L’évacuation dans la panique il y a 40 ans, le 29 avril 1975, des ressortissants américains et leurs affiliés à Saigon, capitale du Sud-Vietnam, pose une question lancinante : cet événement peut-il survenir en Israël, poste avancé des Américains au Proche-Orient, en milieu arabe hostile ? Les États-Unis, qui ont abandonné brutalement le Sud-Vietnam, lâcheront-ils Israël ? L’étreinte sioniste sur l’Oncle Sam peut-elle se desserrer ? Les Israéliens, qui pensent à tout, ont-ils élaboré un plan de fuite dans cette option ? Sans faire de géopolitique fiction, tous les services de renseignement du monde planchent sur des scénarios catastrophe selon l’adage : toujours se préparer au pire, mais attendre le meilleur. Car les raisons objectives de crédibiliser cette hypothèse existent bel et bien.
Fin avril 75, les États-Unis sifflent la fin de la récré vietnamienne : un coût humain inattendu (60 000 morts sur le terrain, plus 60 000 suicides de vétérans à venir sur le sol américain), une crise économique majeure (avec le choc pétrolier), les résistances de la société civile (la jeunesse fait bloc contre un nouvel engagement), ainsi qu’un changement politique (Nixon remplacé par Ford), expliquent que le Congrès n’a pas voté les 722 millions de dollars que lui réclamait Gerald Ford… hypocritement. Personne, et les généraux en premiers, n’ignore en effet que les accords de Paris (qui doivent comporter une clause de non-agression mutuelle du type « si vous touchez à un cheveu des Américains, on envoie nos B-52, mais faites ce que vous voulez des Sud-vietnamiens ») ne permettent plus une nouvelle entrée en guerre. Dix ans de conflit ayant saigné les deux pays. Ce qui n’empêchera pas les dirigeants du Nord-Vietnam de décider d’envahir le Cambodge de Pol Pot dans la foulée, plus pour des raisons géostratégiques qu’humanitaires.
- Bateau bondé de Sud-vietnamiens en fuite
En 1975 donc, l’occupation américaine prend fin. 150 000 ressortissants nationaux liés de manière directe à l’occupant, arrivent à fuir. Pour les autres, impliqués dans la collaboration, ce sera la balle dans la tête, le camp de travaux forcés, ou la rééducation communiste. Beaucoup fuiront plus tard, devenant les fameux boat people, que les médecins français du Comité de soutien aux réfugiés politiques du Vietnam représentés par Kouchner, avec l’appui des intellectuels (Sartre, Montand et Aron), feront connaître au monde entier le 10 novembre 1978. Un coup violent (et politiquement opportun) porté à l’image du régime communiste, qui a pourtant payé un incroyable prix du sang sur 30 ans pour libérer son pays de la présence étrangère, française puis américaine. Trois à quatre millions de morts en 10 ans de conflit, et 40 ans plus tard, encore 150 000 enfants nés handicapés à cause des conséquences de l’agent orange. Kouchner prenait déjà le parti des impérialistes américains.
- Le body count américain à l’encontre des Vietnamiens ressemble étrangement aux massacres des SS en Union soviétique 25 ans auparavant
Témoignage d’un vétéran :
« Le body count, c’est ce qui nous permettait de mesurer le succès de nos opérations. On nous avait mis dans la tête que si on abattait dix Vietnamiens pour chaque Américain tué, alors on gagnerait la guerre. Parce qu’ils finiraient par être à court de combattants. Donc on faisait des concours entre nous… car ceux qui tuaient le plus de Viets étaient considérés comme les meilleurs Marines. Après chaque opération, une fête était organisée en l’honneur de la compagnie qui avait tué le plus d’ennemis. C’était la preuve ultime que tu étais un bon Marine. »
Pas de devoir de mémoire de ce côté-là. Que fait le lobby des restaurateurs vietnamiens de l’avenue de la porte de Choisy ?
Israël/Vietnam : même combat ?
