Laurent Mouchard-Joffrin attaque d’entrée : pour lui, tout ce qui n’est pas estampillé version officielle dans l’assassinat de JFK est marqué au fer rouge du complotisme. Sous le titre « JFK : trois coups de feu, combien de théories fumeuses », le patron de Libé développe la théorie anticomplotiste la plus hilarante depuis le rapport truqué de la commission Warren. S’il n’y avait pas eu autant de morts – une bonne trentaine en 10 ans – autour de l’assassinat du président Kennedy, on pourrait rester dans le domaine de la rigolade.
On se demande quel flingue et tenu par qui le directeur de la rédaction et de la publication (deux postes au lieu d’un) du quotidien Libération a contre la tempe pour écrire les billevesées qui vont suivre. Ce qui ne veut pas dire, attention, que nous sommes partisans de l’inverse, de théories vaseuses qui ne tiennent debout que par le fantasme.
L’article illustre l’attente de nombreux journalistes, écrivains et curieux devant l’ouverture, sur décision de Donald Trump, d’une partie des archives classifiées du FBI et de la CIA sur l’affaire JFK. D’entrée, Mouchard donne le ton, et ne laisse aucune chance à la moindre théorie alternative, c’est-à-dire non-idiote :
« Enfin, saura-t-on qui a vraiment assassiné le président américain ? Oswald seul, ou bien une ténébreuse coalition d’intérêts qui mêlerait, au choix, la mafia, les exilés cubains anticastristes, la CIA, le Pentagone, le FBI de J. Edgar Hoover, ou d’autres puissances de l’ombre ? »
Pour lui, Oswald a pu faire le coup tout seul. Tous les amateurs de JFKisme savent très bien que de là où il était, le « pigeon » ne pouvait pas allumer le président dans un laps de temps très court avec une pétoire peu réglable, et avec une telle efficacité. Mais voilà la conclusion de l’inspecteur Mouchard, qui n’en démord pas :
« Pour l’instant, tout désigne Oswald. Cet ancien marine, instable et violent, entraîné au tir, déjà auteur d’une tentative d’assassinat sur le général Walker quelques semaines plus tôt, dont sa femme Marina dira qu’il était à la recherche d’un rôle historique, a bien tiré trois coups de feu du cinquième étage du dépôt de livres au passage du cortège présidentiel. Et donc qu’il n’est pas le “pigeon” qu’Oliver Stone décrit dans son film JFK, dont tous les historiens sérieux disent qu’il n’est qu’un assemblage des théories du complot présentes sur le marché. »
On vous passe sa démonstration, que le simple internaute un peu passionné a pulvérisée en lisant une demi-douzaine de bouquins sur l’affaire, et on ne parle même pas des vidéos bien ficelées. Mais Mouchard n’est pas fou, alors il pose la quetion d’un deuxième tireur éventuel. Il faut bien répondre aux questions des sceptiques, même si on les méprise... En un paragraphe, Mouchard abat la théorie du second ou de plusieurs tireurs. À moins que :
« Il faudrait un document irréfutable prouvant que ces expertises ont été manipulées… »
Car il se base sur les expertises de l’enquête officielle. Et c’est là où le bât blesse. Car si l’enquête est manipulée, plus rien ne tient. Après sa démonstration qui ne tient que sur le fil d’un fragile postulat, qui a été laminé depuis longtemps par des enquêteurs autrement plus sérieux que lui, Mouchard se lance dans la défense du rapport officiel, arguant que la fameuse « balle magique » – expression ironique qui signifiait qu’une seule balle ne pouvait avoir fait un tel parcours dans le corps du président – n’était pas si « magique » que ça et que :
« Les moqueries sur la “balle magique” ont fait long feu. À moins qu’un document déclassifié ne vienne ruiner ces conclusions, aujourd’hui très vraisemblables. »
On reste pantois : à chaque fois que la vérité officielle vacille, Mouchard invoque, à l’image d’un accusé invoquant le 2e amendement, l’absence de document classifié à ce propos. Il faudrait expliquer quelques règles de logique mathématique au patron de Libé, ce journal en perdition, à peine sauvé par les subventions de l’État et l’injection d’argent Rothschild puis Drahi. Il démontre que la version 1 est la bonne car les autres versions ne sont pas la version 1, tout simplement. Le doute qu’il exerce sur les versions alternatives, il ne l’exerce pas sur la version 1. Sinon, effectivement, tout s’effondrerait, il suffit de lire le livre de Jim Garrison, pour ne parler que de celui-là... Ainsi, Mouchard peut-il écrire tranquillement :
