Voici l’appel que Donald Trump devrait lancer ce matin : « Qu’on m’apporte la tête de Jeff Bezos ! » [1]. C’est le bon moment frapper un bon coup dans la bagarre contre la Lügenpresse. Tous ses efforts pour retenir le vaisseau en perdition de la société US sont vains, tant qu’il prend l’eau par le fond. Si les fake news applaudissent toutes les ordures qui le chahutent à chaque nouveau décret présidentiel, que restera-t-il de ses décrets : des curiosités pour collectionneurs. Des dépouilles bizarres de la présidence abrégée de Donald Trump. Les médias spécialisés dans les bobards ont si bien ridiculisé le POTUS que ce colosse à la belle mèche flamboyante a déjà rétréci à la taille d’un petit doigt lilliputien.
Trump ne peut pas pas s’en tirer par des initiatives en politique étrangère. Oubliez la Corée du Nord, qui s’y frotte s’y pique, c’est un hérisson, on ne sait pas par où l’attraper ni pour quoi faire. Tout ce que Kim veut signifier à Trump c’est : « Je ne suis pas une cible facile, va te faire voir ailleurs ». La Corée du Nord est-elle dangereuse ? Seulement pour ceux qui veulent lui marcher sur les pieds.
Le personnage de P.G. Wodehouse, Mr Mulliner, discutait avec le lobby anti-tabac : « Ils viennent me dire que s’ils mettent deux gouttes de nicotine sur la langue d’un chien, l’animal clamse aussitôt ; mais quand je leur demande s’ils ont déjà essayé ce truc enfantin : ne pas mettre de nicotine sur la langue du chien, ils n’ont rien à répondre. Ils sont abasourdis. Et ils repartent en marmonnant qu’ils n’y avaient jamais pensé avant ».
C’est un schéma tout à fait valable s’agissant de la Corée du Nord. Vous n’avez qu’à essayer le truc enfantin de ne pas interférer avec ces gens, de ne pas leur envoyer de troupes, de bateaux ni d’avions. Si vous voulez vraiment obtenir quelque chose de la Corée du Nord, déplacez vos troupes et envoyez vos flottes aériennes ailleurs, par exemple à Norfolk en Virginie ; elles seront bien plus appréciées là-bas. Et on vous félicitera pour votre sagesse, aussi bien chez les Sud-Coréens que chez les Japonais, sans parler de votre base sociale aux US.
Les média-menteurs vont sûrement dire que vous avez eu les pétoches et que vous avez pris la fuite devant le gros Kim. Mais ils vont dire quelque chose de répugnant de toute façon. Et si vous alliez déclencher un holocauste nucléaire sur la Corée, ils écriraient : il l’a fait parce que les agents du FBI de Mueller ont fouillé le domicile de Paul Manaforte et ont découvert que c’est un espion russe.
Donald, écoute : ils n’ont prêté aucune attention à la grande victoire que vous aviez remportée la veille, quand ton secrétaire d’État et toi avez convaincu les Russes et les Chinois de voter pour le projet de sanctions contre la Corée au Conseil de sécurité. C’était une de ces victoires diplomatiques qui comptent, mais la Lügenpresse n’en a pas touché mot.
Venons-en au fait. Ton ennemi ce n’est pas Kim, ton ennemi, ce sont vos médias qui donnent le la. D’accord, ce ne sont pas les seuls, mais si cet ennemi-là, tu le terrasses, les juges obéiront, les députés rentreront dans le rang, Mueller retombera dans l’oubli. Il y a juste un problème, c’est comment maîtriser cet ennemi têtu.
Tu as essayé de créer la Trump TV avec de vraies actualités, et tu as été à juste titre ridiculisé de tous les côtés. Même si Kayleigh McEnany n’est pas désagréable à regarder, ce style de TV est démodé jusqu’en Arabie saoudite. Les Saoudiens préfèrent regarder les émissions interdites, sur Al Jazeera.