- Ces jeunes Palestiniens ont osé lancer des pierres sur ces soldats de la paix israéliens
Personne au début des années 70 n’imagine la fin de la présence américaine, sous une forme aussi brutale, et honteuse aux yeux du monde. Les troupes du Sud, tenues à bout de bras par les Américains, et dirigées par un régime forcément désavoué par sa proximité avec l’envahisseur, ne peuvent longtemps supporter la guerre d’usure imposée par le Nord. L’appui soviétique n’est pas prépondérant pour le Vietcong (les forces armées du Nord). Toujours, les Russes voudront voir les belligérants négocier, afin d’éviter une escalade vers un conflit plus direct avec les Américains, celui de l’Apocalypse nucléaire. Ce sont les Chinois qui profitent des hésitations russes : ils envoient plus de 300 000 soldats et spécialistes en rotation chez leur petit voisin du sud (mais au nord du Vietnam). Guerre géopolitique autant qu’idéologique, le conflit vietnamien cristallise les tensions des deux, puis des trois Grands à partir de 1972.
Ce poste avancé du capitalisme aux pieds de la Chine rouge ne pouvait que mal finir. En sera-t-il de même avec Israël, qui vit depuis près de 70 ans en conflit plus ou moins explosif avec ses voisins ? Quels sont les scénarios possibles ?
La guerre des ventres
Chacun connaît la phrase attribuée à Boumédiène, prédisant la victoire de l’Orient sur l’Occident grâce aux ventres des musulmanes. Les spécialistes du conflit israélo-arabe savent la course démographique effrénée que se livrent les deux communautés antagonistes, le suffrage universel pouvant un jour faire basculer le fragile équilibre des forces qui régentent l’État juif. Actuellement, les Arabes occupent 11 sièges sur les 120 de la Knesset, et la loi de la citoyenneté empêche tout conjoint palestinien d’un citoyen israélien de vivre en Israël, afin de garder l’avantage d’un rapport 80/20. Les familles de juifs orthodoxes essayent de faire sept à huit enfants dans les Territoires occupés, le mot d’ordre étant de « battre » les Arabes en fécondité.
- Famille nombreuse orthodoxe
Actuellement, le taux de fécondité arabe dépasse de 4 % celui des juifs (25 contre 21), avec un taux de mortalité plus faible chez les… musulmans ! Ce qui donne, mécaniquement, un taux d’accroissement naturel de la population arabe de 22 % contre 15 % pour les juifs. On parle bien sûr d’Israéliens, juifs et arabes. Les Arabes israéliens étant en majorité musulmans, une partie d’entre eux chrétiens, dans une proportion de 20 % par rapport aux 8 millions d’Israéliens. Tout ça pour dire que le danger, du point de vue des ultras israéliens, est à la fois intérieur et extérieur. Une guerre sur deux fronts, que les juifs ne peuvent gagner qu’en faisant le plein d’Alyah, de France principalement, second réservoir mondial derrière les États-Unis, le pays aux cinq millions de juifs pas très chauds pour rentrer en Eretz Israël. Pour cela, le régime militaire d’extrême droite est prêt à tout. Il l’a démontré, jetant de l’huile sur le feu des conflits interreligieux français, profitant du moindre fait divers, ou du moindre attentat terroriste. Tout fait ventre, pour Netanyahu.
Au vu de ces statistiques, le terme de « patrie du peuple juif » perd pas mal de son sens : il y a quasiment autant de juifs aux États-Unis qu’en Israël. Plus riches, mieux protégés, et globalement plus influents. La France et les États-Unis sont donc les deux pays les mieux placés pour recevoir de forts contingents de juifs, au cas où les choses dégénéreraient.