« Il est fort possible que le jeune marine [Oswald) se soit vanté, ici ou là, de vouloir frapper un grand coup et assassiner le Président. Mais cela ne prouve pas que son interlocuteur est membre d’un complot. Tout au plus qu’il a manqué de vigilance, s’il est un agent fédéral ou un membre de la CIA, pour n’avoir pas pris ces propos au sérieux. »
Enfin, nous arrivons au dernier paragraphe de la non-démonstration de Mouchard, qui est en fait une validation complète de la thèse officielle en l’absence de preuve d’un « complot » ou d’une « officine » de l’ombre, comme il dit. Histoire de dévaloriser toute explication complexe. La vérité est pourtant souvent complexe. Sauf pour les lecteurs de Libé. On se permet de publier – en soulignant les passages comiques en gras – le dernier morceau de mouchardage en entier, intitulé Pourquoi Ruby a-t-il tué Oswald ?, çar il vaut son pesant de subventions oligarchiques, ceci expliquant peut-être cela (hin hin hin) :
« Reste le mystère des mystères : l’assassinat d’Oswald par Ruby. Jacob Rubinstein, qui avait changé son nom en Jack Ruby, était un tenancier de boîte de nuit, naviguant dans un milieu louche et néanmoins proche de certains policiers de Dallas. On l’a dit lié à la mafia de Chicago, mais aucune preuve n’est venue étayer cette connexion. Instable, parfois violent, Ruby avait déclaré à des proches que l’assassinat du Président l’avait gravement perturbé. Paranoïaque, il pensait qu’un complot menaçait la communauté juive dont la famille Kennedy était le rempart. On a affirmé qu’il avait tué Oswald sur ordre pour l’empêcher de parler. Mais – premier fait établi – le dimanche matin, le transfert d’Oswald est annoncé à 10 heures. À cette heure, deuxième fait établi, Ruby est chez lui. Il se rend ensuite en ville pour envoyer un mandat à l’une de ses employées qui a besoin d’argent, ce qu’il fait – troisième fait avéré. Quand Ruby arrive, Oswald aurait dû être sorti depuis longtemps et ne jamais croiser sa route. Mais l’interrogatoire s’est prolongé : Oswald a plus d’une heure de retard. Attiré par une petite foule massée là, Ruby entre dans le garage où doit avoir lieu le transfert. Il voit Oswald, sort son revolver et le tue. Si Ruby avait préparé son coup, il serait évidemment arrivé avant 10 heures, pour être sûr de ne pas manquer Oswald. À moins qu’un nouveau document établisse qu’il a été introduit dans le parking par les autorités, ou bien qu’il était vraiment lié à des parrains de la mafia qui ont monté toute l’affaire… Il est fort possible, enfin, que les documents déclassifiés aient été tenus secrets pour camoufler les négligences des agences gouvernementales. Dans ce cas, ils sont intéressants mais ne viennent pas étayer la thèse du complot, au contraire… Car plus de cinquante ans après l’assassinat, aucun témoin crédible, aucun protagoniste, aucun enquêteur produisant un document, un fait vérifiable ou une histoire étayée, n’est venu dire “j’ai une preuve”, “j’en étais” ou bien “j’étais au courant”. Autrement dit, John Kennedy a bien été tué par un ancien marine un peu dérangé qui a agi seul et qui a lui-même été abattu par un tenancier de boîte de nuit paranoïaque. À moins qu’un document nouveau ne vienne ruiner cette conclusion rationnelle. »
Allez hop, on remballe les archives et on classe l’affaire, le détective Mouchard a trouvé le coupable : c’était bien Oswald ! Ça alors, tu parles d’une surprise ! Dormez braves gens, le marchand de sable est passé. Une scène de cinéma illustre à merveille la méthode mouchardeuse :
« Qui a volé ce poulet ? », demande le commandant du camp au garçon, après avoir abattu un détenu au hasard.
« C’est lui ! », crie l’enfant, en désignant l’homme fraîchement abattu.
Post scriptum
Dans Le Nouvel Obs en 2013, Laurent Joffrin défendait déjà mordicus la version officielle...