Le premier rendez-vous est décisif, comme nous l’avons appris au collège, en courtisant Alice ou Nancy. La prochaine première rencontre entre deux présidents qui sont les super-héros de notre génération, va planter le décor pour les prochaines années. Comment cela va se passer, qu’est-ce qu’ils vont se dire ? Les conséquences en seront heureuses ou fatales.
Tous les deux sont les meilleurs dirigeants que deux grands pays aient produits depuis bien des années. La Russie n’avait pas eu de dirigeant de cette stature, et avec un tel soutien populaire depuis Staline ; un sondage récent l’atteste : pour choisir la personnalité la plus haute dans l’histoire, des Russes très divers ont placé Poutine et Staline en tête, avant Pouchkine, le poète russe qui occupe la place que les Anglais réservent à Shakespeare. Trump, avec toutes ses carences, est un grand et bon dirigeant ; dès le démarrage de sa carrière d’homme d’État, il dépasse d’une bonne tête ses prédécesseurs depuis Richard Nixon.
Ils sont extrêmement différents. D’abord par leurs expériences respectives. Poutine dirige son pays depuis environ dix-sept ans ; il a rudement appris les astuces et ruses de jeu du pouvoir, étant au départ le prête-nom des sept banquiers juifs qui avaient privatisé la Russie dans les années quatre-vingt-dix, puis devenant un autocrate pleinement indépendant, comparable à l’avant-dernier tsar Alexandre III, ou à Napoléon III. C’est un vrai dirigeant sage, selon les critères de Confucius, qui cache toujours sa volonté acérée dans un gant de velours, toujours modeste, modéré, tempéré, ne se laissant jamais aller à des accès de passion. Il ne perd jamais le contrôle de lui-même, et les sages nous disent que c’est la chose la plus difficile à contrôler, et la plus sublime. C’est aussi un homme d’État responsable et fiable ; sa parole vaut engagement : il a tenu les promesses ridicules qu’il avait faites à la famille de Eltsine. Et il est aussi très populaire parmi ses sujets.
Trump au contraire vient tout juste, dans son âge mûr, de s’embarquer dans un périple d’homme d’État, après toute une vie à rechercher les plaisirs et les succès en affaires. Il manque cruellement d’expérience, sa main mise sur le pouvoir est précaire. Il est entouré par des ennemis déclarés et cachés, par des gens qui prient pour qu’il se casse les dents. Ses propres services secrets sont dans l’opposition, ainsi que les médias et son propre parti. Et sa popularité n’est pas assurée.
C’est quelqu’un de passionné et de flamboyant, qui a tendance à donner libre cours à ses sentiments et émotions. Il est extroverti, tandis que Poutine est introverti. C’est un homme de scène, alors que Poutine avait travaillé dans l’ombre, en James Bond russe sur les bords.
De telles différences pourraient constituer le socle d’une belle amitié soudée par la complémentarité. Si ces deux personnages aux talents si différents devaient travailler ensemble pour un but commun, ils guideraient l’humanité et nous sortiraient de l’impasse actuelle. Leurs différences sont celles de « deux durs face à face, venus des deux bouts du monde » [1].
Seulement voilà, tous les deux sont gravement handicapés. Trump par la campagne empoisonnée insinuant qu’il a été élu grâce à l’interférence russe, et qu’il fricote avec la Russie ; quelle que soit la conclusion, si elle ne débouche pas sur une frappe militaire, le New York Times et CNN vont croasser sur le mode : il a vendu les joyaux de la couronne. Poutine de son côté est handicapé par le fait que la Russie est plus faible que le US en tous sens sauf en matière d’armement apocalyptique. La Russie est encerclée par des bases militaires américaines, le budget militaire américain est dix fois plus important que le budget russe. Poutine a très peu de marge de manœuvre pour un retrait et il pourrait bien répondre par la force à une provocation.
Si Poutine devait dire le fond de sa pensée à Trump, ce qui est très improbable, parce que leur conversation va certainement être sabotée, enregistrée et fuitée par la NASA aux médias hostiles, voici ce qu’il lui dirait :
Tu vas pouvoir réaliser tous tes vœux, Donald, rendre sa grandeur à l’Amérique, atteindre tous les objectifs réalistes des US, si tu t’inspires de ton grand prédécesseur Richard Nixon, le dernier président américain indépendant. Même aujourd’hui, après des années d’inflation, un ouvrier américain ramène à son foyer le même salaire que son père au temps de Nixon. S’il y a eu un âge d’or pour les Américains, c’était bien à ce moment-là. Nixon a créé les bases de la prospérité, il a dessiné pour le long terme la politique étrangère des US, une politique qui reste valable et fonctionnelle, malgré les ajustements de rigueur, basée sur le commerce chinois et le pétrole arabe. Nixon a mis fin aux guerres en Asie du Sud Est, et a amorcé la détente.
Nixon a fait un virage complet au Viêt Nam. Il a mis fin à la guerre qui avait enflé pendant des années, sans la gagner : il a reconnu la futilité de la guerre. Toi, tu peux faire la même chose avec les guerres du Moyen-Orient que ton pays livre depuis trop longtemps. Ce sont des guerres pour rien. Tout ce que tu veux obtenir en Syrie, tu peux le décrocher sans tirer un seul coup de feu, sans envoyer un seul soldat.