« Sur la vie de ma mère, je préfère me taper quarante heures de TIG que la prison »
Assis sur un pot de peinture, casquette et jogging siglés, Matt [1] s’offre une pause cigarette dans la cité du Grand-Parc à Bordeaux. Le jeune homme effectue un travail d’intérêt général (TIG). Depuis deux semaines, une équipe de quatre « tigistes » doit rafraîchir les halls dans une barre HLM. Ce vendredi, l’un d’eux manque à l’appel (en arrêt maladie). Les autres débarquent à 8 heures.
Matt, 20 ans, a été condamné pour recel ; Adam, 34 ans, pour violence ; Jean-Louis, 37 ans, refuse d’en parler. Tous n’ont pas le même nombre d’heures à exécuter (280 au maximum, selon la loi). Mais chacun a donné son accord. « Je préfère travailler un mois gratuitement plutôt que perdre mon temps trois mois en cellule », affirme Adam, qui a déjà été incarcéré. « Là, je me lève, je vais travailler, et le soir, je retrouve ma famille. »
Une alternative qui a de quoi séduire
Au moment où les prisons françaises sont surpeuplées, cette peine alternative a de quoi séduire… En 2016, les juridictions en ont délivré près de 26 000, soit 7% des peines prononcées. Sanctionnant ainsi des vols et recels (29%), des délits routiers (un peu moins de 25%), des infractions liées aux stupéfiants (11,5%) ou des outrages et rebellions (9%). Mais Emmanuel Macron entend les développer : une mission sera très prochainement confiée à un parlementaire et à un chef d’entreprise pour créer une agence nationale des TIG. « Celle-ci, précise Youssef Badr, le porte-parole du ministère de la Justice, sera chargée de recenser les tâches pouvant faire l’objet d’un travail d’intérêt général – l’objectif étant d’arriver à 50 000 en 2020 – et d’assurer une meilleure répartition géographique. »
« Si j’avais mis toute mon énergie à d’autres choses qu’à des conneries, j’aurais bac + 15 »
À Bordeaux, ce jour-là, il s’agit de repeindre les halls. L’association d’insertion Les Compagnons bâtisseurs encadre les tigistes. « Bon, les petits loups, lance Didier Mouchot, 58 ans, leur tuteur, prenez les cartons, les rouleaux et les pinceaux, qu’on puisse finir la cage d’escalier ! »
À ses yeux, ce TIG peut apporter « une première expérience professionnelle à des gens qui n’ont jamais travaillé ». Les trois hommes, sans diplôme, se marrent : « On ne va pas marquer TIG dans notre CV ! » Mais l’activité a son utilité. « Cela me remet dans le rythme », estime Matt, qui doit démarrer un contrat d’insertion dans la peinture début décembre. « Cela permet de voir ses capacités », se félicite Jean-Louis, déménageur intérimaire, qui a posé deux semaines pour effectuer le TIG.
Ce travail leur a-t-il permis de réfléchir ? « Bien sûr, cela fait gamberger », réagit Matt, qui, depuis l’âge de 9 ans, a enchaîné familles d’accueil, foyers, centre éducatif fermé et prison. « Si j’avais mis toute mon énergie à d’autres choses qu’à des conneries, j’aurais bac + 15, la tête à ma daronne. J’ai gâché huit ans de ma vie ! » À ses côté, Adam soupire : « La prochaine fois, je ne descendrai pas de voiture pour taper quelqu’un. »
Trois ou quatre mois d’attente
Cette sanction – utile à la société et à la personne condamnée – fait sens. Depuis sa création en 1983, il a d’ailleurs déjà été question de la développer. Sans succès : on avoisine les 30 000 TIG les meilleures années. D’une part, l’emprisonnement reste encore la peine de référence pour tous les délits. D’autre part, les structures habilitées à recevoir des TIG (collectivités locales, associations ou entreprises privées chargées d’un service public) manquent. « J’ai des tigistes qui viennent de Toulouse – à deux heures de route – ou de Marmande parce qu’ils ne trouvent pas de chantiers là-bas », témoigne Didier Mouchot, l’encadrant bordelais. D’autres patientent trois ou quatre mois pour qu’un poste se libère.