Marc Dugain sur RTL le 30 août 2017 (à 17’22) : « L’Amérique de Trump, c’est celle qui a tué les Kennedy »
(Pour voir l’émission d’Yves Calvi, cliquez ici)
Question : comment peut-on être un bon romancier historique si l’on est politiquement incohérent à ce point ?
Le 21 août 2017, l’écrivain Marc Dugain fait la promotion de son livre sur l’assassinat de Robert Kennedy dans l’émission 28 Minutes d’Arte. Aux commandes, Renaud Dély, socialo-sioniste de compétition, qui remplace la très bien-pensante Élisabeth Quin pour les vacances. Les deux chroniqueurs en plateau sont alignés sur toutes les thèses officielles possibles. La preuve, Marc Dugain y est présenté comme « paranoïaque » et « complotiste ». Imaginez qu’un écrivain de Kontre Kulture soit invité dans l’émission… Une vidéo qu’il n’est plus possible de visionner, elle émane pourtant d’une chaîne publique financée par nos redevances. Cependant, nous l’avons dérushée pour vous. Il ne reste que le portrait de Dugain.
Renaud Dély : « Est-ce que vous ne seriez pas un petit peu parano vous-même ? »
Marc Dugain : « J’espère bien… Dès le moment où vous vous intéressez à l’histoire et vous avez en vous la nécessité de la revisister et de la ramener à un éclairage différent de celui que nous proposent les politiques en particulier, il faut, il faut un ressort et ce ressort c’est forcément un petit peu de parano. Mais je pense pas être un grand paranoïaque. »
Camille Crosnier : « Et est-ce que vous n’êtes pas un petit peu complotiste ? Puisque vous, vous, vous expliquez que la, la, la, la CIA selon vous est euh, responsable, euh, derrière toutes ces affaires, des assassinats, est-ce que ça vire pas complotiste ? »
- Camille Crosnier multiplie les grimaces quand il s’agit de « complot »
Dély : « Sur l’assassinat de Kennedy vous êtes très affirmatif. Sur l’implication de la CIA… »
Dugain : « C’est tellement évident… Ce qui est incroyable c’est cette capacité, cette volonté qu’ont les États-Unis de ne pas faire la lumière sur leur histoire et je pense que ça leur pèse énormément. »
Crosnier : « Mais, y a pas de preuves ! »
Dugain : « Mais des preuves, on en a. Prenez le film de Zapruder… Vous voyez Kennedy qui avance, donc sur Elm Street et d’un seul coup la balle arrive, lui enlève la moitié de la tête derrière comme ça et sa tête part à gauche, c’est donc impossible que quelqu’un lui ait tiré dans le dos, les tueurs venaient forcément de l’avant droit, c’est vraiment de la pure géométrie, donc rien que ça n’est pas dans le rapport Warren et à partir de ce moment-là le mensonge se déroule pendant des années et des années. »
Dély : « 54 ans après l’assassinat, de John Fitzgerald Kennedy, effectivement il y a rien qui en tout cas ait validé la thèse du complot, d’implication de la CIA. Je suis pas sûr qu’on résolve tout à fait l’affaire Kennedy, l’assassinat de Kennedy ce soir mais vous évoquiez justement le fait que 54 ans après les Américains n’ont pas résolu d’après vous cette histoire-là, aujourd’hui l’Amérique de Trump c’est.. aussi un sujet de roman Trump, c’est une autre Amérique ? Qu’est-ce que ça incarne à vos yeux vous qui êtes justement américanophile comme vous le disiez tout à l’heure ? »
Dugain : « Je pense que l’Amérique de Trump ce sera intéressant de l’analyser a posteriori parce que pour l’instant on n’a pas grand-chose à part cette certitude qui m’a été confirmée par un haut dignitaire américain cet été, que Trump est vraiment très très atteint sur le plan psychologique, mais à part ça si vous voulez l’appareil d’État lui, fonctionne derrière donc ils arrivent à peu près à le maîtriser mais c’est évidemment incroyable qu’une démocratie comme la démocratie américaine arrive à, à, à, à porter à ce niveau-là du pouvoir des gens comme Trump qui sont finalement des populistes pas très intelligents et, et, euh, assez dangereux. »
