’entreprise, il étudie les biographies, il étudie le parcours, il étudie la façon dont ils ont réussi, et il veut les rencontrer. » (Esprits libres, France 2, 19 janvier 2007)
Ce que les électeurs ne savent pas forcément, c’est que les hommes politiques, n’ayant pas le temps de lire, sont de fait rarement cultivés, même si la culture n’est pas une preuve d’intelligence (il y a une culture stérile). D’ailleurs, cette carrière très spécialisée ne l’exige pas. Ce ne sont pas les ouvrages ingurgités et régurgités à toute vitesse pendant leurs études supérieures entre 18 et 25 ans qui y changeront quelque chose. De grands techniciens du mensonge doués de réelle inculture, produits supérieurs mais fidèles de la sous-culture généralisée (et trônant dessus), qui prônent logiquement, pour leurs « administrés », l’oubli, la crédulité, et le divertissement. Ces trois petits cochons qui vont si bien ensemble. C’est plus simple, quand on veut dominer. Cependant, dominer des abrutis a ses limites, et ses risques.
Amnésie, crédulité, divertissement. Il faudra donc être l’inverse : dans la profondeur (mémoire et histoire), la lucidité, et l’humour… car l’humour est le contraire du divertissement. Le tout apporté par le livre et l’auto-connaissance via Internet. Il est faux de dire que les hommes politiques sont stériles, ils produisent une chose : du mensonge émotionnel provisoire efficace, destiné à conforter la structure de pouvoir, et leur position dans cette structure. Ceux qui objecteront qu’il y a et qu’il y eut des hommes politiques professant la vérité ont raison. Mais ces derniers n’ont jamais régné (Le Pen), et s’ils ont régné, ce ne fut jamais longtemps (Lumumba), ni facilement (Chavez).
Notre société, et ceux qui la composent, iraient peut-être mieux si la connaissance était l’objectif numéro un des politiques, la lutte contre le chômage étant un leurre, les hommes politiques luttant d’abord pour conserver leurs prérogatives, dont la principale est cette présence écrasante dans les médias. Un changement de paradigme qui ne risque pas d’arriver, par définition, comme nous l’avons vu. En 40 ans, les scientifiques français ont produit le Concorde, le TGV, les centrales nucléaires, une médecine de pointe… Pendant ce temps, les politiques ont menti aux sidérurgistes, ouvriers, chômeurs, familles, immigrés… bref, à tout le monde. Ce ne sont donc pas les politiques qui font avancer les choses – sauf quand ils sont accidentellement visionnaires et décisifs – mais bien les scientifiques. Nous ne parlons pas de ceux qui rendent la vie plus douce, ces milliers d’associatifs qui améliorent le quotidien de chacun, les services sociaux (soupapes de la crise), les humanitaires (quand ils ne sont pas manipulés par les politiques). Et les religieux, qui consolent ou épaulent encore des millions de Français. On classe l’assistance publique, le système de soins, dans le giron scientifique. C’est bien parce que la médecine française est universellement reconnue comme excellente, que nous sommes bien soignés… malgré les coupes franches des politiques dans le budget des hôpitaux.
Mais laissons là ces querelles matérialistes, et élevons le débat. L’homme épris de vérité voit bien que dans son quotidien la vérité ne triomphe pas, ou difficilement : globalement, la justice donne raison au plus riche (l’aide juridictionnelle accordée aux plaignants désargentés n’existe que dans les textes), la police poursuit la délinquance mineure, en actes et en âge (il y a corrélation), les médias ont perdu leur crédibilité à force de servir les puissants contre les non-puissants (qui étaient pourtant leur clientèle !), et la politique traditionnelle se noie dans ses fausses oppositions et ses propres contradictions. Le dégorgement des affaires depuis deux décennies prouvant à la fois que la démocratie semble fonctionner (l’information sur les dominants commence à circuler), mais qu’elle est aussi limitée : le principe de la juteuse domination sur les dominés n’est pas remis en cause.
