Qu’on les considère comme des flux naturels ou comme des crises exceptionnelles, les migrations de personnes infortunées vers les pays développés mettent les zones de frontière en tension permanente. Une situation instable à laquelle les pouvoirs publics des terres convoitées répondent chacun à leur manière, avec un net durcissement des pratiques ces derniers temps.
Océanie
Le 20 juillet dernier, le gouvernement australien serrait la vis en matière d’immigration clandestine en signant un accord controversé avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée [1]. À l’avenir, tout boat-people arrivant sans autorisation en Australie sera systématique refoulé vers son point de départ, manu militari si nécessaire. Cette mesure – qu’on aurait pourtant jurée pleine de bon sens – a coûté cher au chef du gouvernement travailliste Anthony Albanese, à qui l’on a reproché de s’être compromis sous la pression de l’opposition conservatrice. Au diapason, Amnesty International n’a pas hésité à sortir les violons varsoviesques et à déclarer la date de signature du document officiel comme « le jour où l’Australie a décidé de tourner le dos aux plus vulnérables de la planète ». Une remarque à laquelle le représentant de la délégation aborigène n’a pas encore réagi.
Amérique
À l’autre bout du monde, les États-Unis révoquaient le 12 mai dernier le « Titre 42 », un dispositif légal mis en place pendant l’ère covidienne pour réguler l’immigration aux limites du pays [2]. Conséquence immédiate : le Texas et l’Arizona voyaient fondre sur leurs plaines arides des millions d’exilés latinos peu soucieux des formalités administratives requises en pareil cas. Pourtant ceinture noire de déni, le sensei Biden n’a pu qu’admettre le sérieux de la situation et valider le déploiement de 2 000 soldats supplémentaires à la frontière, en renfort des 24 000 agents des forces de l’ordre déjà mobilisés. Une concession un brin gênante pour celui qui moquait jadis l’idée d’un mur hermétique entre USA et Mexique et promettait de n’en jamais construire « un mètre de plus ». Deux mois et 40 000 étrangers illégaux expulsés plus tard, Washington se fait discret sur le sujet.
Asie
De l’autre côté du Pacifique, le problème migratoire se pose en d’autres termes. Doté de frontières naturelles infranchissables sans moyen logistique adapté, le Japon a choisi de colmater la fuite à la source, en adoptant l’une des politiques d’accueil les plus strictes au monde. Il faut dire que les zones habitables du pays ne sont pas bien étendues et que s’y bien comporter est indispensable pour qu’elles restent vivables. Bien que confrontée à une natalité en chute libre, l’archipel nippon vient encore de renforcer son arsenal législatif le 7 mars dernier en limitant le nombre de candidatures possibles au statut de réfugié à deux tentatives [3]. Une bassesse technocratique décidément bien veule qui, si elle préserve l’homogénéité de la population, sa culture et sa qualité de vie, ne trompera pas les fins connaisseurs du cosmopolitisme et de ses bienfaits. Selon Rudy Reichstadt.
Europe
Dans le même esprit, l’Europe a voté à la surprise de ses plus fidèles partisans le financement de murs censés réguler les arrivées de migrants sur le Vieux Continent [4]. Adopté le 19 avril dernier par une courte majorité (322 pour, 290 contre, 20 abstentions), le texte ferait presque office d’anomalie tant les positions de la superstructure européenne se sont historiquement inscrites dans une logique d’ouverture inconditionnelle à l’arrivant. Signe que les temps sont maussades, une frange des eurodéputés libéraux et socio-démocrates a même soutenu le projet de cloisonnement porté par le Parti populaire européen. Un affront pour la blondinette pro-Pfizer allergique aux barbelés.
Afrique
Enfin sur le continent africain, le sujet des migrations de masse est appréhendé de manière plus empirique. Au Maroc, par exemple, les sujets du royaume chérifien se chargent eux-mêmes de notifier aux migrants subsahariens l’inconvenance de leur présence. Récemment, des réfugiés guinéens et sénégalais relataient dans les colonnes de Libération les égards des locaux à leur endroit [5]. Spoliation de biens, ratonnade couleur café, réduction en quasi-esclavage : rien ne leur est apparemment épargné. Et inutile de compter sur des autorités locales qui classent sans suite les dépôts de plainte, quand elles ne participent pas directement aux réjouissances anti-clandos. Starfoullah !
En résumé, le climat ambiant aux frontières est délétère pour des migrants déjà précarisés. Partout, la tendance est au repli sur soi identitaire et à la sécurisation de leurs territoires par les pays d’accueil, avec l’approbation croissante des autochtones concernés. Mais alors… les heures les plus sombres nous guetteraient-elles encore ?