Dély : « Alors justement la politique, la conquête du pouvoir, l’état de santé de la démocratie ça nourrit votre œuvre depuis déjà plusieurs de vos romans et vous êtes un écrivain qui aime tellement la politique qui s’y intéresse tellement Marc Dugain qu’il vous arrive Camille, qu’il arrive à Marc Dugain ben de s’engager aussi franchement en politique. »
Crosnier : « Oui et vous dites assez souvent d’ailleurs que le rôle des écrivains comme celui des journalistes ben c’est un rôle de contre-pouvoir et c’est pour cela d’ailleurs que vous avez refusé paraît-il d’être candidat en janvier, c’est François Bayrou qui vous avait proposé c’est bien ça ? »
Précisions sur la thèse du « complot »
Dans le doute, nous avons interrogé Laurent Guyénot à propos de la position officielle de l’État américain sur la thèse du complot dans le cas de l’assassinat de JFK. Voici sa réponse.
En fait, il n’y a pas de « thèse officielle ». Il y a la thèse de l’exécutif US – celle de la commission Warren – qui s’appuie sur le FBI : un tireur unique, pas de complot.
Et il y a les rapports des diverses commissions sénatoriales des années 70 et 90, dont l’un conclut qu’il y avait nécessairement un second tireur, donc complot. Mais motus sur les comploteurs : c’est à partir de là que la grande presse a validé la thèse (minimaliste) du complot… impliquant la « mafia » (mobsters).
Les rapports des commissions sénatoriales Church committee et House Select Committee on Assassination critiquent le rapport de la commission Warren, mais ça n’a pas été plus loin.
Il y a donc, sur le plan « gouvernemental », contradiction entre la position de l’exécutif, inchangée depuis Lyndon Johnson, et les conclusions des diverses commissions sénatoriales (qui n’engagent qu’elles, et dont l’exécutif se fiche).
Voici l’extrait du livre de Laurent Guyénot sur JFK :
Dans les années 70, le scandale du Watergate motiva la formation d’une commission sénatoriale chargée d’enquêter sur les agissements illégaux de la CIA, le Church Committee, puis une autre sur les assassinats de John Kennedy et Martin Luther King, le House Select Committee on Assassinations (HSCA). Mais en raison d’obstacles juridiques, de pressions et d’une nouvelle vague de décès parmi les témoins clés (dont six personnalités du FBI), les rapports de ces commissions n’aboutirent qu’à de timides remises en question ; au moins fut-il formellement établi par le HSCA qu’Oswald n’était pas le seul tireur, que par conséquent « John F. Kennedy a été probablement assassiné à cause d’un complot », que la Commission Warren « avait omis d’enquêter sur de possibles complots » et que la CIA « avait été défaillante dans le partage de l’information ».
Retour à 2017, Dugain et Arte. On apprend que Macron est le premier président en exercice pour qui Dugain a « une réelle estime ». On a le droit d’être libéral, mais à ce niveau de connaissance de la politique américaine (et française), on ne s’étonne plus des contradictions de l’écrivain. Une contradiction ou une absurdité (démonstration par l’absurde) en mathématique invalide le postulat ou la proposition de départ. C’est peut-être pour cela que les derniers livres de Dugain sont inaudibles, alors que sa Malédiction d’Edgar était intéressant. On entrait dans l’appareil d’État profond.