Tant que la vérité ne sera pas au-dessus des dirigeants, les injustices perdureront. D’aucuns diront que certains hommes politiques recherchent justement cette justice, mais c’est une illusion : ils mentiront comme les autres, une fois au pouvoir, car le pouvoir (secrets d’État, manœuvres géo/politiques) oblige à mentir pour se maintenir, l’Histoire le prouve.
Alors, que faire ? Laisser le pouvoir politique actuel – la dite démocratie – se réduire lentement, tandis que monte le niveau de lucidité général, et construire une politique basée sur la connaissance à côté ? Faut-il alors abandonner les rênes de la nation à la clique politique actuelle ? Laisser cette caste condamnée par le progrès moral diriger des condamnés à la soumission ? Abandonner les naïfs dans les filets des cyniques ?
D’’ailleurs, que ou qui guident-ils encore ? Depuis que le pouvoir politique national – battre monnaie, décider de l’économie, et faire la guerre, comme dirait Marie-France Garaud – a été aspiré discrètement par les organisations supranationales (européenne et internationale), qui sont elles-mêmes les masques de lobbies surpuissants comme la finance transnationale, les multinationales des matières premières et les groupes pétroliers ou militaro-industriels (voire pétro-militaro-industriel comme au Texas), on peut se poser la question. Et mesurer le terrible rapport de forces : nous, les gens, avons perdu le pouvoir. Pouvoir qui est l’exacte sanction de l’ignorance et de la peur des dominés : il tient sur ces deux piliers. Il faudra donc frapper le colosse aux jambes, aux pieds… d’argile.
« Nos » politiques ont théoriquement la main sur le Trésor national, mais un droit de regard supérieur de la Cour des Comptes en amont limiterait drastiquement leurs options, même si cette instance est encore une émanation des politiques : elle dénonce le petit pour laisser passer le gros. Techniquement, tout est possible. Mais il faudra aux guerriers de la connaissance une volonté… toute politique, pour changer les choses. Vu la dégradation de la politique classique née à la fin du XIXe siècle, seule une connaissance précise du pouvoir et du rapport pouvoir/peuple épargnera au pays un retour programmé à la barbarie, qui n’est pas pour déplaire aux puissances dominantes.
Si ces puissances ont soumis la science à leurs intérêts, ce n’est pas le cas de la spiritualité, qui n’a pas besoin de budget, et n’est donc pas achetable. Au contraire, l’inflation de la propagande (ou discours politique paralysant récurrent) a réveillé une foi… lucide, qui est justement incrédulité ! Le renouveau chrétien et la montée de l’islam politique en France ne sont pas le fait du hasard ou un effet mécanique de la hausse du nombre d’immigrés : c’est aussi la réponse humaine au matérialisme brutal imposé par les vainqueurs.
Cette spiritualité, garante de la morale qui permet aux humains de ne pas s’entretuer, au sens propre (toute guerre est une guerre civile) et au sens figuré (compétition/domination), s’oppose logiquement à un pouvoir qui tire profit de la destruction morale de l’individu, cette morale qui le relie aux autres individus, et qui fonde la solidarité. Ce n’est donc pas un hasard si l’élite utilise les médias pour dé-moraliser et dé-solidariser les Français, pointant du doigt leur cimentation religieuse en l’associant à un fascisme rétrograde : pétainisme catholique et islamo-fascisme. Qui seraient liberticides pour l’individu-roi, promu avec une démagogie perverse star du système. Une glorification systémique de l’individu, faux roi mais vrai larbin, réduit à sa consommation in/out, à sa thermodynamique désespérante, comme fossoyeur du collectif, du bien commun, de l’acte gratuit, de la transcendance, notre plus grande richesse.
L’union de la connaissance et de la spiritualité, de celle qui ouvre et de celle qui élève, de la vérité abordable et de la vérité supérieure, est donc non seulement possible, nécessaire, mais aussi logique, naturelle. Ceux qui sauront les associer ne pourront plus être dominés, et seront les membres affranchis d’une nouvelle société, et d’un nouveau royaume. Voilà une politique avec des fruits non pourris.