Des propos récemment tenus par Emmanuel Macron sur la fécondité africaine et le volume des aides destinées à l’Afrique n’en finissent pas de faire des vagues à l’étranger. Pour notre contributeur, ses déclarations s’appuyaient sur des affirmations erronées.
Lors du dernier sommet du G20 à Hambourg , le 8 juillet dernier en Allemagne, Emmanuel Macron a tenu des propos surprenants en conférence de presse en affirmant, d’une part, que plusieurs pays d’Afrique subsaharienne continuaient à avoir un taux de fécondité « de sept à huit enfants par femme », et d’autre part, que des plans Marshall avaient déjà été « décidés et faits » en faveur du continent noir. La réalité est pourtant bien différente.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le niveau de la fécondité en Afrique subsaharienne a déjà commencé à baisser dans la quasi-totalité des pays, et ce, depuis au moins deux décennies. Quant aux plans Marshall, il se font toujours attendre.
Une transition démographique déjà entamée
Globalement, l’indice synthétique de fécondité (ISF) est ainsi passé de 6,8 enfants par femme en 1975 (année du plus haut historique) à 5,0 en 2016, soit une diminution d’environ 26 %. L’Afrique subsaharienne francophone n’a pas échappé à la règle, avec une baisse globale du même ordre. La Côte d’Ivoire (passée de 7,9 enfants par femme à 4,9) et Madagascar (de 7,2 à 4,3) ont même connu une diminution de 40 % de leur ISF sur cette même période.
En fait, sur les 22 pays francophones subsahariens, seuls trois n’ont pas encore connu de baisse significative de la fécondité, à savoir le Niger, le Tchad et la République démocratique du Congo (RDC). Et de ces trois pays, seul le Niger dépasse encore la barre des 7,0 enfants par femme (7,6), constituant ainsi une exception également valable pour l’ensemble du continent.
Quant au Tchad (6,4) et la RDC (6,5), cette quasi-stagnation depuis 1975 cache, en réalité, une légère diminution par rapport à un pic assez tardif atteint par ces deux pays autour de 1995 (7,4 pour le premier, et 7,1 pour le second).
La baisse progressive de la fécondité en Afrique est donc bien réelle.
L’accroissement futur de la population du continent, qui devrait doubler d’ici 2050, sera donc de plus en plus dû à l’allongement de l’espérance de vie (y compris pour les femmes en âge de procréer).
Une Afrique encore sous-peuplée
Mais en dépit de cet essor démographique, l’Afrique demeure un continent largement sous-peuplé, compte tenu de sa taille. La comparaison est d’ailleurs frappante avec l’Asie, et notamment avec un pays comme l’Inde.
Avec non moins de 1,34 milliard d’habitants (qu’elle parvient à nourrir), l’Inde est ainsi davantage peuplée que l’ensemble du continent africain (1,22 milliard), alors même qu’elle est 9,2 fois plus petite en superficie, ou 6,6 fois si l’on ne tient pas compte du vaste Sahara.
En d’autres termes, et toujours sans tenir compte de la superficie recouverte par le Sahara, il faudrait que les pays africains multiplient leur population non pas par deux, mais par 7,25 afin que le continent soit aussi densément peuplé que l’Inde (soit 8,85 milliards d’habitants).
Par ailleurs, ce sous-peuplement est encore plus criant dans la partie francophone du continent, bien moins densément peuplée que le reste de l’Afrique. Si la Guinée et le Burkina Faso étaient aussi populeux que l’Ouganda, qu’ils dépassent légèrement en superficie, ils compteraient respectivement 38 et 42 millions d’habitants, au lieu des 11 et 19 millions actuels.
Si les 50 % habitables du territoire de la RDC (non recouverts par l’épaisse forêt équatoriale) étaient aussi peuplés que le Nigéria, celle-ci compterait 241 millions d’habitants au lieu de 81 millions. Et si les 10 % habitables du territoire algérien étaient aussi peuplés que les 10 % démographiquement exploitables du sol égyptien, l’Algérie aurait alors 224 millions d’habitants, et non 41 millions.
Grâce à sa croissance démographique, et à une population s’élevant désormais à 380 millions d’habitants, l’Afrique francophone, grande comme 3,1 fois l’Union européenne (UE) tout entière, commence donc à compter sur la scène internationale. Elle, qui en 1950, ne totalisait que 74 millions d’habitants pour l’ensemble de ses 25 pays (Maghreb inclus), soit à peine plus que l’Allemagne seule (69 millions).
Ce vaste espace commence donc également à atteindre une masse critique, absolument nécessaire au développement de toute industrie ainsi que de nombreuses autres activités économiques qui ne peuvent voir le jour qu’avec l’existence d’un bassin démographique conséquent. Ce qui explique d’ailleurs, dans une large mesure, le dynamisme récent des pays africains.
Des plans Marshall qui se font toujours attendre
Mais au cours de cette même conférence de presse, le président Macron a également affirmé que l’Afrique avait déjà bénéficié de plusieurs plans Marshall ( « ... des plans Marshall que nous avons, d’ailleurs, déjà décidés et faits »). Programmes qui, selon lui, n’ont pu porter leurs fruits à cause de la forte fécondité africaine.
Là encore, la réalité est bien différente. En effet, le plan Marshall décidé par les États-Unis en 1947 avait consisté à injecter en Europe de l’Ouest, pourtant déjà en partie reconstruite après la fin de seconde guerre mondiale, l’équivalent annuel de 1,1 % du PIB américain pendant quatre années, de 1948 à 1951 (soit un total de 13 milliards de dollars, à l‘époque, et à condition de se fournir prioritairement en produits américains).
