Le président Trump a donné à Israël tout ce qu’il pouvait souhaiter ; il espérait qu’en retour, les juifs lui donneraient l’Amérique pour un second mandat. Un simple échange de cadeaux, mais cela n’a pas fonctionné comme prévu. S’il devait se présenter à la présidence d’Israël, il l’aurait eu, son mandat. Si Brooklyn devait décider qui habiterait à la Maison-Blanche, il serait l’élu. Mais le plan de Trump, qui consistait à soudoyer les juifs américains en comblant Israël de cadeaux, a complètement échoué.
Les Européens de l’Est définissent la différence entre les juifs et les Hongrois (ou les Polonais) comme suit. Tous vendraient leur grand-mère pour une poignée de pièces de monnaie ; mais seul un juif ferait la livraison promise. Les futurs présidents des États-Unis se souviendront de cette non-livraison à l’Amérique.
Peut-être sommes-nous témoins d’un moment décisif dans le déclin du soutien américain à Israël, en contradiction directe avec la thèse principale de notre collègue Philip Giraldi qui a déclaré cette semaine que « le pouvoir d’Israël est illimité ». Pourquoi cela s’est-il produit ? Les juifs américains n’ont pas mordu à l’hameçon. Et maintenant, les détails.
« Sioniste » est un euphémisme pour « juif », n’est-ce pas ? Jusqu’à un certain point. Les sionistes, c’est-à-dire les juifs (et d’autres) qui se soucient d’Israël et travaillent pour l’État d’Israël, soutiennent fortement le président américain, mais les juifs qui comptent, c’est-à-dire l’élite libérale progressiste juive américaine, ne soutiendront pas Trump même s’il devait paver Tel-Aviv de briques en or. Trois juifs américains sur quatre ont voté pour Joe Biden, soit à peu près la même proportion de juifs qui avaient voté pour Barack Obama, bien que ce dernier ait été assez critique envers Israël, alors que Trump a fait tout ce que les Israéliens pouvaient souhaiter.
Les juifs qui se souciaient le plus d’Israël ont voté pour Trump, mais ils sont impuissants. Ils ont de l’argent, ils ont de bonnes positions dans la société, mais ce ne sont pas des top dogs, des gens qui décident. Les juifs orthodoxes sont pour Trump, pas tant pour le bien d’Israël que pour son programme conservateur. Ils n’aiment pas les parades gay, ne se soucient pas du transsexualisme, et pour eux, les vies noires n’ont pas beaucoup d’importance. La justice sociale n’est pas leur credo, ils ont peu d’influence en dehors de leur propre milieu. Ils ont voté à 77 contre 23 pour Trump. Les Juifs de droite sont fortement sionistes et soutiennent Trump. Leur publication FrontPage Magazine est tout à fait en faveur de Trump. Mais ils seraient pour Trump même s’il n’avait pas déchiré l’accord avec l’Iran.
Les sondages des électeurs juifs montrent qu’ils ne se soucient pas beaucoup des mesures prises par Trump pour faire plaisir à Israël. Ils s’inquiètent de la gestion de la pandémie de Covid, des soins médicaux, alors que l’économie occupe la cinquième place dans leurs préoccupations, et que les actes liés à Israël sont tout en bas de l’échelle. Le seul endroit où l’on peut noter un changement positif est la Floride, où les juifs sont passés en nombre appréciable aux Républicains. Mais même là, il semble que cela rentre dans le cadre du basculement latino plutôt que d’un phénomène distinct.
Les juifs d’élite ont voté pour Biden et pour les Démocrates, comme le conseillait le New York Times. Pour eux, l’amitié de Trump avec le Premier ministre Netanyahou était un inconvénient plutôt qu’un avantage. S’ils se soucient d’Israël, ils préféreraient une approche plus calme, comme d’habitude, dans le cadre du paradigme des deux États. Rien de ce que Trump a fait pour Israël n’a trouvé d’écho dans leur cœur.