Est-ce le fait de vivre dans le luxe, entre sa villa magnifique de Dordogne, ses 73 hectares de forêts et ses chevaux, qui l’engage du côté du Système et de ses interprétations bancales, c’est-à-dire cette théorie du semi-complot ? Le reporter du magazine Lire a beau dénoncer l’intégrale de Dirty Harry (une preuve de droite) trônant dans la bibliothèque de la demeure de l’écrivain, on voit chez ce dernier nulle trace de malpensance, de revisitation bouleversante, ou de paranoïa fertile.
Or pour travailler en Histoire, il faut un peu de toute cela, sinon on finit par raconter des histoires pour enfants comme ce pauvre Franck Ferrand sur Europe 1. Les mauvais esprits diront que le premier job de Marc a été expert comptable, mais tout le monde a le droit de changer. Dans le domaine du kennedysme, on remarque que la théorie du semi-complot ou du complot limité est désormais plutôt bien admise, mais que la pensée ne va pas plus loin, par exemple sur les véritables motivations politiques des assassinats il y a 54 ans [1], ou aujourd’hui sur la lutte impitoyable entre Trump et l’État profond US. Qui n’est pas encore une lutte à mort, même si la possibilité d’une élimination plane, selon Dugain (dans La Dépêche) :
« Les Américains sont pragmatiques. Se demander s’ils sont capables, la question ne se pose pas, ils l’ont déjà fait. Trump, il est cinglé, c’est une marionnette et ils arrivent quand même à le gérer. S’ils n’arrivaient plus à le gérer, ils ont la destitution (ses histoires avec la Russie ne sont vraiment pas claires). Et oui, un jour il peut y avoir un tireur isolé, un antiraciste fou qui lui tire dessus. Mais il faudra la complicité du Secret service. »
C’est là que Dugain atteint ses limites. Trump n’est peut-être pas Kennedy, mais déterminer que JFK a été éliminé par un complot organisé par une partie de l’appareil d’État et prendre fait et cause pour ce même appareil d’État 54 ans plus tard, ça pose un problème de cohérence. Et donc de crédibilité.
De plus, poser que les États-Unis sont une « démocratie » et évoquer deux coups d’État violents avec élimination d’un président (John en 1963) puis d’un candidat à la présidence (son frère Robert en 1968) en moins de 5 ans, ça ne manque pas de sel contradictoire.
Voici ce que Dugain répond, toujours dans La Dépêche, à propos de la vérité qui a du mal à sortir outre-Atlantique :
« Ce qui est intéressant avec la vérité sur la mort des Kennedy, c’est qu’elle gêne tout le monde. Elle gêne les Républicains, dont certains étaient derrière les tueurs, et qui couvrent ce coup d’État au nom du complexe militaro-industriel. Il y a aussi une conspiration du silence puisque les Kennedy ne veulent pas qu’on fasse la lumière sur ce qu’ils étaient : le père mafieux, l’argent sale… le priapisme de John qui était un type qui ne se contrôlait pas. Ce qui était extrêmement dangereux puisque n’importe quelle espionne pouvait en prendre le contrôle. Et pour les Démocrates, la vérité n’est pas bonne non plus à dire parce que Kennedy, est un des mythes démocrates. Les Républicains ne sont pas très fiers de la façon dont ont été éliminés les Kennedy, du rôle qu’a eu la CIA, qui montrerait qu’il y aurait un pouvoir aux États-Unis qui serait au-delà du pouvoir élu. Quand il y a un pouvoir qui est au-delà du pouvoir élu, il faut commencer à se poser des questions sur la démocratie. »
Alors ? Soit il y a un pouvoir profond, qui a éliminé les Kennedy, et qui contrarie la politique de Trump aujourd’hui, soit il n’y en a pas. L’appareil d’État, celui qui « maîtrise » ou qui « gère » Trump, un appareil qui n’a pas été élu, contrairement au 45e président des États-Unis, ne peut être qu’une émanation de cet État profond qui a éliminé les Kennedy. Soit Dugain a atteint son niveau d’incompétence, soit il n’ose pas briser les vrais tabous.