Tu ne peux pas bombarder le quartier général du New York Times ou de CNN. Est-ce que ça veut dire que tu es vulnérable sur tous les flancs ? Oui, bien sûr, tant que tu ne provoques pas une certaine trouille chez les maîtres du discours et leurs alliés. Ton compère Poutine s’était trouvé jadis dans la même situation que toi maintenant, jusqu’au jour où il a fait arrêter l’oligarque Mr Khodorkovsky, en 2003. Quand l’homme le plus riche de Russie s’est retrouvé en taule pour dix ans, les seigneurs de la presse russe ont vu la lumière. Ils ont compris que le jeu devenait dangereux.
La classe médiatique américaine n’est pas différente. L’épouse du colonel et Judy O’Grady sont des sœurs sous leur peau, disait Rudyard Kipling. Montrez leur un patron de médias rossé à mort, et elles deviendront beaucoup, beaucoup plus raisonnables.
Et là, je me permets de te suggérer d’aller voir du côté de Jeff Bezos, avant toute chose et sans plus attendre. C’est lui, le père de la crise nord-coréenne, qu’il en soit la première victime. C’est lui qui a prétendu que les Coréens fabriquaient ces ogives nucléaires qui ont déclenché la crise. Et il a fait ça, le salaud, juste le jour de l’anniversaire de la pire atrocité de tous les temps, la crémation d’Hiroshima.
S’il doit y avoir une guerre nucléaire, on pourra l’appeler la guerre de Jeff Bezos.
Jeff Bezos est l’homme le plus riche de la planète. S’il y a quelqu’un qui mérite d’être haï, c’est bien lui. Saute-lui dessus, Donald, fais-lui la peau. C’est une cible facile, grâce à la Corée du Nord. Un nouveau-riche, sorti de nulle part. Pas de vieille fortune chez ses aïeux, pas de vieille camaraderie d’anciens copains de promo. Qui voudra le soutenir ? La CIA ? Coupe donc dans le budget de la CIA, prélève la somme exacte qu’ils paient à Bezos, et les barbouzes comprendront le message.
Mets le grappin sur ses annonceurs publicitaires. Chasse ses reporteurs de la Maison-Blanche. Demande, que dis-je, exige du FBI qu’il fasse une enquête sur ses agissements. Un type riche comme Bezos a forcément commis des tas de saletés, aucun doute là-dessus. Si le FBI n’est pas capable de les découvrir, ses crimes, saque le chef du FBI, et prends quelqu’un qui saura y faire. Attire sur sa tête toute la haine du monde. Et quand il sera en route pour la prison, tu le découvriras : les autres vont devenir bien plus prudents, et tenir leur langue. Et encore mieux : confisque-lui ses profits mal acquis et reverse-moi tout ça dans un bon système de soins pour chaque Américain. Ça devrait suffire. Il est probable que tu pourras payer tous les loyers des étudiants au surplus. Et là, tu seras en mesure de procéder à tes réformes si nécessaires.
Mais le plus grand crime de Bezos ne relève pas de la loi. Il a fait main basse sur le Washington Post, massacré la réputation du glorieux journal de jadis, le journal de Bernstein, de Woodward, de Seymour Hersh et de tant d’autres magnifiques journalistes et reporteurs américains. Il a fait d’un vénérable quotidien un torchon de propagande en nommant un chef de campagne à la place d’un professionnel. Si Lenovo n’a pas le droit d’utiliser le nom d’IBM, alors qu’ils ont acheté la firme, Bezos ne devrait pas être autorisé à utiliser le nom de ce bon vieux Wash Post. Il n’a qu’à l’appeler le Bezos Post.
On l’aura compris, la campagne contre Bezos, ce n’est pas contre la liberté de la presse, au contraire, c’est pour sauver la presse de la pompe à phynance.
Allez, Donald, démarre donc chacune de tes journées avec un grand cri : « Qu’on m’apporte la tête de Jeff Bezos ! »