Selon l’AJC (American Jewish Committee), Biden a battu Trump dans tous les domaines, y compris celui de la lutte contre la pandémie de coronavirus (78 %-19 %), de la lutte contre le terrorisme (71 %-26 %), des relations avec l’Iran (71 %-27 %), de la lutte contre la criminalité (72 %-24 %) et du renforcement des relations entre les États-Unis et Israël (54 %-42 %). (La Coalition juive républicaine a des chiffres légèrement meilleurs, car elle a interrogé des juifs plus âgés). M. Trump a exprimé sa frustration face au fait que ses décisions concernant Israël n’aient pas recueilli un plus grand soutien dans la communauté juive, et de nombreux militants ont parlé de « trahison ».
Si Trump avait su à l’avance que courtiser les juifs ne lui rapporterait ni votes ni profit politique, il aurait probablement perdu moins de temps dans l’impasse sioniste. Les juifs sont liés au parti Dem, souvenez-vous ! Tous les membres juifs du Congrès, sauf deux, sont démocrates ; le sénateur Chuck Schumer, fortement pro-Israël et leader du parti Dem au Sénat, est aussi hostile à Trump que n’importe qui. Seuls ces juifs comptent vraiment ; seuls ces juifs ont un accès unique aux médias, aux films, à l’art, à la politique et aux universités. Peut-être agiraient-ils différemment si Israël était en danger ; mais grâce à la politique généreuse de Donald Trump, ils n’ont pas eu besoin de se soucier d’Israël. (Les présidents américains précédents étaient conscients de cette emprise, et ont fait attention à ne pas trop donner à Israël. C’était également l’avis du Dr Kissinger).
Les juifs israéliens sont beaucoup plus pro-Trump que leurs cousins américains. Si Israël était un État américain, il serait d’un rouge profond. Ils éprouvent de la gratitude envers l’homme qui a déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem et a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël. Ils apprécient sa volonté de normalisation avec les États arabes, sa non-ingérence dans la question palestinienne et sa reconnaissance du plateau du Golan. Plus conservateurs, ils sont sur la même longueur d’onde que Trump sur de nombreux sujets. Cependant, même avant Trump, la majorité des électeurs du Likoud israélien sont et ont été pour les républicains pendant de nombreuses années. Ils n’ont pas aimé Obama et Clinton, et ils ne s’intéressent pas à Biden. Une personnalité israélienne de premier plan dans le domaine de la haute technologie a prophétisé que Biden serait un désastre pour Israël.
Cependant, en Israël aussi, il y a une forte division entre les élites et les masses « déplorables ». Les Déplorables soutiennent Nétanyahou et Trump, votent au niveau national pour le Likoud ou pour des partis religieux. Les Déplorables dirigent Israël depuis plus de vingt ans ; Nétanyahou est le Trump israélien qui a réussi à garder le pouvoir.
Les élites israéliennes soutiennent Biden. Pour eux, Trump est à l’image de leur propre Premier ministre Nétanyahou, l’homme qu’ils détestent avec ferveur. Le problème avec les élites israéliennes c’est qu’elles ont perdu leur capacité à gouverner. Leurs partis se désintègrent, leurs causes sont perdues. S’il y a une cause commune aux élites israéliennes, c’est le rejet du Premier ministre Netanyahou, ce qui fait écho à l’esprit du Never Trump des élites américaines, et leur conviction qu’elles sont l’élite et qu’elles sont destinées à gouverner.
Ils veulent se débarrasser de Netanyahou, comme les élites américaines voulaient se débarrasser de Trump. Ce désir a provoqué trois tours d’élections nationales l’année dernière, mais malgré tous leurs efforts, ils n’ont pas pu l’éliminer. Ils espèrent maintenant qu’il sera démis de ses fonctions par la Cour suprême et par des manifestations massives près de la résidence du Premier ministre. Ils disent qu’il est corrompu, qu’il accepte des pots-de-vin, qu’il n’a pas sauvé Israël du Coronavirus – tout comme les Démocrates avaient essayé de mettre en accusation Trump pour des raisons ridicules. Ils veulent que Netanyahou meure en prison, tout comme les Démocrates espèrent voir Trump pourrir à Guantanamo. (Il y a des centaines de femmes prêtes à jurer que Trump les a presque violées il y a cinquante ans, alors qu’elles étaient mineures).