Les choses dégénèrent
- Forces spéciales iraniennes
La situation d’Israël au Proche-Orient (les Anglais disent Middle East, Moyen-Orient) a évolué en 67 ans, depuis le 14 mai 1948 : les guerres arabes, très localisées au départ, se sont régionalisées en 1967 et 1973, incluant quasiment toute la planète arabe : Égyptiens, Syriens, Jordaniens, pour le soutien militaire direct, Algériens (deux escadrons de bombardiers et de mirages) et Libyens pour l’appui financier (contribution d’un milliard de dollars de la Libye, de l’Arabie et du Koweït) ou en renseignement. Les guerres libanaises de 1982 et 2006 étant des guerres d’agression israéliennes. Depuis 20 ans, un conflit majeur est apparu, d’abord diffus, puis de plus en plus visible : celui avec l’Iran. La branche militaire du Hezbollah remplace petit à petit les militants du Hamas, moins préparés, moins armés, et les troupes iraniennes font leur apparition en Irak, de manière massive, et en Syrie, où elles seraient 15 000. Des sources font état de la présence de forces spéciales iraniennes dans le Golan, objet d’un conflit majeur entre Israël et la Syrie depuis la Guerre des Six Jours.
Malgré les accords de paix, plus ou moins fragiles, recouvrant des contentieux non résolus, et négociés par les Israéliens avec leurs voisins (Égypte, Jordanie et Syrie), mais surtout imposés par la puissance étasunienne, Israël vit entouré d’ennemis potentiels. Quand le danger égyptien disparaît – traité de paix de Camp David en 1978 entre Begin et Sadate… raïs qui aurait pu être le grand vainqueur de 1973 –, c’est le danger iranien qui prend le relais, avec la révolution de 1979 ! Et quand la pression des Frères musulmans sur le pouvoir de Moubarak culmine avec leur victoire électorale le 20 janvier 2012, avant la normalisation de l’américanophile al-Sissi, l’ambassade israélienne a déjà vu passer le vent du boulet.
- Malgré les accords de paix, les Israéliens ne sont pas très populaires au Caire
(10 septembre 2011)
Malgré l’intervention divine massive des États-Unis, qui surveillent le Golfe et la Méditerranée de leurs Ve (30 navires et 15 000 marins) et VIe Flottes (40 navires, 20 000 marins, 175 avions), prenant en sandwich les ennemis d’Israël, l’avenir de ce pays récent et anormalement constitué n’est toujours pas garanti. Ses dirigeants appliquent justement une politique de « guerre préventive » impitoyable, aussi bien à l’encontre de nations que de personnalités politiques. En laissant Israël construire sa bombe dans les années 60 (après la parenthèse Kennedy), grâce à des ingrédients nucléaires volés sur leur propre sol, les Américains savent très bien qu’ils contrôleront de fait la région. Le poste avancé des States en territoire apache, c’est Israël, et ça explique bien des compromissions à l’ONU et au Conseil de Sécurité. Quitte à se mettre à dos la moitié du monde, voire les trois quarts, les États-Unis ont toujours appuyé les agressions israéliennes et autres violations du droit international.
- Mieux que la NSA, l’USN
La défense d’Israël permet d’avoir la légitimité d’intervenir partout, de la Méditerranée au Golfe persique. Et théoriquement, tous les pays arabes sont des ennemis potentiels du petit protégé de l’Amérique. Si le puissant lobby juif américain pèse de tout son poids pour que l’Amérique continue à fermer les yeux sur les exactions israéliennes, il n’est pas sûr que ce seul lobbying suffise à faire pencher la balance en faveur d’Israël : la géopolitique et ses intérêts bien compris pèsent plus lourd que l’idéologie et les liens religieux entre juifs des deux pays, ou entre juifs et protestants. Israël a besoin du gendarme du monde, qui a besoin d’Israël, mais les plus beaux mariages, qu’ils soient d’amour ou d’intérêt, ont une fin.
Concrètement, c’est le lézardement du fédéralisme américain sur une base raciale (c’est-à-dire sociale) qui peut ébranler ce géant, et lui faire perdre son bâton de gendarme du monde. Les Israéliens ne pouvant se défendre seuls, le recours à l’arme nucléaire étant d’un coût humain et moral historiquement insoutenable. Ahmadinejad ne déclarait-il pas à Pujadas, en mars 2007, que la bombe atomique n’avait été d’aucun secours à Israël contre le Hezbollah au Liban l’année précédente ? En réalité, la menace d’utilisation de l’arme nucléaire israélienne s’exerce sur les États-Unis, indirectement, selon le chantage : si tu ne me soutiens pas, je fais tout péter autour.
