Pour remplir son rôle, une maison d’édition doit être libre et « résister à tous les conformismes ».
Vous vous souvenez que les éditions Gallimard envisageaient de rééditer trois pamphlets antisémites de Céline : Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les beaux draps. Non pas, bien sûr, pour faire l’apologie de l’antisémitisme ni même pour le plaisir de provoquer un scandale, mais dans une démarche historique et pédagogique, avec une préface et une analyse explicative.
Qu’importe ! Les réactions furent si vives que la célèbre maison d’édition fut contrainte de suspendre son projet. Momentanément. Dans un entretien au JDD de dimanche, Antoine Gallimard déclare qu’il n’a pas renoncé. « La raison de cette suspension est simple : on ne construit rien de valable dans un incendie, on ne peut pas se faire entendre dans un amphithéâtre en ébullition », explique-t-il. « Une de [ses] pistes de réflexion est d’associer [sa] maison à un institut de recherche ».
Il souligne « l’emballement médiatique » suscité à cette occasion et dénonce les « donneurs de leçons » qui prétendaient que « Gallimard était une maison nazie au catalogue antisémite ». Pour remplir son rôle, une maison d’édition doit être libre et « résister à tous les conformismes ».
Avec cet entretien, où l’éditeur exprime ce qui devrait paraître comme une évidence, la polémique risque fort de reprendre de plus belle. D’autant plus que, lors de son dîner annuel, qui se tiendra le mercredi 7 mars, en présence d’Emmanuel Macron, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) aurait l’intention de distribuer à tous les convives une plaquette intitulée Céline contre les Juifs ou l’école de la haine. Histoire de rappeler au président de la République et aux nombreuses personnalités invitées que Céline n’est vraiment pas fréquentable ?
Il ne s’agit pas de nier le caractère violemment antisémite de ces écrits. Mais est-ce une raison suffisante pour ne plus les éditer ? Vouloir interdire de telles œuvres, c’est leur faire de la publicité, attirer l’attention sur elles, susciter des lecteurs potentiels qui se demandent ce qu’on peut bien leur cacher. N’est-il pas préférable de les publier avec un appareil critique objectif ?
Tous ces censeurs du XXIe siècle, qui se réclament des Lumières, sont trop enclins à brûler, au moins symboliquement, les livres qui leur déplaisent. Au lieu d’affronter Céline, d’expliquer dans quel contexte il a pu écrire ces pamphlets, ils le mettent à l’index.
Quand Serge Klarsfeld, la LICRA ou le CRIF prétendent en interdire toute réédition, ils font paradoxalement preuve de défaitisme, ils parient pour la défaite de l’intelligence. Ce n’est certainement pas le meilleur moyen d’armer les esprits contre les préjugés.