Le dossier contre Netanyahou est, au mieux, faible. Il a reçu une boîte de cigares et une caisse de champagne d’un producteur de films américain ; il a promis d’aider un éditorialiste de journaux s’il arrêtait de l’attaquer. Le Premier ministre a été inculpé par le procureur général, mais selon la loi israélienne, il n’est pas obligé de démissionner tant qu’il n’est pas reconnu coupable. Israël connaît des manifestations énormes et violentes contre Nétanyahou presque chaque jour. Mais les déplorables soutiennent toujours leur Bibi, et votent pour lui. Contrairement à Trump, Nétanyahou a un journal, et cela fait beaucoup de différence.
Ce serait bien s’il y avait des différences positives entre la gauche et la droite israéliennes sur des questions importantes. Ce n’est pas le cas. Il n’y a pratiquement aucune différence entre le Likoud et les partis libéraux concernant la question palestinienne, qui est vraiment importante. Les juifs de gauche et de droite sont sur la même longueur d’onde : ils ne veulent pas accorder l’égalité aux non-juifs. Ils traitent les Palestiniens bien plus mal que les Noirs ne l’étaient en Alabama il y a cent ans. Ils ne s’intéressent même pas aux Palestiniens.
La gauche libérale israélienne s’intéresse aux lesbiennes et aux gays ; le point principal de la campagne électorale du Meretz, autrefois de la gauche radicale (j’étais leur porte-parole il y a 40 ans), était l’adoption par des gays et l’accès aux mères porteuses. Et cela dans une société où les travailleurs gagnent de moins en moins chaque année, alors que les logements coûtent de plus en plus cher ; où un emploi stable est un rêve pour les travailleurs ; où les syndicats se sont effondrés, et où, au lieu d’un emploi, les travailleurs se voient proposer un contrat avec des heures de travail illimitées, sans vacances et sans aucune sécurité. Tout cela dans un pays où les Palestiniens ne sont même pas autorisés à se baigner dans la mer à quelques kilomètres de leurs villages assiégés.
Un autre sujet de l’élite libérale est sa lutte contre la religion : elle déteste autant les juifs religieux que les chrétiens et les musulmans. L’épidémie de Covid leur a fourni une nouvelle raison de haïr les juifs croyants : ils vont à la synagogue au lieu de rester chez eux ou d’aller à des manifestations contre Netanyahou. Je ne connais aucun trait qui pourrait racheter ce groupe, mais ils sont assez semblables aux élites libérales d’ailleurs.
En France aussi, l’élite dirigeante déteste l’islam et promeut Charlie Hebdo ; mais elle déteste aussi le christianisme. La première chose que Macron a faite dans le cadre du verrouillage actuel a été d’interdire la messe. Et ses groupes de soutien, l’élite libérale, ont été très satisfaits. Dans certaines vidéos, vous pouvez voir de jeunes libéraux demandant à la police de disperser les catholiques qui prient en dehors de l’église. La même chose se passe en Israël, et à New York, où la police a interféré avec des juifs en prière.
La principale différence entre les populistes de Netanyahou et les élitistes réside dans leur attitude envers les gens ordinaires. Les populistes font preuve d’empathie alors que les élitistes se contentent de déplorer. Sur le plan pratique, ils ne diffèrent pas. Les deux sont aussi néfastes l’un que l’autre pour les travailleurs, pour les juifs ordinaires et pour les Palestiniens. Les populistes gaspillent l’argent public pour les colonies juives dans les territoires occupés, tandis que les élitistes offrent gratuitement des mères porteuses népalaises pour chaque homosexuel.
