Le meilleur Premier ministre que le pays ait jamais eu ; c’est ce qu’en disent ses nombreux supporteurs. Celui qui a tenu le plus longtemps, depuis Ben Gourion, le fondateur de l’État juif ; il a été aux commandes plus longtemps que Vladimir Poutine. Mais apparemment, il est sur les rails pour suivre son prédécesseur le Premier ministre Ehud Olmert en prison. Olmert a été relâché il y a six mois à peine après un séjour en taule pour corruption et obstruction à la justice ; c’est son tour, maintenant, il va tâter de la portion congrue des prisonniers, à la place du champagne rose qu’il affectionne tant. À moins que … ?
Cette histoire en boucle résonne de façon tout à fait familière aux oreilles américaines. Le chef de la police Ronny Alsheich a combattu Bibi aussi durement que Robert Mueller a combattu Trump, tandis que les médias israéliens se tenaient du côté de la police contre le Premier ministre, tout comme le New York Times du côté du FBI. Chaque accusation a fuité jusqu’à sortir dans la presse bien avant la première comparution. Le public a été bombardé d’accusations, jour et nuit. Ça ne s’arrête pas au Premier ministre, ça touche aussi sa femme, attaquée sans répit, une femme aux manières revêches et hargneuses.
Le modus operandi de la police israélienne ressemble fort aux méthodes du FBI. Trouver quelqu’un de plus faible, le mettre sous les verrous pour quelque bonne ou mauvaise raison, et le forcer à dénoncer son patron. Ce qui a été fait à Manafort et à Gates, c’est exactement ce qu’ont subi Shlomo Kilber et Ari Harow.
Au bout du compte, la police est parvenue à obtenir du premier cercle autour du ministre qu’il trahisse son bienfaiteur. Shlomo Filbert, directeur général des communications ministérielles a dû passer « deux nuits dans une cellule froide et puante en garde à vue », dit le journal Haaretz, et il a accepté d’incriminer Netanyahou.
Il m’est extrêmement difficile de plaider pour celui-ci. C’est celui qui a tué le processus de paix, qui a mis les Palestiniens en esclavage, qui torture Gaza, bombarde la Syrie et le Liban, a fait tout ce qu’il pouvait pour allumer la mèche de la guerre avec l’Iran. Cependant, il faut savoir qu’il y a une tradition juive de « l’apologia », autrement dit de la recherche de points positifs chez les pires.
On avait demandé à un rabbin de faire l’éloge de Theodor Herzl, le fondateur du sionisme, un personnage fortement détesté par les juifs orthodoxes de son temps. Il répondit : Herzl n’est jamais entré dans les WC en portant des phylactères ; il n’a jamais étudié le Talmud le jour de Noël ; et il ne se rasait pas le jour du sabbat. Ce sont autant d’agissements strictement interdits par la loi juive, et Herzl n’a commis aucune transgression de ces prohibitions (d’autant moins qu’il ne se rasait pas, n’étudiait point le Talmud et n’avait jamais, encore moins, porté des phylactères).
Un autre rabbin avait défendu Satan au sujet de sa persévérance pour tourmenter Job. Il disait : Dieu aimait Job, le goy épatant, et le préférait même à Abraham, le premier juif. L’intervention de Satan fit revenir la tendresse de Dieu sur Abraham ; ce qui était une bonne action, dans la mesure où cela ramenait l’attention de Dieu vers le peuple élu. Après avoir entendu cela, Satan se précipita sur le sage rabbin, et baisa l’ourlet de sa robe.
Dans l’esprit de ces rabbins avisés, je vais tenter de dresser une petite liste de points positifs en faveur du susdit Premier ministre.
Il n’a point touché de pots de vin dans la moindre acception de cette expression. Ce n’est pas un corrompu, porté sur l’argent facile ; ce n’est pas un prêcheur fastidieux en la matière non plus certes, mais les hommes politiques le sont rarement.
On l’accuse d’avoir pris du bon temps et d’avoir accepté les cadeaux du milliardaire israélien et ex-espion Arnon Milchan. Mais c’était exactement la chose à faire dans le cas d’un homme qui a produit des films pro-israéliens et fait beaucoup pour l’État d’Israël. Tout autre Premier ministre israélien aurait agi de même, et apprécié ses cigares généreusement offerts et son bon whisky. Netanyahou a tenté de promouvoir une réglementation qui aurait pu bénéficier à Milchan, mais ce décret aurait été profitable pour tout riche investisseur juif en Israël, pas seulement pour Milchan.
Netanyahou est accusé d’avoir « aidé » les patrons des médias et de leur avoir demandé une couverture de presse favorable. Ceci ne me scandalise pas outre mesure : tout le monde en fait autant. Netanyahou avait le même problème que Trump : les médias lui sont universellement hostiles. Ils ne sont pas objectifs ; les médias ont tout fait pour avoir la peau de l’un et de l’autre, en répandant des mensonges ou en exagérant des transgressions mineures de leur part. Pour exercer le commandement de façon efficace, Netanyahou avait besoin d’une couverture positive, mais ils avaient des préjugés contre lui, et une hostilité qui l’a forcé à user de ce subterfuge.
Il y a des quantités de ragots sans fondement relevant de la pingrerie, sur M et Mme Netanyahou : ils auraient grevé le budget de l’État avec leurs frais de bouche, et en surpayant leur électricien ; ils ont aussi rapporté les bouteilles vides consignées et se les sont fait rembourser, mais sans reverser la somme correspondante à l’État. Le procureur général en a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas de preuve qu’ils aient eu connaissance de ces minuties ménagères.
Des années plus tôt, une personne proche du Premier ministre avait sondé un candidat pressenti pour le poste de procureur général sur le cas de Netanyahou. Cela avait été présenté comme une tentative pour vendre ce poste élevé en échange de l’abandon des poursuites ; mais c’était une précaution raisonnable. Dommage que Donald Trump n’ait pas « sondé » Sessions sur la question du Russiagate avant de le nommer.
Conclusion, malgré beaucoup de bruit, il n’y a pas grand-chose de solide contre le Premier ministre, mais il a déjà été jugé par les médias, et déclaré coupable. Et pourtant, Bibi n’est pas encore inculpé, même si le chef de la police a recommandé de le traiter en prévenu. La décision relève du procureur général. Il va probablement se donner un délai tant que Ronny Alsheich, le policier en chef, n’aura pas trouvé un moyen pour faire pression sur le dit procureur.