Cet apport était donc bien supérieur à la part de l’aide publique au développement (APD) consacrée par la France aux 25 pays de l’Afrique francophone (Maghreb inclus) depuis 1970, qui n’a fait que plafonner à un peu plus de 0,30 % de son PIB jusqu’à la fin des années 1980... avant de diminuer et de s’effondrer à seulement 0,13 % en 2015.
D’ailleurs, il convient de rappeler que cette faible part correspond bien à la somme des aides bilatérales et multilatérales versées par l’hexagone, pourtant première grande puissance contributrice en pourcentage de PIB (et en volume) pour cette partie du monde.
Ainsi, la somme totale allouée par la France à l’ensemble de l’Afrique francophone dans le cadre de l’APD (2,8 Mds d’euros en 2015), est aujourd’hui près de trois fois inférieure à sa contribution nette au budget européen (7,9 Mds en 2014).
Cette dernière bénéficie, en plus, à un ensemble de pays deux fois moins peuplé que l’Afrique francophone, déjà assez développé, et se tournant, de surcroît, d’abord vers les industries allemandes (aux très confortables excédents commerciaux...).
Autre exemple intéressant, les compensations récemment promises par l’UE à la Cédéao et à la Mauritanie, suite à la signature en 2014 d’un Accord de partenariat économique (APE) prévoyant l’instauration progressive d’une zone de libre-échange avec cet ensemble de 16 pays d’Afrique de l’Ouest (dont neuf francophones), ne s’élèvent qu’à 6 milliards d’euros sur 20 ans, soit 0,3 milliard par an, ou encore moins d’un euro par habitant et par an ! Nous sommes, encore une fois, bien loin des milliards d’euros injectés chaque année dans les pays d’Europe de l’Est, ou encore en Grèce.
Miser sur la proximité de langue
Ce tropisme européen de la France dénote un véritable manque de cohérence et de culture de l’efficacité. En effet, il est clairement établi que les échanges peuvent être bien plus importants entre pays partageant une même langue (jusqu’à 65 % de plus selon le rapport Attali sur la francophonie). Ainsi, ce n’est pas un hasard si les Québécois sont proportionnellement quatre fois plus nombreux que les Américains à se rendre chaque année en France, et à y dépenser.
En d’autres termes, toute richesse créée dans un pays francophone au bénéfice de l’économie locale finit par revenir significativement dans le circuit économique des autres pays francophones, et ce, en vertu d’un mécanisme semblable à celui des vases communicants. D’où le concept de « zone de coprospérité », une des traductions possibles du terme Commonwealth.
La France a donc tout intérêt à mettre enfin en œuvre un véritable plan Marshall pour l’Afrique francophone, au lieu de mener un politique servant en premier lieu les intérêts d’autres pays européens. La célèbre expression « travailler pour le roi de Prusse » ne doit nullement être la doctrine de sa politique étrangère.
Ce manque de cohérence et de vision à long terme n’est d’ailleurs pas sans rappeler la France des XVIIe et XVIIIe siècles, qui ne voyait que « des arpents de neige » au Canada, et des moustiques en Louisiane et le long du Mississippi.
Au terme d’une présence longue de près de 160 années, son immense territoire nord-américain ne regroupait donc pas plus de 80 000 Français en 1763, contre 1,2 million de personnes originaires de la Grande-Bretagne et concentrées dans les petites colonies britanniques de la côte est.
Et ce, alors même que la France, là encore victime de son obsession européenne, pouvait compter sur le soutien de la grande majorité des tribus amérindiennes, car plus respectueuse de leur culture et de leur droit à exister.
Une Afrique francophone en forte croissance
Pourtant, et malgré ce désintérêt français, et les faiblesses qui sont encore les siennes, l’Afrique subsaharienne francophone connaît un véritable dynamisme économique, tirée par sa croissance démographique ainsi que par de réels progrès en matière de bonne gouvernance, de diversification et de climat des affaires.
Les « États faillis », qui caractérisaient encore en partie le continent, toujours selon Emmanuel Macron, ne sont en fait plus qu’une petite poignée, et se trouvent essentiellement en Afrique non francophone (Érythrée, Zimbabwe, Somalie, Soudan du Sud...).
L’Afrique subsaharienne francophone est d’ailleurs la partie la plus dynamique du continent, avec une croissance annuelle de 5,1 % pour la période quadriannuelle 2012-2015, tandis que le reste de l’Afrique subsaharienne affichait une moyenne de 3,8 %.
En 2016, et malgré la forte baisse du prix des matières premières, cet ensemble de 22 pays à tout de même enregistré une croissance globale de 2,6 % (et même de 3,5 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale pétrolière, ancienne colonie espagnole et partiellement francophone), alors que celle-ci s’effondrait à 0,8 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne, selon les derniers chiffres publiés par le FMI en avril dernier.
Pour sa part, l’espace UEMOA, composé de huit pays (dont la lusophone Guinée-Bissau), et parfois pointé du doigt pour la fécondité encore assez élevée qui prévaut dans sa partie sahélienne, constitue la plus vaste zone de forte croissance du continent. En effet, la hausse du PIB y fut de 6,1 % en 2016, après une moyenne de 6,3 % par an sur la période 2012-2015.
Du fait du lien linguistique, il est donc de l’intérêt de la France d’accompagner le décollage économique de l’Afrique francophone, mais sans interférer dans les affaires intérieures de ses pays, et encore moins dans la vie intime des Africaines et des Africains. La France se doit également de tirer les leçons de ses erreurs passées, elle qui fut, par exemple et de loin, la principale victime des bien trop simplistes idées malthusiennes.