Quant aux confinements pour cause de Covid, les élitistes les approuvent, tout comme Biden et ses Dems. Les Déplorables les détestent beaucoup, car ils perdent leur emploi, et ils ne peuvent pas se le permettre, mais ils ne se rebellent toujours pas. Aux États-Unis, les populistes de Trump n’ont pas tiré grand chose de sa première présidence. Une solution possible serait l’intégration des populistes de gauche et de droite, que Trump prenne Tulsi Gabbard comme vice-présidente ou au moins comme secrétaire d’État, que Trump donne à chaque citoyen américain des soins médicaux comme en Europe, qu’il fournisse une éducation de qualité gratuite, qu’il taxe les milliardaires et soutienne les travailleurs. Ce serait un ticket imbattable. Et arrêtez de vous faire du souci à cause des juifs et d’Israël ; ils ont une valeur de nuisance, mais rien de plus.
Nous pouvons maintenant expliquer pourquoi l’offensive sioniste n’a pas aidé. Les États-Unis (ainsi que les juifs américains et Israël) sont divisés en deux catégories : les élites incompétentes mais sûres d’elles et les Déplorables crédules mais en colère. Le vote lors des récentes élections a été un test de loyauté : êtes-vous avec les élites ou avec les Déplorables (en hébreu, עמך) ? Aux États-Unis, où de nombreux juifs appartiennent en fait à des élites, même ceux qui se trouvent à l’extérieur acceptent les valeurs et les récits des élites et espèrent toujours être invités à entrer dans le cercle suprême. Un juif américain doit désespérer de ceux qui rejoignent Trump et ses contre-élites, et ils gardent espoir.
Le journal juif Forward parle de « deux jeunes activistes politiques juifs qui ont formé le Jewish Unity PAC et ont récolté un magot de 31 000 dollars, et chaque centime a été dépensé pour soutenir Joe Biden et Kamala Harris ». Ce n’est pas qu’ils s’intéressent à Biden, mais ces jeunes savent où se trouve leur brillant avenir.
En Israël, les élites sont contre Netanyahou, mais la majorité des Israéliens, juifs ou non, ont déjà perdu l’espoir d’être invités dans les élites traditionnelles. Ils n’ont donc pas de réticence à voter pour Netanyahou ou à soutenir Trump. Cependant, l’Israël de Netanyahou et de ses déplorables habitants est beaucoup moins attrayant pour les juifs américains que l’ancien Israël ashkénaze élitiste dirigé par les travaillistes. Ils ne l’admettent pas ; certainement pas par écrit, mais il n’y a pas d’ascenseur social pour un juif américain, s’il va s’installer en Israël ou même soutenir Israël. Ainsi, le sionisme en tant que cause a perdu de son attrait pour les juifs américains. Et ce changement est probablement irréversible : l’ancienne élite ashkénaze d’Israël est partie, et elle ne reviendra pas. Elle a été supplantée par les juifs orientaux, par les religieux, par les contre-élites ashkénazes du Likoud. Il n’y a rien à gagner à courtiser Israël autant que Trump l’a fait.
Si Trump obtient, malgré d’énormes difficultés, son deuxième mandat, peut-être apprendra-t-il la leçon et traitera-t-il Israël comme un Libéria juif. Ce serait un grand soulagement pour les États-Unis et pour le peuple d’Israël. Coupé du réseau d’approvisionnement américain, Israël pourrait encore faire la paix avec les Palestiniens et devenir un État normal du Moyen-Orient. Les États-Unis ne seront pas entraînés dans des guerres lointaines. On aurait préféré que Trump ait compris plus tôt, mais mieux vaut tard que jamais.
Le soutien américain est aussi dangereux pour Israël que le soutien russe l’est pour l’Arménie. Les Arméniens ont eu 30 ans pour faire la paix avec leurs voisins, mais ils ne l’ont pas faite car ils étaient sûrs du soutien russe. Les Israéliens ont eu 50 ans pour en faire autant, mais ils ne l’ont pas fait à cause du soutien américain. Les Arméniens ont déjà fait leur deuil, et pour Israël, c’est à venir, à moins qu’ils ne se désengagent de leur superpuissance protectrice. Les relations spéciales entre les élites américaines et Israël sont donc totalement épuisées pour les deux parties.
Et pendant ce temps, Israël regarde passer les trains. « Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a choisi de ne pas faire référence à Joe Biden comme président élu lors d’une conférence de presse lundi, disant en revanche que Biden était "censé être nommé le prochain président" », a rapporté Haaretz.