Quand le rapport juifs israéliens/Arabes israéliens sera non plus de 75/25 mais de 60/40 (peur que les journaux sionistes tentent d’importer en France, c’est l’origine du concept de Grand Remplacement !), les choses changeront politiquement et militairement : comment terroriser les Arabes au dehors avec autant d’Arabes au-dedans ? Et on ne parle même pas d’un scénario à 50/50, cauchemar que les sionistes les plus durs osent à peine imaginer. Pourtant, en 2020, chiffres israéliens à l’appui – même en y décelant une part d’intox – il y aura autant d’Arabes dans la zone Israël + Territoires occupés (c’est-à-dire Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est) que de juifs ! Un apartheid intenable, comme tous les apartheids.
Si la protection américaine reflue, pour des raisons intérieures (sécession des États riches de l’Ouest et du Sud, Californie et Texas, séparatisme d’un groupe d’États de la côte Est, latinisation des anciens États… volés au Mexique), ou extérieures, le Congrès refusant de voter l’énième aide militaire à Israël (3 milliards de dollars en 2014), les États-Unis revenant à un rôle plus régional que mondial, Israël sera en grand danger. Ce qui ne veut pas dire que ses voisins attaqueront. Mais les décennies de guerres, agressions ou menaces contre l’Irak, l’Iran, la Syrie, l’Égypte, le Liban, sans compter la Palestine, joueront contre la tranquillité et la légitimité d’Israël. Tout dépend alors de la solidité des traités de paix établis avec les voisins. À l’heure actuelle, les Israéliens n’en prennent pas le chemin, même si le régime de fer du nouveau raïs a mis un terme à la menace venant du Sinaï. La dévastation de la Syrie, la dislocation de l’Irak et la guerre larvée à l’Iran sont des crimes à grande échelle, des destructions programmées de pays par des coalitions occidentales, menées par les Américains, au profit des Américains, mais aussi d’Israël.
Film catastrophe
- Plutôt mort que rouge, la devise du médecin américain Bernard Kouchner (au centre sur
la photo)
Une évacuation de pays ne se fait jamais en trois jours, tout est question de concrétisation de la menace : la panique s’est emparée du Sud-Vietnam en 1975 lorsque les villes de Hué et Da Nang (avec sa base américaine géante) sont tombées. L’armée locale n’avait plus les munitions et le matériel de remplacement pour faire face aux divisions du Nord. Les Américains ayant objectivement lâché la partie. Il se peut donc que le soutien à Israël devienne trop cher diplomatiquement, militairement, politiquement ou économiquement. Sans bons rapports avec ses voisins arabes, le pays de Netanyahu est condamné à long terme. L’Amérique ne sera pas toujours le gendarme du Proche-Orient. On assistera alors un Exodus à l’envers, des Alyah dans le « mauvais » sens, les juifs israéliens redevenant une diaspora. Après l’implosion vers la Terre promise, l’explosion vers les terres d’accueil. La France sera évidemment en première ligne. Est-ce pour cette raison, depuis une décennie, correspondant au durcissement du pouvoir d’extrême droite en Israël (ils peuvent donner des leçons à Le Pen, tiens), que les Français n’ont plus le droit de s’exprimer sur ce sujet en particulier, la liberté d’expression se réduisant dramatiquement en général ?
- François Hollande, président du CRIF
Scénario modélisé par Soral il y a 10 ans déjà, mais qui s’éloigne de plus en plus de la fiction. Comment vivre en harmonie durable dans un immeuble, si l’on agresse tous ses voisins, si on leur vole leurs pièces une par une, si on les menace en permanence de représailles, et si on appelle les gendarmes dès qu’un voisin ose manifester le moindre mécontentement ?
Si les hommes sont pressés, l’Histoire, elle, a le temps. Mais parfois, elle s’accélère. On appelle ça un événement.